« Si l’école se doit d’apporter les aides adaptées lorsque la difficulté scolaire d’un enfant est mise en rapport avec une situation de handicap, elle se doit également d’apporter les aides liées à la difficulté ordinaire mais durable d’apprendre, qui se situe sur un autre plan ». Et ça c’est el travail des Rased, notamment des maitres rééducateurs. Laurence Fourtouill est enseignante spécialisée à dominante rééducative, dite aussi relationnelle, dans un Rased. Elle est, par ailleurs, présidente de la Fnaren, fédération nationale des associations de rééducateurs de l’éducation nationale, qui a été créée en 1984 et qui rassemble plus de la moitié des professionnels. Elle montre comment les familles, faite de Rased, se replient sur les médicaments.
Qu’est-ce que la Fnaren ?
La Fnaren avait initialement pour objectif la reconnaissance de la spécificité et de l’identité professionnelle des rééducateurs et des rééducatrices de l’Éducation nationale et de la diversité de leur fonctionnement et de leurs pratiques.
La création de notre association se situe alors que ces professionnels exerçaient leurs missions de prévention et de remédiation de la difficulté scolaire dans le cadre des GAPP, groupe d’aide psychopédagogique. En 1990, les Rased, réseau d’aide aux élèves en difficulté ont remplacé les GAPP. Les rééducateurs en psychomotricité ainsi que les rééducateurs en psychopédagogie qui constituaient alors avec les psychologues scolaires les GAPP se sont alors inscrits, les uns comme enseignants spécialisés dans l’aide à dominante rééducative, les autres comme enseignant spécialisés dans l’aide à dominante pédagogique et ont constitué alors les Rased avec les psychologues scolaires devenus en 2016 psychologues de l’Éducation nationale.
Dès 1985, la Fnaren a organisé chaque année un congrès dans une ville de France différente afin de proposer à ces adhérents des temps de travaux fédératifs et à la profession, des temps de formation continue. Le 35ème congrès de la Fnaren devait se tenir en mai 2020, il est reporté en 2021 en raison de la pandémie. La Fnaren s’est également dotée de publications : une revue trimestrielle aujourd’hui nommée « envie d’école », une revue annuelle de recherche nommée l’Erre.
Depuis 2008, l’association poursuit son objectif de reconnaissance initial auquel se rajoute le combat pour le ré abondement en postes et la reconstruction de la formation nécessaire en temps et en contenus. Ce combat est heureusement soutenu par les équipes enseignantes dans le cadre des organisations syndicales, par les familles et par de nombreux partenaires. Le collectif national Rased, crée en 2009, est toujours mobilisé dans ce sens. La pertinence des actions de ces professionnels est reconnue par de nombreux chercheurs dans le champ des sciences humaines. Nombre d’entre eux sont membres du comité scientifique de la Fnaren et conviés régulièrement à intervenir comme conférenciers dans les congrès de la Fnaren ainsi que par les Aren départementales dans le cadre des temps de formation continue qu’elles organisent.
Depuis 2008, les Rased sont détricotés, en termes de postes mais aussi de formation, qu’en est-il ?
Les politiques éducatives successives notamment depuis 2008 ont eu pour conséquence, pour des raisons à la fois idéologiques et comptables, la suppression des postes d’enseignants spécialisés ainsi que la quasi-disparition de la formation aux métiers des enseignants spécialisés des Rased.
La formation CAPPEI (ndlr : certification pour la spécialisation) ne répond pas aux besoins identifiés tant en termes de départs en formation qu’en termes de contenus de formation. Pour des raisons idéologiques mais pas seulement, car certaines académies tout en continuant de soutenir la pertinence des missions des Rased n’ont plus les moyens pour des départs en formation.
Notre constat est donc une diminution en moyens pour que les Rased puissent réaliser leurs missions de prévention et de remédiation dans une école qui se voudrait aujourd’hui inclusive avec comme objectif la réussite de tous les enfants. Il existe des départements sans enseignants spécialisés ou avec très peu. Il n’y a donc pas d’égalité de l’aide apportée aux élèves en difficulté sur notre territoire. Les secteurs d’intervention des enseignants spécialisés sont de plus en plus grands : parfois un maître G pour 18 écoles. Il est donc devenu très difficile voire impossible de répondre aux besoins exprimés par les équipes.
Dans de nombreux endroits, où le Rased n’existe plus, les équipes et les familles se tournent vers une réponse médicalisée à la difficulté scolaire. Si l’école se doit d’apporter les aides nécessaires et adaptés lorsque la difficulté scolaire d’un enfant est mise en rapport avec une situation de handicap ou d’un trouble, elle se doit également d’apporter les aides liées à la difficulté ordinaire mais durable d’apprendre, qui se situe sur un autre plan. Ces aides sont complémentaires et ne peuvent pas se substituer l’une à l’autre.
La qualité et la spécificité d’un travail en Rased réclame qu’il soit constitué des trois professions afin que les demandes d’aides puissent être entendues, analysées et que des réponses d’aide puissent être proposées à partir du croisement des différents regards portés sur la situation, cela afin d’appréhender la difficulté scolaire d’un élève dans sa dimension complexe. La difficulté scolaire ne peut pas être réduite à des évaluations chiffrées.
Comme dans d’autres métiers dits de l’humain, le métier d’enseignant doit se protéger d’une logique comptable s’il veut pouvoir continuer à remplir sa mission dans le cadre d’un service public d’éducation. Hélas, il est victime de cette logique qui tend à s’installer dans le fonctionnement de l’institution. Il demeurera toujours une part d’énigme dans la difficulté scolaire tant elle est complexe et multifactorielle. Considérer que l’on ne peut ni tout contrôler ni tout maîtriser dans ce domaine ne signifie en aucun cas qu’on renonce à la résoudre. Au contraire, c’est ainsi que l’on se donne les moyens de la comprendre au mieux pour la résoudre dans le respect des acteurs en présence : les enfants, leur famille et les professionnels de l’école.
Nous vivons comme une catastrophe une école qui se priverait des compétences spécifiques et transversales et validées des professionnels du Rased.
Pourtant la crise a mis en relief les inégalités d’accès aux apprentissages, cela montre bien l’intérêt des Rased…
Dans le contexte actuel de retour à l’école de nombreux enfants réclament que nous soyons à la disposition des équipes, des familles et des élèves avec nos spécificités. Les enseignants spécialisés sont compétents pour aider à mettre du sens, pour aider à rassurer, pour proposer des situations favorables à l’élaboration, à la symbolisation, à la narration nécessaire à un accueil humain dans le contexte de la nécessité de respecter des consignes sanitaires strictes qui auraient tendance à déshumaniser les relations entre les personnes et à affecter les liens déjà mis à mal de l’enfant avec l’école pendant le confinement.
Nul besoin de rappeler qu’un enseignement à distance, rendu nécessaire par le contexte de la pandémie, ne peut remplacer la qualité d’un enseignement en présence, à l’école. L’enfant a besoin du groupe pour que se construise son sentiment d’appartenance à une communauté plus large que celle de la famille, pour construire des savoirs partagés qui reposent sur des valeurs communes. La relation intersubjective entre pairs et avec les adultes de l’école nécessite d’être en présence pour que la classe soit un espace contenant et rassurant, apprendre n’allant pas de soi et pouvant générer de la souffrance. La mission spécifique des enseignants spécialisés dans l’aide à dominante rééducative relationnelle s’inscrit dans cette difficulté rencontrée par certains enfants à investir les apprentissages.
Face à ce constat, ne pensez-vous pas que le ministre augmentera le nombre de postes et de départs en formation ?
Malheureusement, c’est loin d’être le cas… A la rentrée 2020, la carte scolaire fait état de la fermeture de 80 nouveaux postes d’enseignants spécialisés. Mais ce n’est pas nouveau, même s’il est vrai que nous avons du mal à avoir accès aux chiffres. Sous l’ère Sarkozy, nous avons eu une chute massive des départs en formation et des postes au mouvement. Sous Hollande, les départs en formation se sont stabilisés mais pas partout. Dans certaines académies, il n’y a eu aucun départ en formation depuis 20008. Pour vous donner un exemple, dans les Hauts-de-Seine, en 2018, il y a eu 8 départs en formation, cette année un seul…
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda