« La formation a perdu la moitié de ses étudiants ». Partant d’une enquête menée auprès de trois générations d’étudiants des IUFM puis ESPE normands entre 2007 et 2015, Jean-François Thémines dresse, dans un ouvrage publié par les presses universitaires du Septentrion, le constat d’un divorce croissant entre les futurs néotitulaires et les valeurs de l’Ecole. Pour lui, le le modèle de professionnalisation imposé par en haut aux professeurs change sans cesse rendant la formation de plus en plus difficile. Depuis 2012, JF Thémines constate que la moitié des nouveaux professeurs des écoles ne croient plus dans l’institution et se désengagent du collectif institué. Une évolution sur laquelle il revient dans cet entretien.
Avec votre équipe vous avez conçu trois questionnaires très riches soumis aux futurs professeurs des écoles étudiant en ESPE en 2007, 2012 et 2015. Vous en publiez les résultats. Quelle évolution constatez vous dans leur conception du métier enseignant ?
Nous constatons surtout une perte de cohérence dans la représentation du métier. En 2007 il y a une grande cohérence. Mais à partir de 2012, où la formation initiale a été mise à mal depuis 2010, nous voyons une dispersion des étudiants sur des conceptions différentes. Cela continue en 2015 amlgré une formation restructurée et la masterisation.
La dispersion des réponses est vraiment le trait dominant à partir de 2012. Les étudiants se dispersent autour d’items renvoyant aux grandes finalités de l’Ecole mais aussi sur des items relevant de la didactique comme la construction des progressions ou le rapport à l’évaluation. Les stagiaires perçoivent l’importance de ces questions mais ne les relient plus aux autres compétences. Le métier d’enseignant se réduit presque à la nécessité de conserver une relation de qualité avec les élèves, cela sans lien avec les apprentissages.
Vous dites que l’on voit apparaitre un groupe qui est en opposition avec la professionnalisation demandée par l’institution…
En 2007, 90% des stagiaires adhèrent au modèle de professionnalisation préconisé par l’institution. 10% sont distance du modèle. En 2012 on voit que les stagiaires se répartissent en deux réseaux : un réseau qui adhère à la professionnalisation officielle et un réseau qui la rejette. La formation a perdu l’adhésion de la moitié des étudiants. En 2015 l’adhésion redevient majoritaire mais avec un lot de personnes qui sont à distance du modèle important.
Cette distance résulte de la seule rupture de la formation initiale sous Chatel ? Ou c’est plus complexe ?
C’est plus complexe. En 2012 les stagiaires vivent la première masterisation qui oblige les étudiants à poursuivre 3 objectifs en même temps : obtenir le concours, assurer son master et se débrouiller lors des stages. Ils s’y perdent.
Mais il y a aussi un autre élément qui apparait et nous inquiète : c’est le désengagement des stagiaires par rapport à la dimension collective du métier, par exemple dans l’affirmation de l’équipe d’école. PLus ça va plus les stagiaires privilégient le collectif informel. Ils pensent que le métier s’apprend dans l’informel, par exemple avec des ressources sur internet.
Le discours sur la nécessité de faire collectif n’arrive plus à les convaincre. Nos pratiques de formateurs n’y arrivent pas plus quand on essaye de la nécessité du travail formel.
Peut on parler d’un déficit de valeurs ?
Je dirais qu’il n’y a plus adhésion franche aux valeurs de l’Ecole. Les étudiants sont davantage engagés dans le rapport individuel avec les élèves et peut-être avec leurs collègues. Mais ils prennent de la distance, malgré la formation, avec les valeurs de l’école. Par exemple avec l’autorité. Pour eux l’autorité c’est y arriver avec sa classe seul. Ce n’est aps une notion construite politiquement et un rapport plus vaste au politique.
Ce qui nous préoccupe encore davantage c’ets la perte de cohérence du domaine didactique depuis 2012. Aujourd’hui il a perdu toute cohérence. Les stagiaires ne mettent plus en avant la question, pourtant centrale, des apprentissages. C’est comme s’ils couraient après plusieurs lièvres en étant finalement centrés sur la relation individuelle avec les élèves, sur la nécessité d’individualiser. Tout cela envahit l’horizon au détriment d’une réflexion sur la qualité des savoirs transmis au x élèves.
Cela découle du fait que le modèle de professionnalisation est imposé par en haut ?
On est bien dans un modèle transmis par en haut. L’idée des autorités c’est de transformer la professionnalité réelle à partir de la formation initiale. Donc on voit les référentiels métier changer avec la formation initiale. On change sans cesse les modalités d’entrée dans le métier. Ces modifications fragilisent le modèle de professionnalité par des modifications régulières et rapides.
On voit arriver une nouvelle réforme de la formation des enseignants. Comment cela va t-il changer la formation initiale ?
On se rapproche avec le projet ministériel du modèle de formation de 2010 qui a été le plus mauvais. 2010 pour les étudiants c’est l’année où ils doivent en même temps suivre trois objectifs de formation. Il n’y a plus de priorité et de cohérence. On devrait aller dans le même sens en 2020. Ce sera pire qu’en 2010 car les étudiants devront assurer un tiers temps de classe. Tout va se concurrencer. On voit mal comment ils pourront « s’approprier le métier », préparer un concours difficile et préparer un master. Bien sur certains réussiront. Mais ils n’auront pas réussi à relier ces 3 éléments entre eux.
Propos recueillis par F Jarraud
JF Thémines, P Tavignot (dir), Professeurs des écoles en formation initiale au fil des réformes. Un modèle de professionnalisation en questions, presses universitaires du septentrion, ISBN978-2-7574-2851-1