Professeur en lycée professionel et co secrétaire académique du Snuep Fsu, Nasr Lakhsassi analyse les effets des récentes mesures prises par le gouvernement pour sauver l’apprentissage. Pour lui , » En considérant l’apprentissage comme un moyen de lutte contre le chômage des jeunes, Muriel Pénicaud se trompe ».
Le gouvernement a pris le 4 juin des mesures en faveur de l’apprentissage. Vous semblent -elles efficaces ?
La mesure la plus importante prend la forme d’une aide financière à l’embauche d’apprentis, qui sera versée entre le 1er juillet 2020 et le 28 février 2021 aux entreprises qui embauchent des alternants titulaires d’un CAP ou d’une licence professionnelle. Le montant de cette prime sera de 5.000 euros pour l’embauche d’alternants de moins de 18 ans ou de 8.000 euros pour les alternants majeurs. Elle sera versée sans condition dans les entreprises de moins de 250 salariés. Les plus grandes entreprises devront justifier d’un taux de 5% d’alternants dans leurs effectifs d’ici 2021 pour profiter de cette aide.
Une deuxième mesure vise à aider directement les jeunes apprentis qui recherchent un contrat d’apprentissage. Ainsi, les jeunes qui n’ont pas pu signer de contrat d’apprentissage, vont bénéficier d’une durée prolongée pour rester dans leur centre de formation. La loi Avenir professionnel permettait à un apprenti de rester trois mois dans son CFA, le temps de trouver un employeur et de signer un contrat d’apprentissage. Grâce à cette mesure, ils auront jusqu’à six mois pour trouver un contrat d’apprentissage. Un apprenti qui s’inscrit en septembre prochain dans un centre de formation aura donc jusqu’au 28 février 2021 pour trouver une entreprise.
L’objectif du gouvernement est de maintenir artificiellement le nombre d’apprentis déclaré en 2019; ainsi il s’apprête à mobiliser des moyens financiers importants de l’état sans aucune garantie ni engagement de la part des entreprises. Il est clair que ces aides vont encourager les employeurs à faire appel à des apprentis gratuits ou quasiment gratuits pour leurs entreprises. Cela peut avoir pour conséquence de ne pas embaucher les apprentis actuels en fin de cursus pour les remplacer par de nouveaux apprentis gratuits et encore plus grave, de licencier économiquement des travailleurs en CDI et d’en remplacer certains par des apprentis. Cet effet d’aubaine peut avoir de sérieuses conséquences sur l’emploi. Devant chaque crise, tout le système se trouve fragilisé car il dépend avant tout de la situation économique du pays.
Ont elles un impact sur les lycéens professionnels ?
Les différents dispositifs de la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » favorisent l’apprentissage et par conséquent marginalisent les lycées professionnels ; ainsi on observe que la sélection des jeunes par les entreprises produit une concentration des élèves les plus fragiles économiquement et socialement dans la voie professionnelle publique.
Devant l’absence d’une vision globale et équilibrée, tout aide à l’apprentissage se traduit par des dégâts dans les établissements de l’enseignement professionnel public. La réduction drastique de la part de la taxe d’apprentissage, l’aide pour le permis de conduire pour les apprentis et pas pour nos élèves…., et la dernière mesure du gouvernement (4 juin 2020) qui va octroyer aux apprentis un équipement informatique ne sont pas de nature à équilibrer l’intérêt porté par l’état aux apprentis et aux élèves de LP. C’est une bonne mesure pour quelles raisons les élèves de la voie professionnelle ne sont pas concernés ?
La formation des jeunes, y compris celle des lycéens professionnels, doit elle tenir compte du marché du travail ?
La crise sociale et économique devrait être l’occasion pour reconstruire et conforter une vision méthodique et complète d’une formation initiale de l’Homme du travailleur et du citoyen, favorisant l’insertion professionnelle après le diplôme ou la poursuite d’études.
La formation ne doit pas tenir compte uniquement du marché de travail et de l’employabilité immédiate. On le voit bien avec cette crise où tout s’est écroulé en quelques jours. Ce sont ces moments-là qui justifient encore plus l’existence d’un service public de l’enseignement professionnel avec ses cours théoriques et pratiques. La recherche à tout prix de l’employabilité immédiate avant la crise risque d’avoir de sérieuses conséquences sur l’avenir de nos jeunes dans les mois et les années à venir.
Le gouvernement dépense beaucoup d’argent pour l’apprentissage, encore un milliard par exemple le 4 juin. Cette voie de formation vous semble t- elle efficace pour l’insertion des jeunes ?
Cela pourrait être plus d’un milliard, car tout dépend du nombre et de l’âge des apprentis. En considérant l’apprentissage comme un moyen de lutte contre le chômage des jeunes, Muriel Pénicaud se trompe alors que c’était son argument principal pour justifier la mise en place de la loi Avenir professionnel, avec tous les moyens financiers dégagés par le gouvernement. La preuve c’est que l’apprentissage n’a pas résisté à la première crise après l’application de cette loi. D’ailleurs comment pouvait-il en être autrement avec une formation patronale liée étroitement à la situation économique ? C’était couru d’avance en cas de crise…On a affaire à des idéologues !
Contrairement à ce qui est avancé par le gouvernement, une étude publiée le 17 avril 2020 sur le site de la Chaire « Sécurisation des parcours professionnels » montre qu’un apprenti qui n’a pas été embauché par son employeur à l’issue de sa formation n’aura pas plus de chance qu’un lycéen professionnel de recevoir une proposition d’entretien d’embauche. Ses auteurs, Pierre Cahuc et Jérémy Hervelin, observent qu’augmenter la part de jeunes en apprentissage a des effets très limités sur le chômage des jeunes si cette augmentation ne s’accompagne pas d’une plus grande rétention des apprentis dans leur entreprise de formation ». On ne peut pas être plus clair.
Propos recueillis par F Jarraud