Vitruve est une école publique sous convention d’expérimentation. Le fonctionnement de cette école, vieille de bientôt 60 ans a été largement documenté. Mais nous sommes allés voir ce qu’il en était concrètement. Dans cette école, nul directeur ou directrice. C’est un fonctionnement collégial reconnu par l’institution, aucun poste de directeur n’apparaît au mouvement, aucune indemnité de direction n’est versée non plus. Située dans le vingtième arrondissement de Paris, elle compte dix enseignants et neuf groupes d’élèves. Pas des classes non, pas de CE1, de CE2… Non des groupes d’élèves ayant un adulte référent. Seuls les CP ne sont pas en groupe multi-âge. Le reste des élèves est dispatché en cycle intermédiaire (CE1 et CE2) et cycle moyen (CM1 et CM2)..
« Je ne savais pas si j’allais aimer être enseignante ici »
Cette année, c’est Myriam Porcher qui est la coordinatrice. Ancienne élève de l’école, c’est un pur hasard si elle se retrouve à y enseigner ? « Je ne suis pas devenue instit en me disant que j’allais venir enseigner ici contrairement à l’une de mes collègues dont c’est le cas ». C’est un heureux concours de circonstances qui a ramené cette jeune enseignante dans l’école de son enfance. « Avant d’arriver ici, j’ai enseigné trois ans. La quatrième, je n’ai pas eu de poste au mouvement. L’une de mes collègues de l’époque, Isabelle, m’a dit qu’un poste était vacant suite à une double nomination. Cela fait six ans maintenant ». Connaissant le fonctionnement de cette école particulière, elle a beaucoup hésité. « J’avais des craintes de plusieurs ordres. J’avais peur de ne pas avoir les capacités et les compétences nécessaires au fonctionnement de l’école et je n’étais pas sûre non plus que cette pédagogie me convenait professionnellement. J’avais aimé être élève ici mais je ne savais pas si j’allais aimer être enseignante ici ». Pourtant, très vite, Myriam est convaincue, elle reste.
Un coordinateur nommé parmi les enseignants et par les enseignants eux-mêmes
Aujourd’hui coordinatrice, elle n’a pas l’impression de découvrir les différentes responsabilités qui sont inhérentes à sa fonction – qui se rapproche de celle d’un directeur. « Contrairement aux autres directeurs, je ne suis pas isolée. Je peux demander aux collègues qui ont déjà vécu cela. Et puis, moi-même, avant d’être coordinatrice, j’avais déjà entendu parler de toutes les tâches qui incombent à la fonction lors des réunions d’équipes ou lors de moments plus informels. J’ai été baignée en permanence, une sorte de préparation ». Myriam et ses collègues se réunissent tous les mardis soir lors d’une réunion d’équipe – et non un conseil des maîtres. Ce sont ces réunions qui régissent la vie de l’école, côté enseignant. D’ailleurs c’est lors de l’une d’entre elles, en fin d’année, qu’est choisi le coordinateur pour l’année suivante. Côté élèves, c’est le conseil d’école – avec les élèves et non au sens institutionnel du terme – qui régit la vie de l’école.
Plus de neuf heures par jour à l’école, et souvent beaucoup plus
Dans cette école particulière, les horaires sont eux aussi particuliers. Contrairement aux autres écoles parisiennes, les horaires ont fait l’objet d’une demande de dérogation à la ville de Paris lors de la réforme des rythmes. Les élèves ont classe de 9h à 16h, les lundis, mardis, jeudis et vendredis. Le mercredi, ils ont classe de 10h à midi mais sont accueillis à partir de 9h par une association de parents. Ces horaires ne sont pas anodins. Depuis le début de l’expérimentation, l’équipe enseignante a fait le choix de couvrir toute la journée de l’élève. Ce sont les enseignants qui encadrent la pause méridienne et l’étude du soir. Organiser des TAP était donc impensable. « On ne peut imaginer qu’un enfant soit Vitruvien entre 8h30 et midi, puis enfant lambda sur la pause déjeuner, puis à nouveau Vitruvien jusqu’à 16h30. Le projet que nous portons n’a de sens que s’il couvre tous les temps de l’enfant au sein de l’école ». Alors les enseignants ne lésinent pas sur les heures qu’ils passent dans l’école, des heures bien au-delà des 27 heures hebdomadaires réglementaires. Les différents événements de la vie de l’école – comme la braderie, le ciné couette, le bal… – demandent aussi une grande disponibilité, ce qui ne semble absolument pas peser à cette équipe ô combien dynamique.
Des groupes d’élèves et non des classes
L’un des gros enjeux de la convention d’expérimentation signée entre l’école, l’inspecteur de l’éducation nationale de circonscription et le rectorat, est le dixième poste de l’école. En effet, l’institution reconnaît neuf classes et pas de poste de directeur. Néanmoins, l’école a besoin d’un enseignant supplémentaire pour assurer le roulement sur la coordination. Autre enjeu, la souplesse laissée à l’équipe pédagogique dans l’organisation des apprentissages, organisation qui garantit que les élèves aient acquis les compétences attendues à la fin de l’école primaire. L’école ne fonctionne pas par niveau mais plutôt en multi-âges. Même si chaque groupe d’enfants – l’équivalent d’une classe – a un adulte de référence, bien souvent les enseignants fonctionnent par cycles, intermédiaire et moyens. Des groupes de besoins, appelés ici les ateliers, font aussi partie de l’emploi du temps hebdomadaire.
Des projets pour que les apprentissages prennent sens
Tous les projets, toutes les activités sont au service de la coopération. Les enfants apprennent en coopérant autour de projets qui prennent sens, c’est ainsi que l’on peut résumer le projet de Vitruve. Myriam explique le projet qu’elle a mené lorsqu’elle avait un groupe d’élèves, l’année précédente. Elle et sa binôme – sa collègue co-responsable du groupe de 54 élèves du même niveau, avaient décidé de travailler autour d’un projet qu’elles ont nommé La tournée, car il faut savoir que chaque classe porte le nom de son projet et non un numéro. Le projet La tournée avait deux grands axes : créer un spectacle d’inspiration médiévale et faire une tournée dans le cadre de la classe verte. « Dans un premier temps, et sur la première période de l’année, on les a nourris d’histoires médiévales que nous leurs avons lu et qu’ils ont lu eux-mêmes. Ils ont fait des exposés sur le sujet : le château médiéval, la nourriture médiévale, les vêtements… On a aussi visité des monuments dont la cathédrale de Paris. Tout cela leur a permis de se constituer un bagage culturel sur cette période de l’Histoire ». La seconde partie de l’année, les élèves ont écrit et construit le spectacle. Il leur a fallu aussi organiser la classe verte – car ce sont eux qui gèrent tout. « Ils ont dû trouver le lieu de la classe verte, ils ont écrit aux mairies avoisinantes pour demander à se produire dans leur village. Ils ont calculé le budget : transport, hébergement, courses pour les repas. Ce sont eux qui ont décidé du menu, calculer les quantités et les coûts nécessaires ». Sur place, la classe verte est en autogestion, « on loue juste les bâtiments ». Les animateurs, plus nombreux que dans une classe verte classique avec sept adultes pour cinquante enfants au lieu des 5 nécessaires, accompagnent les enfants dans le quotidien : confection des repas, entretien du centre…
Ainsi, les apprentissages sont souvent abordés dans le cadre du projet annuel mais cela n’empêche pas les séances d’apprentissages plus classiques, des séances décrochées, qui sont abordées dans le cadre des ateliers.
Les classes vertes pour tous les élèves et tous les ans
Partir en classe est une coutume à Vitruve, pour tous les élèves et tous les ans. Cette volonté a un coût de 60 000 euros. Alors, plusieurs projets avec les parents et les élèves ponctuent la vie de l’école et permettent de couvrir un tiers du coût final. La braderie, qui a lieu tous les ans sur une place près de l’école, permet de réunir plus de 15 000 euros. Les familles apportent les affaires dont elles n’ont plus l’usage, des parents volontaires les trient et le tout est vendu. La mairie et l’OCCE participent elles aussi à hauteur de 5 000 euros en tout. Le reste est financé par les familles en fonction de leurs revenus.
Ainsi à Vitruve, l’élève n’apprend pas la multiplication, il apprend à multiplier, il n’apprend pas à écrire, il apprend à rédiger des courriers. Il n’est pas spectateur de ses apprentissages, il en est le principal acteur. A Vitruve, on n’apprend pas la vie, on la vit. Du côté enseignant, on peut parler de sacerdoce. Une ambiance sereine et conviviale dans une école construite pour s’adapter à son fonctionnement si particulier, avec des espaces ouverts et une sorte d’amphithéâtre pour accueillir les nombreuses représentations de l’année.
Lilia Ben hamouda