Au moment où les enseignants rentrent en classe, et malgré leur mobilisation exceptionnelle, leurs perspectives de retraite ne se sont en rien améliorées durant leurs congés. Ni la réunion de Nancy, ni les multiples déclarations ministérielles n’ont fait baisser leur détermination à obtenir une revalorisation permettant d’assurer leurs retraites. Le gouvernement multiplie les promesses mais les enseignants ne les croient simplement pas. Alors que le gouvernement veut sortir de la crise par une loi de programmation, la question de la confiance devient première. Or, deux ans et demi après avoir proclamé « l’école de la confiance », la crise de confiance est manifeste à l’Education nationale et devient un casse tête politique pour Matignon. Au centre du problème, JM Blanquer.
Ainsi le Premier ministre a confirmé le 19 décembre aux organisations syndicales qu’il y aurait une loi de programmation et une revalorisation des enseignants à partir de 2021. Il a annoncé le 23 décembre que JM Blanquer recevra les syndicats à compter du 13 janvier « pour leur présenter la méthode et le calendrier de négociations pour les 6 mois à venir ». L’objectif est « de parvenir en juin 2020, dans le cadre d’une approche globale du métier de professeur, à un protocole d’accord sur des scénarios de revalorisation permettant de garantir aux enseignants un même niveau de retraite que pour des corps équivalents de la fonction publique ».
Mais le gouvernement a beau multiplié les déclarations, il semble que les enseignants refusent de les entendre. Alors que le gouvernement veut régler la question des retraites enseignantes par une loi de programmation de 10 à 17 ans, la question de la confiance entre les enseignants et l’éducation nationale devient primordiale. Si le gouvernement ne l’obtient pas, il est apparu clairement à Nancy que cela tient d’abord à la dégradation de la relation entre le ministre de l’éducation nationale et les enseignants.
Pourtant, JM Blanquer a été bien accueilli en 2017 par des enseignants qui avaient particulièrement voté en faveur d’E Macron. Ses premières décisions, comme le retour à la semaine de 4 jours et l’annonce des dédoublements dans le 1er degré, la contre réforme menée au collège, ont été accueillies avec satisfaction par beaucoup d’enseignants.
Mais d’année en année, on a vu la défiance monter. Les enseignants du premier degré ont vu comment les dédoublements étaient faits en supprimant les maitres plus et en aggravant les conditions d’enseignement dans les autres niveaux ou dans les classes rurales. Ils ont vu les pressions hiérarchiques s’intensifier. « L’école de la confiance » est démentie sur le terrain par le controle étroit du travail enseignant et par la multiplication des livrets de toutes les couleurs pour imposer une orthodoxie pédagogique décrétée par en haut. Il a fallu le suicide de C Renon pour que le ministre ne puisse plus dire que les enseignants du premier degré sont satisfaits.
Au lycée, les professeurs vivent une réforme baclée qui semble avoir pour seul but de remplir les classes au maximum pour dégager des postes. Sur le terrain la réforme est une improvisation permanente que professeurs , élèves et familles vivent avec angoisse. Les premières épreuves E3C semblent fort mal parties. L’exaspération est montée à son comble avec la crise du bac à l’été 2019 et les enseignants n’ont pas oublié les notes falsifiées de cet examen national. Au lycée professionnel c’est pire : les enseignants vivent une déqualification en seconde et une baisse de moyens encore plus importante qu’en lycée général. Il a fallu que les enseignants violent le tabou du bac pour que le ministre ne proclame plus leur satisfaction.
Le collège se croyait épargné. Mais la rentrée prochaine va voir une baisse du nombre d’enseignants avec une hausse de celui des élèves. Et aussi l’annonce d’une nouvelle réforme des programmes de 2016, revus en 2017…
Cette intense agitation réformatrice se fait contre la profession qui a multiplié les mises en garde pour les associations professionnelles (les maths en lycée en sont le plus bel exemple) et les votes négatifs unanimes pour les syndicats en CSE. Mais le ministre n’en tient aucun compte. Il n’écoute ni les uns ni les autres. Le ministre passe son temps dans les médias. Il a fallu Nancy pour qu’il ne puisse plus dire qu’il ne rencontre que des enseignants satisfaits.
Ecoutons les enseignants de Nancy. Une trentaine de professeurs du bassin de Nancy vient d’envoyer une lettre ouverte au ministre de l’éducation nationale. » Lors de l’élaboration de la réforme du lycée, vous n’avez pas souhaité tenir compte d’objections formulées par les enseignants, niant de fait leur expertise », écrivent-ils. » Bien que dès votre prise de fonctions vous ayez reporté d’un an un accord de revalorisation antérieur, vous promettez maintenant un plan de revalorisation. Comment réclamer notre confiance dans ces conditions ? D’autant que nous regrettons que les modalités de ces revalorisations soient particulièrement floues, et qu’une fois de plus vous semblez céder à la tentation du diviser pour mieux régner, en instituant des critères d’âge et des primes, là où nous attendons une revalorisation de nos traitements… nous souhaitons que cesse l’usage de slogans publicitaires comme « École de la confiance » ou « Professeur du XXI-ème siècle », ou encore « les professeurs sont les gagnants de cette réforme », qui ne sont que des paravents pour masquer des réalités bien différentes de ce que ces slogans voudraient vendre ». Leur lettre a pour titre : « la confiance ne se décrète pas ».
Ainsi les promesses de revalorisation renouvelées depuis plus de 2 ans, les annonces d’une revalorisation déjà actée ne font que dévaloriser la parole ministérielle. A trop promettre sans tenir on finit par ne plus être cru.
Il est frappant de voir qu’aujourd’hui le ministre semble bien peu pressé de recevoir les syndicats sur la réforme des retraites. Les deux semaines de congé ont été perdues. Et JM Blanquer va attendre le 13 janvier pour recevoir les syndicats.
Ce manque d’empressement face à une mobilisation enseignante exceptionnelle ne peut avoir qu’une explication. JM Blanquer n’attend rien de cette rencontre. Pas seulement parce que sa personnalité ne l’incline ni au compromis, ni à l’écoute. Surtout parce qu’il sait que ses interlocuteurs et les enseignants ont perdu confiance et qu’il va lui être bien difficile d’être audible.
Comment construire un dialogue positif de confiance avec un ministre qui n’écoute pas les organisations syndicales depuis plus de deux ans ? Qui n’écoute pas plus les associations professionnelles ? Qui fait passer en force tous les dossiers contre les avis de la profession ? Qui veut imposer avec la réforme des retraites une nouvelle professionnalisation enseignante ? Cette question se pose à cette rentrée aux enseignants et à leurs organisations. Mais il est possible qu’on se la pose aussi à l’Elysée et à Matignon.
F Jarraud