Qui n’a pas encore tapé sur les professeurs ? Alors que de nombreux parents sont impatients de remettre leurs enfants à l’école, ils constatent que celle-ci ne les prend pas ou seulement une partie de la semaine. Cela alimente un « prof bashing » qui atteint de nouveaux sommets en ce sommet. Il est alimenté par certains médias. Mais pourquoi font-ils cela ?
« Le retour de la vie économique butte sur l’impossibilité pour les enfants d’aller à l’école… Un ministre en première ligne dit en privé « si les salariés de la grande distribution avaient été aussi courageux que l’éducation nationale les français n’auraient rien eu à manger ». L’éditorial de Dominique Seux sur France Inter le 8 juin a fait bondir de nombreux enseignants par sa triple perfidie.
Il a été suivi dans la foulée de propos du même style sur BFM et Cnews. Ainsi, BFM parle de « professeurs décrocheurs » et de leur « appréhension à revenir en classe ». L’Opinion évoque « un ancien membre de cabinet ministériel » qui parle de « professeurs en roue libre bien décidés à glisser doucement vers les grandes vacances ». Et la liste n’est certainement pas close autour de lâcheté des profs responsables du non retour en classe des élèves. D’autres médias vont probablement servir la même campagne avec les mêmes références. Alors reprenons les arguments utilisés.
Combien d’élèves sont revenus en classe ?
Très rares sont les écoles primaires qui n’ont pas rouvert leurs portes. Mais difficile de savoir exactement combien d’écoliers sont revenus dans les classes. C’est probablement entre un cinquième et un quart. L’enseignement à distance reste la forme d’enseignement encore la plus répandue. Pour les collégiens, 60% des établissements accueillent moins de 40% des élèves de 6ème et 5ème et 40% moins de 30%, selon le Snpden. On est donc probablement au même niveau. Pour les lycées, plus de 60% des établissements accueillent moins de 30% des élèves et un lycée sur quatre a moins de 10% de ses élèves. Dans tous les cas, on est très loin de « l’amplification » annoncée le 28 mai par JM Blanquer. Et il y a peu de chances que dans les conditions actuelles cela évolue.
Qu’est ce qui empêche le retour des élèves ?
C’est l’obligation de respecter le protocole sanitaire qui limite les retours des élèves en classe et non le manque de professeurs. L’explication détaillée est fournie par les syndicats de personnels de direction, les fonctionnaires en charge du problème.
« Il faut 4 salles pour accueillir une seule classe », nous a dit Philippe Vincent, secrétaire général du Snpden Unsa, 1er syndicat de ce corps. Du fait de la limite à 15 élèves maximum par groupe chaque classe est éclatée en au moins 2 groupes, parfois trois. Chaque groupe a sa salle. Elle doit être nettoyée deux fois par jour. Il faut donc une rotation des salles. Au final un établissement ne pourra jamais accueillir en même temps plus du quart des élèves présents ordinairement et souvent beaucoup moins. Cela suppose aussi que le nombre des agents territoriaux en charge du nettoyage permette de traiter le nombre de salles exigé. C’est le principal verrou qui empêche d’accueillir davantage d’élèves. En Belgique ils se sont affranchis de cette limite avec la notion de « bulle de sécurité ». Le protocole impose encore d’autres limites au nombre d’élèves en fonction des circulations possibles, de l’équipement en points d’eau, de la cantine, de l’internat. La seule façon d’augmenter le nombre d’élèves de retour en classe c’est d’établir des roulements. Les mêmes salles de classe peuvent accueillir par exemple des 6èmes le lundi et le mardi et des 4èmes le jeudi et vendredi, le mercredi étant jour de désinfection. Mais ces rotations n’améliorent pas la situation des parents.
50% de profs tire au flanc ?
Nicolas Beytout, de L’Opinion, parle de « profs tire-au-flanc » et d’excuses bidon pour ne pas venir faire cours. Selon L’opinion, le ministère de l’éducation nationale évaluerait à 5 à 6% la proportion de ces « professeurs décrocheurs ». Un chiffre que n’assume pas ce ministère. Interrogé par le Café pédagogique, l’Education nationale estime que dans les 5 à 6% « il y a aussi des professeurs qui ne travaillent pas pour motif de santé ou raison personnelle ».
Contrairement à ce qu’imaginent peut-être les médias cités, les professeurs ne choisissent pas s’ils doivent faire cours ou pas. Comme tous les salariés ils doivent rendre des comptes de leur absence. Les chefs ne sont pas en vacances. Et comme pour les autres salariés, les règles ont été mises à jour le 2 juin.
Allons-y citons les. Les professeurs peuvent ne pas revenir en classe pour motif médical. Sont considérées comme présentant une fragilité de nature à les dispenser de reprendre le travail en présentiel les personnes relevant d’une fragilité fixée par le décret n° 2020-521 du 5 mai 2020 :
1) Etre âgé de 65 ans et plus ;
2) Avoir des antécédents (ATCD) cardiovasculaires : hypertension artérielle compliquée (avec complications cardiaques, rénales et vasculo-cérébrales), ATCD d’accident vasculaire cérébral ou de coronaropathie, de chirurgie cardiaque, insuffisance cardiaque stade NYHA III ou IV ;
3) Avoir un diabète non équilibré ou présentant des complications ;
4) Présenter une pathologie chronique respiratoire susceptible de décompenser lors d’une infection virale : (broncho pneumopathie obstructive, asthme sévère, fibrose pulmonaire, syndrome d’apnées du sommeil, mucoviscidose notamment) ;
5) Présenter une insuffisance rénale chronique dialysée ;
6) Etre atteint de cancer évolutif sous traitement (hors hormonothérapie) ;
7) Présenter une obésité (indice de masse corporelle (IMC) > 30 kgm2) ;
8) Etre atteint d’une immunodépression congénitale ou acquise :
– médicamenteuse : chimiothérapie anti cancéreuse, traitement immunosuppresseur, biothérapie et/ou corticothérapie à dose immunosuppressive ; infection à VIH non contrôlée ou avec des CD4 < 200/mm3 ;
– consécutive à une greffe d’organe solide ou de cellules souches hématopoïétiques ;
– liée à une hémopathie maligne en cours de traitement ;
9) Etre atteint de cirrhose au stade B du score de Child Pugh au moins ;
10) Présenter un syndrome drépanocytaire majeur ou ayant un antécédent de splénectomie ;
11) Etre au troisième trimestre de la grossesse.
Les personnes qui vivent dans le même domicile qu’une personne malade (pour une durée de quatorze jours à compter de l’apparition des symptômes) ;
Les personnes qui vivent dans le même domicile qu’une personne vulnérable.
Deuxième cas de figure le motif lié à la garde des enfants. Il faut obtenir une attestation de l’établissement de scolarisation de ses enfants attestant que l’accueil de ses enfants n’est pas assuré dans l’établissement pour bénéficier de ce motif. Rappelons que les enfants d’enseignants sont prioritaire dans les crèches et les établissements scolaires.
Sur le terrain , les IEN ou les chefs d’établissement affectent les enseignants en présentiel et en distanciel selon ces critères et les besoins du service. Parce que tant que la majorité des élèves ne viennent pas en classe, on a besoin d’enseignants pour les suivre à distance. En collège et en lycée par exemple, peu de niveaux sont revenus et des professeurs qui ont ces seuls niveaux continuent l’enseignement à distance comme avant le déconfinement.
Selon le ministère de 55 à 60% des professeurs sont revenus en classe. En collège ils sont plus de 60% selon le Snpden. Ces taux sont largement suffisants pour accueillir les élèves présents. Pour Philippe Vincent , le nombre de professeurs disponibles n’est pas un problème.
Comment expliquer cette campagne de prof bashing ?
Les politiques ont une large part de responsabilité dans le prof bashing. La formule de JM Blanquer le 28 mai : « toutes les familles qui le souhaitent doivent pouvoir scolariser leur enfant au moins une partie de la semaine » n’a pas été qu’une promesse intenable. Elle a dirigé la pression des parents sur les directeurs d’école et chefs d’établissement ainsi que sur les enseignants. JM Blanquer sait tellement bien que le système éducatif ne pourrait pas respecter cet engagement qu’il multiplie les signatures de conventions avec les collectivités territoriales pour mettre en place un dispositif, le 2S2C, qui puisse accueillir des élèves et compléter les rotations mises en place dans les écoles et établissements. Cela aussi d’ailleurs n’a pas été anticipé et c’est d’autant plus difficile à installer que le même ministre a encouragé la suppression des activités périscolaires mises en place sous le gouvernement précédent. La posture politique du ministre est payée par les élèves et les professeurs.
Même remarque pour le premier ministre. Le 2 juin il dit : « Il faut s’interroger sur le caractère pratique pour les parents… Proposer des demi journées à l’école ou même des journées c’est placer les parents et les employeurs dans des situations impossibles à gérer ». Et il passe aux recommandations. « Il me parait qu’on peut prendre en compte cette nécessité qui est d’intérêt général pour faire en sorte que l’accueil des enfants réponde à cette logique ».
Ces belles déclarations auraient du amener les politiques à modifier le protocole sanitaire pour le mettre en adéquation avec leurs déclarations. Ils ne l’ont pas fait et entretiennent ainsi un mécontentement qui est dirigé vers les professeurs.
Quelle solution ?
Pour accueillir davantage d’élèves en classe il faut changer le protocole c’est à dire revenir sur la distanciation et le nombre maximum de 15, qui n’est plus au protocole mais que le ministre a rappelé le 6 juin.
C’est ce qu’a fait la Belgique en créant le concept de bulle de sécurité. Tous les enfants d’une classe forment un groupe de sécurité. L’essentiel étant que chaque classe ne croise jamais une autre classe. Le concept a ses limites. C’est difficile d’assurer la gestion des espaces et des nettoyages des espaces communs entre les passages des groupes. Mais il suppose aussi qu’il n’y ait pas d’échanges entre enfants ou professeurs hors de la classe, ce qui semble impossible. Les décideurs ont donné clairement la priorité à la reprise économique et pris des risques.
En France l’équilibre entre le risque et l’avantage de la reprise est remis en question sous la pression des milieux économiques. Alors qu’on commence à comprendre que la crise sanitaire va être suivie d’une catastrophe économique et sociale, la sécurité sanitaire est déjà au second plan chez eux et peut être bientot chez les politiques. Aux parents et aux professionnels de voir si le jeu de l’affaiblissement du protocole sanitaire dans les écoles vaut le risque à moins d’un mois des vacances d’été. De toutes façons le prof bashing n’empêchera pas le moment de reddition des comptes pour les politiques.
François Jarraud