Organiser la nuit un événement dans le collège ? Fédérer la communauté éducative autour de l’écriture ? Double défi relevé au collège du Pont de la Maye à Villenave d’Oron en Gironde. Sophie Dutein, professeure de français, œuvre à ces « Plumes noctambules » : chaque année, entre 19h et 2 heures du matin, les 4èmes-3èmes, les anciens élèves, les adultes de l’établissement, les parents sont invité.es à venir au collège pour tenter d’écrire une nouvelle (ou une BD) à partir de contraintes d’écriture qui ne sont dévoilées qu’au dernier moment. Ce moment partagé autour de la littérature génère une ambiance de fête et de convivialité, tisse des liens entre les générations, fortifie le sentiment d’appartenance : « C’est un projet qui nous permet d’être fiers de nos élèves et de notre établissement, au point d’avoir envie d’y passer toute une nuit ! Au moins ! »
Comment ce projet d’occupation du collège est-il né ?
Une professeure de Lettres, Sophie Dutein, le professeur documentaliste Alexandre Martin-Gomez et un assistant d’éducation chevronné spécialiste des 3èmes, Christophe Schembri, sont à l’origine du projet : notre établissement est composé à plus de 60% de CSP défavorisées, nous accueillons des ULIS, des élèves non francophones. Et le constat que nous dressions souvent entre nous était que nous délaissions les élèves « sans problèmes ». Nous avions envie de les mettre en avant en leur permettant de se retrouver lors d’un moment privilégié… Nous avons adapté une idée : un concours d’écriture- à partir d’une conversation que j’ai eue il y a quelques années avec mes 3èmes, au moment d’évoquer le poète Alfred de Musset qui aurait écrit la plupart de ses « plus beaux sanglots » de nuit, pendant cette période silencieuse et propice à l’irruption de sa Muse. Un élève me demande alors avec autant de naïveté que de fulgurance pourquoi on ne faisait pas comme lui, de façon à mieux écrire…
J’ai décidé qu’il avait raison et nous avons monté le projet à trois, vite accompagnés par une autre collègue de Lettres enthousiaste, Nasia Ouahab.
Comment se prépare et s’organise cette nuit un peu spéciale ?
Nous informons les élèves concernés (4ème, 3ème, ULIS, et depuis deux ans les anciens) et les parents par le biais du site du collège, par voie d’affichage, par Pronote (notre logiciel de communication) et par bouche à oreille pour les anciens de la date fixée.
Au début, nous organisions cette nuit la veille des vacances de Toussaint, puis de Noël. Mais la veille des vacances de Noël, tout le monde a mieux à faire ( !…), même les professeurs. Nous essayons de nous laisser du temps pour récupérer physiquement et en même temps nous ne pouvons pas attendre trop dans l’année, parce que les corrections, les votes et la diffusion du palmarès doivent suivre cette nuit folle.
Cette année, nous avons profité de la remise des diplômes du DNB pour organiser notre événement à la suite. Puisque beaucoup d’anciens élèves reviennent à cette occasion, ils font d’une pierre deux coups. Récupérer leur précieux sésame et se retrouver avec leurs anciens camarades (et professeurs…) en montrant leurs progrès et leur extraordinaire maturité acquise en quelques mois…
Les participant.es doivent relever le défi d’écrire des nouvelles : selon quelles contraintes et quelles modalités de travail ?
Chaque année, vers 19h, nous dévoilons les contraintes d’écriture sur le site du collège en même temps qu’aux participants présents au collège. Ceux qui veulent suivre chez eux peuvent accéder à la page prévue. Les participant, seuls ou à deux, ont jusqu’à 2 heures du matin pour finir. Une fois cette heure dépassée, tout doit être terminé.
Je concocte à chaque session 5 contraintes qui suivent le même principe de base. Ce qui donne lieu à présent à des paris et des devinettes avant l’événement. Une des contraintes porte sur le début ou la fin de la nouvelle. Cette année, il fallait commencer la nouvelle par la formule « Quelle purée de pois », une autre sur un mot ou une expression un peu littéraire, une autre sur un objet, ou un lieu, une caractéristique particulière, une quatrième porte sur un élément de narration et une cinquième oblige chaque participant à évoquer dans son histoire une célébrité morte dans l’année : cette année Michel Serres, l’an passé, les comédies musicales de Michel Legrand m’avaient inspirée, il y a deux ans Michel Tournier….
La nouvelle doit être tapée (police Arial 12, interligne 1.5), être mise en page, comporter entre 5000 et 8000 caractères, et les contraintes d’écriture doivent apparaître en gras.
Jusqu’à l’année dernière, nous demandions à ceux qui pouvaient le faire d’apporter leur matériel (ordinateur ou tablette), mais cette année, une dotation (enfin) nous permet d’être (presque) autonomes de ce point de vue…
Qui participe à cette nuit ? Avec quel état d’esprit ?
Les participants sont à l’origine des 4èmes et des 3èmes. Les petits 5èmes et 6èmes sont un peu jeunes pour écrire une nouvelle et veiller aussi tard… Mais des exceptions sont toujours possibles…. Les adultes sont aussi invités à participer : personnels de l’établissement, enseignants, TOS, administratifs, avec un succès très modeste, il est vrai. Mais aussi les parents : cette année ils étaient 8, ce qui n’est déjà pas si mal. Et surtout, ce que nous n’aurions jamais pu imaginer au départ : les anciens ! La plus vieille est à l’université….
Ils sont tous surexcités, préparent à manger, apportent des bonbons, certains viennent en pyjama (chaud), avec leurs doudous (eh oui, même à 13 ans …). Certains viennent en fratrie, ou en famille ! Les parents sont ravis de venir pour cette nuit particulière et nous échangeons beaucoup à cette occasion.
Quel regard portez-vous sur les créations ?
Franchement, chaque année je suis bluffée par la qualité des travaux. Certains élèves apportent des anti-sèches, mes cours sur la structure de la nouvelle, par exemple. Il faut dire que nous prévenons bien tout le monde sur le sérieux du concours !
Tout le monde joue le jeu. Cette année, un élève de 3ème n’arrivait pas à finir. Après des heures de labeur, il ne voulait pas rater sa chute…. Sa mère et nous l’avons attendu plus tard que prévu….
Et puis, depuis l’année dernière, nous avons ouvert une section BD et œuvre graphique, avec l’aide de notre collègue d’Arts Plastiques, Thomas Darriet, qui apporte son lot de pépites…
Quels sont les prolongements de cette nuit au collège ?
En effet, la nuit ne suffit pas ! Le jury doit ensuite lire toutes les nouvelles, les corriger (rôle qui m’est naturellement dévolu, même si parfois les élèves viennent le faire au CDI), les mettre en page – là c’est Alexandre Martin-Gomez qui entre en piste- et ensuite se réunir pour délibérer : nous classons 3 à 5 nouvelles mais nous diffusons l’intégralité des productions. Si la section adulte était prévue dès le départ de cette idée folle, la section lycée s’est imposée à nous par la force des choses. Avec l’aide de Christophe Schembri et de son atelier impression 3d, nous disposons d’un trophée digne de ce nom depuis l’an passé… Nous établissons le palmarès et organisons une remise des prix (qui coïncide souvent avec la journée Portes ouvertes). Nous remettons un diplôme à chaque participant et quelques livres en récompense aux lauréats qui montent sur le podium.
Revenir passer une nuit de vendredi au samedi dans l’établissement, voilà qui paraitrait un peu insensé à beaucoup : en quoi un tel événement vous semble-t-il profitable pour toute la communauté éducative ?
L’action est menée depuis 4 ans. Le succès ne se dément pas. C’est devenu un temps sacralisé, un événement attendu, un rendez-vous incontournable. Pour les organisateurs, le retour des élèves sur l’événement et l’ambiance festive engendrée par l’ambiance particulière (écrire la nuit, se retrouver au collège entre élèves et adultes qui aiment lire et écrire) est absolument inédite. Le partage avec les anciens élèves qui reviennent « sur les lieux de leur crime » pour l’occasion est extraordinairement précieux. Il nous permet de partager un moment privilégié autour de la littérature avec un public élargi : parents, élèves, anciens, TOS, collègues, en montrant ainsi que les générations peuvent collaborer, discuter, être ensemble et fiers de participer un projet culturel sans esbrouffe. C’est un projet qui nous permet d’être fiers de nos élèves et de notre établissement, pourtant entaché d’une piètre réputation depuis des années, et de nos élèves au point d’avoir envie d’y passer toute une nuit ! Au moins !
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut