Comment modéliser facilement plusieurs points clés des chapitres de génétique en 1ère ? Philippe Picard, enseignant de SVT au lycée Valin de La Rochelle, a trouvé la réponse avec des colliers de pâtes colorées. Ses élèves ont 1h30 pour réaliser un assemblage correct de pâtes tout en respectant la complémentarité des bases, l’épissage, le code génétique et la maturation des protéines. Du gène à la protéine, la modélisation proposée par l’enseignant « apparaît à la fois compliqué et facile ». Son approche comporte aussi « une astuce de différenciation pédagogique » en incluant une mutation génétique … Une ruée prochaine des profs de SVT dans les rayons pâtes n’est désormais plus à exclure.
Quels sont les objectifs de cette modélisation proposée avec des pâtes ?
Je recherchais avant tout une manière originale de construire un fil directeur pour l’ensemble du thème de génétique avec mes premières. Il se trouve que j’encadre les étudiants du MEEF, auxquels je demande également d’être originaux dans les approches qu’ils me proposent, en évaluation finale de leur module d’enseignement. Certains d’entres-eux sont très prolifiques, je dirais même doués et en lisant la copie d’un certain Antonin Cabioch, je me suis dit que j’aurais aimé avoir cette idée, qu’elle ne pouvait que fonctionner en classe. Avec son accord et une remise en forme qui me convenait, j’ai donc adapté son TP. Les personnages (ouvriers de la cellule) s’ancrent facilement dans la mémoire des élèves et tout au long des TP et du cours, je reviens sur ces manipulations de pâtes colorées. Le pari me semble t-il est gagné, j’ai maintenant une certaine cohérence dans ma progression. L’objectif de débuter le thème de génétique avec une approche qui leur paraît un peu loufoque au départ, mais qui leur permet d’aller du gène à la protéine sans avoir travaillé aucune notion du cours, est à mon avis, pour la suite des activités en tout cas, assez rassurant.
Comment s’organise concrètement la séance?
Les élèves entrent et découvrent sur leurs tables avec des paquets et béchers remplis de pâtes colorées. J’attends qu’ils soient surpris, j’annonce qu’ils vont balayer l’intégralité du thème en une heure trente et que la seule production que j’évalue à la fin de la séance est un collier de pâte. Cela leur apparaît à la fois compliqué et facile, ils touchent la complexité du problème dès qu’ils font le brin complémentaire de l’ADN, bien peu le réussissent du premier coup et assez rapidement, une sorte de challenge s’installe, qui va arriver à trouver la première étape qui paraissait si simple. La mayonnaise prend donc assez rapidement…
Que ressort-il de cette manipulation ? Quels sont les retours de vos élèves ?
Le côté ludique de l’apprentissage me plaît et les pâtes colorées sont un support que j’utilise à nouveau deux fois durant le thème. Toucher du doigt, au sens propre, la relative complexité des mécanismes comme la complémentarité des bases, le remplacement de T par U, l’épissage, le code génétique et la maturation des protéines est à mon avis extrêmement formateur pour la compréhension du cours (même si on déborde un peu des notions du programme), c’est d’autant plus vrai lorsqu’ils se trompent plusieurs fois et qu’au final il parviennent à un collier de pâte correct. Mais tout le monde sait que la modélisation et l’erreur sont des piliers de cognition. Concernant les retours des élèves, j’ai l’impression que cela les rassure sur ce que je vais leur demander par la suite, ils abordent le cours avec, je pense, moins d’appréhension et accessoirement, cela enfonce un peu plus ma casquette de prof original, ce qui n’est pas pour me déplaire.
Vous prolongez aussi avec une mutation. De quoi s’agit-il ?
Tous les élèves n’avancent pas au même rythme, le brin d’ARN est pour certains binômes assez long à obtenir. Une fois fait, ils comprennent leur erreur et arrivent comme les autres au collier final de la protéine mature. Mais il y a toujours des « rapides » qui effacent les obstacles et la mutation de fin de séance, c’est simplement une astuce de différenciation pédagogique pour les emmener un peu plus loin, tout en valorisant leur réussite.
En général, moins d’un tiers des binômes arrivent jusqu’à cette mutation. J’insiste sur le caractère complètement aléatoire du phénomène puisqu’ils lancent un premier dé pour localiser la mutation, puis en lance un deuxième pour savoir si on a affaire à une délétion, une substitution, ou une addition de nucléotide. Ils n’ont aucun mal à me retrouver la séquence primaire de la protéine mutée. Je réactive cette partie du TP quand on aborde bien entendu la variabilité de la molécule d’ADN, les facteurs mutagène et la partie « génétique et santé ».
En seconde, vous proposez une production d’organes génitaux en pâte à modeler. Quels sont les atouts de cette approche pour comprendre les notions du programme ?
Je pourrais me répéter, mais il s’agit pratiquement des mêmes « ficelles », du manipulatoire, du ludique, de l’originalité placés en début de thème, avec pour différence que c’est une idée personnelle. Mais là encore, il n’y a jamais vraiment d’idée personnelle, avec des collègues, nous avions déjà construit des activités à base de pâte à modelée pour remplacer l’absence de dissection dans nos progressions. Je n’ai fait qu’adapter l’existant qui fonctionnait très bien en classe et j’ai pris le temps de partager l’activité en écrivant l’article.
Concernant les productions des élèves, cela surprend toujours de constater la multiplicité des modelages obtenus en fin de séance, alors qu’ils ont tous le même support vidéo. Encore une bonne raison, qui nous conforte dans l’idée de faire de la différenciation durant nos séances.
Propos recueillis par Julien Cabioch
Le projet « expression génétique avec des pâtes »
Le projet « appareils génitaux en pâte à modeler »
Dans le Café
Philippe Cosentino : De l’intérêt pédagogique de la modélisation