Peut-on redémarrer l’économie en maintenant les écoles fermées ? Probablement pas. L’économie doit-elle passer en priorité ? Apparemment oui pour l’Élysée. Le gouvernement décide de rouvrir entreprises et écoles le 11 mai. « A partir du 11 mai, nous rouvrirons progressivement les crèches, les écoles, les collèges et les lycées », déclare le 13 avril le président de la République. Écoles et établissements vont rouvrir avec « des règles particulières » qui restent à définir. Mais déjà syndicats et enseignants font part de leur crainte devant le risque sanitaire.
Une réouverture progressive des écoles
Quelle place pour les enseignants et l’École dans la stratégie suivie par Emmanuel Macron ? Elle est sans doute centrale. En tous cas son discours du 13 avril s’est ouvert sur un hommage aux enseignants qui « dans la deuxième ligne.. ont permis à la vie de continuer ». Le président a aussi cité l’enseignement à distance comme « une vraie réussite », quitte à en montrer les limites quelques secondes plus tard.
« A partir du 11 mai, nous rouvrirons progressivement les crèches, les écoles, les collèges et les lycées », a déclaré E Macron. « C’est pour moi une priorité car la situation actuelle creuse des inégalités. Trop d’enfants, notamment dans les quartiers populaires et dans nos campagnes, sont privés d’école sans avoir accès au numérique et ne peuvent être aidés de la même manière par les parents. Dans cette période, les inégalités de logement, les inégalités entre familles sont encore plus marquées. C’est pourquoi nos enfants doivent pouvoir retrouver le chemin des classes ». Par contre l’enseignement supérieur reste fermé jusqu’à l’été, ce qui devrait englober les classes de BTS et CPGE des lycées.
Quels aménagements ?
Cette réouverture des établissements sera accompagnée d’aménagements, précise le président. « Le Gouvernement, dans la concertation, aura à aménager des règles particulières : organiser différemment le temps et l’espace, bien protéger nos enseignants et nos enfants, avec le matériel nécessaire ». Là aussi on attend des précisions sur cette réouverture « progressive » et les aménagements.
E Macron a promis pour le 11 mai « un masque grand public » à chaque français. Les tests seront réservés aux personnes « présentant des symptômes ». » Nous n’allons pas tester toutes les Françaises et tous les Français, cela n’aurait aucun sens », a ajouté le président.
Les syndicats et la sécurité sanitaire
Les syndicats n’ont pas tardé à réagir. Dans un entretien accordé au Café pédagogique, Benoit Teste, avant le discours d’E Macron, dit que « en priorité il faudra tester tous les élèves et tous les personnels et aménager les salles de classe pour respecter les gestes barrière. On voit mal comment on pourra à nouveau avoir des classes de 35 élèves par exemple. Il faudra sans doute faire des demi-groupes et imaginer ce que font les élèves qui ne sont pas en cours ».
Dans un communiqué, Stéphane Crochet, secrétaire général du Se Unsa, pose aussi la question des conditions sanitaires. « Il faudra que toutes les conditions de sécurité soient réunies », écrit-il sans fixer de détails. « Ensuite, la reprise de la scolarisation des élèves dans les écoles et les établissements nécessite que les équipes se retrouvent préalablement pour préparer ce retour. En effet, il faudra, d’une part, savoir accueillir les élèves et les familles qui auront vécu une situation très déstabilisante voire dramatique et, d’autre part, reprendre le cours d’une scolarité en intégrant pédagogiquement cet épisode de rupture de la fréquentation scolaire. Le terme « progressif » nécessite d’être explicité ».
Dans un avis rendu le 3 avril, le CHCT ministériel a adopté à la majorité (Fsu et FO pour, abstention de l’Unsa) exigeant « afin d’endiguer l’épidémie, pour assurer la sécurité et protéger la santé de tous les personnels, la mise en place du dépistage systématique comme le préconise l’OMS, à commencer par celui des personnels ayant des symptômes et ceux ayant été en contact avec des personnes infectées, de tous les personnels travaillant dans les pôles d’accueil des enfants de soignants ou ceux s’étant rendu sur leur lieu de travail ces trois dernières semaines, ainsi que de tous les personnels à risque ». Plus directement, le CHSCT « demande un dépistage généralisé des personnels et des élèves comme préalable à toute reprise d’activité ».
Des enseignants refusent « l’hécatombe »
Sur les réseaux sociaux, des enseignants ont réagi très négativement à l’annonce présidentielle. « En maternelle..gestes barrières..lol…laver toutes les 3secondes les feutres, ciseaux, pinceaux, matériel sportif… Ils sont vraiment à côté de la plaque » dit Lolya. « Ça va être intéressant de voir comment ça va se passer dans les couloirs de collège où se rassemblent des classes entières, dans les selfs, de voir en maternelle les petits avec des masques et la distance sociale à respecter, les classes surchargées déjà avant », explique un autre enseignant. « Les enseignants ne pourront pas changer les poignées de porte pour les ouvrir avec le coude, ne pourront pas faire laver les mains de tous avant chaque distribution de cahiers, feuilles, matériels divers, ne pourront pas éviter que les enfants s’approchent trop près en récré », relève une troisième enseignante. Plusieurs enseignants craignent « une hécatombe » et annoncent ne pas vouloirs travailler « sans masque et sans gel ». Toutes ces questions méritent réponse . Mais en auront-elles ?
Quel est le bon moment pour la reprise ?
Pour le Snuipp 34, « Le Président laisse entendre qu’il faut vite rouvrir les écoles pour accueillir les élèves, afin que les parents puissent retourner travailler et relancer l’économie rapidement. Mais la priorité devrait être la santé de la population et non l’impact économique ! »
Depuis plusieurs jours des voix, comme celle du MEDEF ou de l’UIMM, se sont élevées pour accélérer la reprise de l’économie. Selon l’Insee, chaque mois de confinement coute 6% du PIB. Deux mois représenteront donc 12% de richesses produites en moins. C’est sans doute la motivation première de la reprise le 11 mai.
Pour définir le bon moment de la réouverture des écoles, le gouvernement doit trouver le juste équilibre entre les intérêts économiques, les avancées sanitaires et les risques sanitaires. À défaut de vaccin et de traitement efficace, il faut espérer que d’ici le 11 mai le gouvernement soit capable de garantir les masques FFP2, le gel, les aménagements nécessaires pour éviter une reprise générale de l’épidémie dans les écoles.
François Jarraud