Après le succès de leur site de mutualisation des escape games, Patrice Nadam, formateur et professeur de SVT au lycée La Tour des Dames à Rozay-en-Brie (77), Mélanie Fenaert, professeure de SVT au lycée Blaise Pascal à Orsay (91) et Anne Petit, professeure-documentaliste au collège Château Rance à Scey-sur-Saône (70) écrivent à 3 mains un livre de 235 pages dédié aux jeux d’évasion « à destination de tout enseignant, formateur, animateur, passionné ». L’ouvrage captive par la réflexion pédagogique du trio sur cette pratique. Le flow, le nécessaire débriefing et surtout l’évaluation de ces jeux d’immersion sont décryptés par les enseignants. Le livre enrichi en QR-codes regorge ainsi de conseils pour réussir les défis posés aux élèves.
Que va-t-on trouver dans votre ouvrage ?
S’capade pédagogique avec les jeux d’évasion est le fruit de nos lectures, rencontres, échanges, découvertes personnelles, et surtout de notre propre expérience (succès comme échecs !). Il a été conçu à destination de tout enseignant, formateur, animateur, passionné, qu’il soit novice, initié ou expert en matière de jeu d’évasion pédagogique. Le lecteur y trouvera plusieurs chapitres de réflexion, apports théoriques et conseils, un pas-à-pas permettant de créer un escape game graduellement, des infographies et des fiches que nous avons développées pour notre site et nos formations, des témoignages et nos coups de cœur parmi les escape games référencés sur notre site.
La lecture de S’capade ne se veut pas linéaire, à la manière de ce que nous préconisons dans la conception des jeux d’évasion. Il est chapitré et « enrichi » (QR-codes) pour permettre les déambulations du lecteur, des allers-retours et approfondissements au gré de ses besoins, de ses envies et de sa propre expérience.
Enfin, notre ouvrage est aussi un support de jeu. En imprimant quelques documents supplémentaires, le lecteur pourra jouer à un escape game – Ellipse totale – qui s’appuie sur les pages du livre et permet de le découvrir d’une autre façon.
En quoi le « flow » peut-il favoriser les apprentissages ?
Le flow – théorie développée par le psychologue hongrois Mihaly Csikszentmihalyi – désigne l’état optimal de satisfaction d’une personne pleinement engagée dans une activité ou une tâche. Cela correspond à l’aptitude du joueur à se concentrer et se plonger dans une activité ludifiée et à la mener à son terme.
Concevoir un escape game, c’est permettre aux participants d’atteindre cet état de flow, d’immersion totale. Ce sentiment est d’autant plus renforcé qu’il est partagé par une équipe. On retrouve dans le jeu d’évasion de nombreuses dimensions de l’expérience de flow : le défi constitue un objectif clair, les rétroactions sont immédiates, le temps est bien souvent déformé (il semble passer bien trop vite !), une attention importante est nécessaire pour résoudre chaque énigme…
L’atteinte du flow n’est pas évidente ni à la portée de tous les joueurs, et la structure du jeu peut aussi l’entraver : des énigmes trop résistantes, une structure linéaire freinant la progression de l’équipe, un game master trop « interventionniste ». Il faut pouvoir trouver le bon équilibre entre ludique et niveau de difficulté de façon à préserver la motivation des joueurs. Nous insistons aussi sur le rôle de l’enseignant-game master qui doit savoir lâcher prise, laisser les interactions se faire, donner du temps aux joueurs, les laisser se tromper et réessayer, tout en sachant aider à bon escient et de manière graduelle.
Concentration et engagement jusqu’au bout de l’activité sont des qualités que les enseignants et formateurs attendent et cherchent à développer chez leurs élèves et stagiaires. L’implication et la satisfaction des joueurs favorisent la mémorisation des contenus, avec un sentiment d’effort moindre. Une fois le jeu arrivé à son terme, ce sera tout le travail de l’enseignant lors du débriefing qui sera facilité pour transformer l’expérience vécue en apprentissages.
En quoi le débriefing post-escape game est-il indispensable ? Combien de temps ?
La phase de débriefing constitue un retour sur l’expérience vécue et doit être pensée dès la conception de l’escape game. Comme l’indiquent plusieurs chercheurs comme Maud Sieber-Plumettaz, c’est le moment clé des apprentissages dans une séquence ludifiée. Éric Sanchez le souligne encore récemment : « On n’apprend pas en jouant, on apprend en réfléchissant sur son expérience lors du débriefing. » (« Jeu rime avec plaisir », Universitas).
La durée de cette phase dépend de la configuration et des objectifs du game master. Dans l’espace-temps contraint de la classe, il faudra veiller à lui consacrer tout de même un minimum de 15 à 20 minutes. Le débriefing permet de revenir sur les objectifs et les contenus pédagogiques du jeu d’évasion. C’est l’occasion d’une mise au point, un retour sur les savoirs rencontrés, voire une projection dans les tâches à venir dans le cadre d’un escape game de découverte.
Très concrètement, il s’agit de faire le point sur les ressentis des joueurs (un escape game est vecteur d’émotions) et évaluer les effets de l’action de jeu, en dégager les bénéfices. Mais aussi de revenir sur le contenu du jeu (les objectifs pédagogiques, les compétences travaillées, les notions en filigrane dans le jeu); effectuer un retour sur les énigmes et leur principe de résolution en prenant appui sur les éléments constitutifs de l’escape game (objets, documents…) ou des visuels (diaporama…); proposer une vision globale (cheminement, étapes, progression) à l’aide de l’organigramme du jeu ; analyser la session de jeu, la stratégie des joueurs sans entrer dans le jugement, et proposer ensemble des améliorations possibles et collecter des avis pour réajuster le kit.
Le débriefing doit être préparé, anticipé au même titre que le jeu lui-même (support diaporama, déroulement, questions). Il tient aux qualités d’animateur de celui qui le conduit et implique de favoriser autant que possible les interactions entre les joueurs, et entre le game master et les joueurs. Dans le cadre de la classe, nous insistons sur la nécessaire trace de l’expérience vécue, qu’elle soit orale ou écrite (podcast, carte mentale, texte…), collective ou individuelle. C’est une garantie supplémentaire de mémorisation.
Qu’entendez-vous par « IMC » pour évaluer un escape game ?
On a tendance à définir un escape game pédagogique par ses éléments constitutifs, nous les premiers d’ailleurs ! Nous avons rapidement développé le concept des 5E, les cinq éléments du jeu d’évasion pédagogique : Évasion, Énigmes, Équipe, Express, Éduquer. Mais ce n’est pas parce qu’on a assemblé tous ces éléments de « game » qu’on a construit un « bon » escape game pédagogique. L’IMC correspond à trois dimensions importantes et complémentaires des 5E à penser dès la construction, à évaluer dès le premier test du jeu : Immersion, Mouvement, Collectif. On insiste ici plus sur les mécaniques de jeu (play) qui permettront de faire du défi-évasion un bon support d’apprentissage lors du débriefing.
L’Immersion assure l’engagement des joueurs dans leur mission et participe à l’état de flow. Le storytelling, la part de fiction, l’accueil des joueurs, l’ambiance sonore, le décor en sont les conditions nécessaires, et permettront aux joueurs d’accéder au « cercle magique » du jeu (Huizinga).
La notion de Mouvement se réfère bien sûr aux déplacements physiques importants à nos yeux. Cela ne se limite pas à cette prise de possession de l’espace, mais sous-entend aussi la liberté d’action des joueurs, leur cheminement réflexif, la communication verbale. Un défi-évasion sollicite et stimule des intelligences multiples.
La dernière dimension correspond au Collectif. L’escape game est un jeu d’équipe par excellence. Il est important de créer des situations limitant la compétition, et favorisant plutôt la cohésion, la répartition des tâches et la dynamique de groupe (jusqu’à dix joueurs) afin de permettre une réflexion collective. La scénarisation, la répartition des éléments du jeu, l’imbrication des énigmes, l’organisation en îlots de la salle sont des facteurs facilitateurs.
Mouvement et Collectif sont des dimensions plus aisément intégrées dans les escape games réels (par opposition aux jeux 100% virtuels) qui sont de vraies Expériences Émotionnelles. Nous pourrions d’ailleurs ajouter un sixième E à notre concept, voire même un E2.
A-t-on désormais tout dit, tout lu, tout testé concernant les escape games pédagogiques ?
Les premiers escape games en classe sont apparus il y a trois ou quatre ans. On parle souvent d’effet de mode dont le pic serait atteint. Peut-être… On assiste peut-être également à un ancrage dans les pratiques, au même titre que d’autres outils pédagogiques. Affaire à suivre.
Il est vrai qu’on a beaucoup écrit sur les bases du jeu d’évasion pédagogique. Cependant, nous repérons encore des confusions et des défauts (notamment dans nos propres escape games) qui nous font réagir et écrire. C’est le cas par exemple du récent article « Adibou n’est pas un escape game ! » en réaction aux idées qui tendent à présenter certaines activités ludo-pédagogiques sur ordinateur comme l’avenir des escape games pédagogiques.
De même, il arrive parfois que la combinaison d’un cadenas soit découverte sans nécessairement résoudre la totalité des énigmes : nous allons publier prochainement un article de conseils afin d’éviter cette situation.
De plus, nous découvrons encore des évolutions des escape games pédagogiques. C’est le cas par exemple des jeux de cartes façon UNLOCK! dont Guillaume Berthelot est le spécialiste incontesté. De même, certains s’essaient à l’utilisation de la réalité virtuelle dans leurs escape games pédagogiques : les possibilités d’immersion dans des espaces et des temps différents sont décuplées.
Du côté de la Recherche, de nombreux écrits s’appuient sur le jeu en général et les jeux vidéo en particulier. Les résultats de ces travaux sont alors transposés aux escape games. La spécificité de ces derniers nécessite des études dédiées, et notamment sur leurs apports aux apprentissages.
Entretien par Julien Cabioch
S’capade pédagogique avec les jeux d’évasion éditions Ellipses ISBN : 9782340035461
Unfake, les escape games façon Unlock! de G. Berthelot
Interview d’Éric Sanchez et Véronique Dasen
Dans le Café
S’Cape : Le site de mutualisation des jeux d’évasion pédagogiques
Clara Combaud : La coopération par l’escape game
Anglais : Sherlock Holmes, un Escape Game pour les 4èmes