Selon l’avis du Conseil d’Etat sur la loi retraites, le principal engagement de l’Etat pour revaloriser la rémunération des enseignants est contraire à la constitution. Le seul argument concret du gouvernement pour que les enseignants acceptent la réforme s’effondre. Le gouvernement pouvait-il ne pas savoir que son engagement est sans valeur ? Pourquoi l’avis du Conseil est-il communiqué maintenant ? Quelles conséquences cela a-t-il pour les enseignants ?
La loi de programmation pivot de l’engagement du gouvernement
C’était le 11 décembre 2019. Edouard Philippe présentait le projet de loi sur les retraites et s’engageait à » à une revalorisation de leurs traitements avant la fin du quinquennat ». « L’accent sera mis sur le début dans la carrière mais pas seulement », ajoutait-il. Dans l’après midi, JM Blanquer nous précisait que cette revalorisation prendrait la forme d’une loi de programmation. Le 7 janvier sur LCI, il revenait sur cette loi de programmation en précisant qu’elle serait inscrite dans la loi retraites apportant ainsi une garantie aux enseignants.
Effectivement l’article 1 de la loi sur les retraites , dans la version que le Café pédagogique a publié le 10 janvier et dans la version présentée au Parlement le 24 janvier, comprend bien cette mention d’une loi de programmation. » Le Gouvernement s’est engagé à ce que la mise en place du système universel s’accompagne d’une revalorisation salariale permettant de garantir un même niveau de retraite pour les enseignants et chercheurs que pour des corps équivalents de même catégorie de la fonction publique… Cet engagement sera rempli dans le cadre d’une loi de programmation dans le domaine de l’éducation nationale et d’une loi de programmation pluriannuelle de la recherche ».
Avec l’annonce d’une hausse de 500 millions du budget de l’éducation nationale de 2021, cet engagement était la seule garantie pour les enseignants qu’une revalorisation de leurs rémunérations aurait lieu. Le ministère de l’éducation nationale n’a pris aucun autre engagement. Et les discussions engagée depuis le 13 janvier tournent en rond et n’aboutissent pour le moment qu’à alimenter le flou et le brouillard qui caractérisent cette réforme.
Le Conseil d’Etat juge le dispositif anticonstitutionnel
Le Conseil d’Etat a balayé d’un coup le brouillard. Dans son avis sur la loi retraites, le Conseil d’Etat estime qu’imposer une loi de programmation dans une loi est contraire à la constitution. « Le Conseil d’Etat écarte les dispositions qui renvoient à une loi de programmation, dont le Gouvernement entend soumettre un projet au Parlement dans les prochains mois, la définition de mécanismes permettant de garantir aux personnels enseignants et chercheurs ayant la qualité de fonctionnaire une revalorisation de leur rémunération afin de leur assurer un niveau de pension équivalent à celui de fonctionnaires appartenant à des corps comparables. Sauf à être regardées, par leur imprécision, comme dépourvues de toute valeur normative, ces dispositions constituent une injonction au Gouvernement de déposer un projet de loi et sont ainsi contraires à la Constitution (décision n° 89-269 DC du 22 janvier 1990, cons. 38) », note-il.
Autrement dit, quand la loi retraites arrivera, inévitablement, devant le Conseil constitutionnel, le Conseil constitutionnel ne pourra qu’appliquer une règle qu’il a lui-même établie et annuler cette partie de l’article 1. Il libèrera ainsi le gouvernement de son obligation.
Ainsi disparait le principal engagement du gouvernement pour la revalorisation des enseignants. Plus de 5 mois après l’ouverture de consultations et de discussions sur la réforme des retraites des enseignants, les enseignants n’ont aucun engagement gouvernemental alors qu’il vont être les premières victimes de la réforme, leurs pensions allant fortement baisser.
Que dit d’autre le Conseil d’Etat ?
Le Conseil d’Etat est d’ailleurs très sévère pour ce texte. » L’étude d’impact initiale qui accompagne les deux projets de loi est apparue, pour certaines dispositions, insuffisante au regard des prescriptions de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009″, dit-il. Il relève le nombre très élevés d’habilitations à procéder par ordonnances (29 ordonnances sur 23 articles). » Le Conseil d’Etat souligne que le fait, pour le législateur, de s’en remettre à des ordonnances pour la définition d’éléments structurants du nouveau système de retraite fait perdre la visibilité d’ensemble qui est nécessaire à l’appréciation des conséquences de la réforme et, partant, de sa constitutionnalité ». Il souligne que le projet de loi » intervient dans un contexte de relative solidité du système français de retraite, en raison notamment des réformes des années récentes » : il n’ya a donc aucune urgence à faire ce texte. Il affirme aussi que le texte » ne crée pas un « régime universel de retraite » » puisque coexisteront 5 régimes avec des règles dérogatoires au système universel et même « plusieurs caisses distinctes ».
Le Conseil d’Etat alerte aussi sur l’avenir financier de la réforme. » Le Conseil d’Etat constate que le projet a pour objectif de stabiliser la dépense liée aux retraites à 14% du PIB. Or le nombre de personnes de plus de soixante-cinq ans étant appelé à augmenter de 70% d’ici à 2070, il appelle l’attention du Gouvernement sur la nécessité, pour le cas où le maintien du niveau relatif des pensions individuelles serait assuré par une élévation de l’âge de départ à taux plein, d’appréhender l’impact de telles évolutions sur les comptes de l’assurance-chômage, compte tenu du faible taux d’emploi des plus de 65 ans, et les dépenses de minima sociaux, toutes données qui sont absentes de l’étude d’impact du projet de loi ». Il estime que l’age effectif de départ en retraite va passer avec la loi à 65 ans et 2 mois.
Le gouvernement pouvait-il ignorer que sa disposition était illégale ?
E Philippe et JM Blanquer pouvaient ils ignorer que leur engagement n’en était pas un ? JM Blanquer est juriste de formation et spécialiste de la constitution. Il connait les avis du Conseil constitutionnel. Dans le cas où cet avis lui aurait échappé , le gouvernement est entouré de juristes professionnels qui rédigent les projets de loi. C’est en toute connaissance de cause que le gouvernement a rédigé ainsi l’article 1 de la loi. Et il maintient cette rédaction après l’avis du Conseil d’Etat. En clair, le gouvernement demande au conseil constitutionnel de le relever du seul engagement pris envers les enseignants et les chercheurs.
Qu’est ce qui attend les enseignants ?
L’étude d’impact de la loi, réalisée par le gouvernement, prévoit très clairement la baisse des pensions des seuls enseignants. Alors que les pensions des fonctionnaires non-enseignants vont progressivement devenir plus élevées qu’avant la réforme, celles des enseignants vont se détériorer. Les enseignants nés après 1975 vont connaitre une baisse de leur pension d’environ 2000 euros par an dès la génération 1975. Cette baisse va s’accentuer pour la génération des années 1980 qui verra sa pension passer de 28 000 à 24 000 € par an (en euros constants).
L’étude comporte des simulations de cas précis. Ainsi un attaché administratif né en 1990 aura une retraite supérieure dès l’âge de 62 ans à sa retraite actuelle alors qu’il faudra attendre un départ à 66 ans pour un certifié et à 67 ans pour un professeur des écoles pour garder la même retraite qu’avant la réforme. A noter que pour les enseignants ce calcul est basé sur un point fonction publique suivant l’inflation ce qui n’a pas été le cas ces dix dernières années du fait de son gel.
Que peuvent faire les enseignants ?
La publication de l’avis du Conseil d’Etat réduit à néant tous les engagements gouvernementaux et toute sa communication. Si cet avis est publié maintenant c’est que le gouvernement pense avoir déjà gagné la partie. Il constate la baisse de la mobilisation contre sa réforme, la division syndicale et laisse tomber le masque. Pour lui, la loi retraites sera adoptée à l’été 2021. Le gouvernement respectera t-il son engagement d’une revalorisation des enseignants ? Elle pourrait être limitée aux 500 millions promis dans le budget 2021. Pour le reste les enseignants pourraient s’en remettre à de nouvelles promesses qui ne vont probablement plus tarder.
L’annonce du caractère fallacieux de la promesse d’une loi de programmation signifie aux enseignants qu’il est clair que leur avenir se joue maintenant. C’est maintenant qu’il leur faudrait obtenir ou le retrait du projet de loi ou un accord sur de nouvelles grilles salariales ou de nouvelles primes avec un échéancier précis. Ce n’est certainement pas pendant l’été 2021 qu’ils seront en mesure de les obtenir. A défaut ils accepteraient leur déclassement définitif.
Le 24 janvier 2021, avant la publication de l’avis du Conseil d’Etat, à l’issue de la première journée de discussions sur la revalorisation, nous écrivions que « en attendant de trouver une solution, ou faute de volonté d’en trouver, on promène les syndicalistes ».
L’avis du Conseil d’Etat a sidéré les syndicats. Dans un communiqué du 25 janvier, la Fsu écrit que « le gouvernement a baladé les enseignants… Maintenant, nous savons… que le gouvernement s’est moqué de ses agent.es. Pour la FSU, le retrait de ce projet de loi s’impose ». Laurent Escure, pour l’Unsa, réagit dans un tweet : » Le Conseil d’État se prononce sur la forme. Au gouvernement et à la majorité d’en tenir compte pour leur réforme. L’UNSA sera très attentive à la sécurisation des protections, avancées, garanties et compensations qu’elle a déjà obtenue et restera offensive ».
François Jarraud