Valérie Donzelli est la dernière cinéaste à avoir filmé Notre-Dame de Paris avant l’incendie du 15 avril dernier et les ravages engendrés par les flammes. Les images tournées, traces d’un pan disparu de notre histoire, suscitent une émotion troublante et confèrent un charme inattendu à « Notre dame ». Pour son quatrième long métrage, la réalisatrice opte pour une fiction pleine de fantaisie, foisonnante d’imagination. Une comédie sociale dans laquelle elle interprète le rôle principal en la personne de Maud Crayon, architecte mal assurée, mère de famille débordée, amoureuse dépassée. A travers le projet de réaménagement du parvis d’un monument historique emblématique et les tempêtes que déclenche la lauréate impromptue du concours organisé par la mairie de Paris, la cinéaste inventive dessine le portrait subtil d’une femme d’aujourd’hui sommée de concilier responsabilités et liberté. « Notre dame », sous ses habits fantasques et ses changements de registres parfois déroutants, suggère également les dangers qui minent nos sociétés en crise. Ainsi, de la comédie légère au burlesque en passant par le fantastique et le ‘musical’, Valérie Donzelli nous incite ici à nous fier au pouvoir de l’imaginaire pour habiter le monde et le changer.
Lauréate sidérée, sous la menace d’un échec programmé
Paris par une nuit agitée en un temps qui ressemble au nôtre. Vents violents, bourrasques intempestives au point de faire se soulever les objets en les déplaçant d’un point à un autre, comme sur un tapis volant. Un effet du réchauffement climatique aux conséquences incongrues…Pour l’heure, Maud Crayon (Valérie Donzelli), architecte dans un cabinet dirigé par un tyran au virilisme grossier, mère de deux enfants remuants et imaginatifs, séparée de Martial (Thomas Sciméca), mari immature revenant régulièrement se réfugier chez elle au moindre accroc avec sa nouvelle compagne), s’efforce d’assumer ses responsabilités sur tous les fronts.
Par un concours de circonstances incroyable au sens strict du terme, elle remporte le concours lancé par la mairie de Paris destiné au réaménagement du parvis de Notre-Dame.
Une chance inespérée qu’elle peine à saisir. Lors d’une séquence hilarante de réception dans les hauts lieux lambrissés de la municipalité, reçue par la Maire (Isabelle Candelier) et son adjoint (Philippe Katerine), la lauréate embarrassée s’évanouit à l’annonce du montant du budget alloué et se réveille…éberluée à l’hôtel de ville face à son amour de jeunesse ! C’est Bacchus (Pierre Deladonchamps). Le tutoiement est réciproque, le trouble partagé. Dans le même temps, à l’agence en ébullition, le directeur goujat souligne le potentiel de Maud dont il n’aurait jamais douté, fait mine de la nommer gérante par contrat. Cette dernière, pas dupe, peut surtout compter sur le soutien indéfectible de son généreux ami Didier (Bouli Lanners), l’un et l’autre s’épaulant mutuellement pour résister au despotisme et à l’hypocrisie de leur chef revendiqué.
Succession débridée d’événements déstabilisants
Notre héroïne à l’énergie désordonnée tente avec enthousiasme d’affronter tout ce qui lui arrive, la suite des événements ayant de quoi la désarçonner un peu plus. Lors de la visite chez sa gynécologue et amie, Coco (Virginie Ledoyen), l’échographie révèle une grossesse de quatre mois. Bien qu’elle n’en croit pas ses yeux (ni son ventre incroyablement plat), la jeune femme stupéfaite doit se résoudre à accepter d’être enceinte…de son ex-mari, lequel dort parfois dans son lit avec elle –le canapé déclenchant chez lui des insomnies.
Souvent enjouée, rarement déprimée, Maud navigue à vue entre ses obligations de mère (le père n’assure pas un cachou), la surveillance d’une grossesse non planifiée, le désir amoureux (Bacchus fait une cour assidue tout en se lassant des atermoiements de Maud) et les déconvenues en tous genres. Des déboires perturbants surtout liés aux hostilités déclenchées par sons projet ‘approximatif’ (initialement imaginé pour un jardin d’une banlieue) de réaménagement du parvis d’une cathédrale, trésor national, patrimoine mondial. Les catholiques intégristes chantant des cantiques et barrant l’accès au chantier rivalisent d’effroi avec les opposants (personnel politique, défenseurs du patrimoine architectural, esthètes autoproclamés…) scandalisés par la présentation en réalité virtuelle d’une maquette de la réalisation à venir…
Notre dame se sortira-t-elle du piège architectural dans lequel sa victoire inopinée au concours (fruit d’un malentendu géant) et les rêves de grandeur de la municipalité l’ont enfermée ? Face à l’échec qui lui pend au nez, à la ruine qui menace sa famille, notre téméraire héroïne reprendra-t-elle pied ? Dans le chaos ambiant qui touche sa vie intime, parviendra-t-elle à tracer sa voie (heureuse) ?
Jeux d’artifices, hymne poétique à la révolte libertaire
Un scénario (écrit avec Benjamin Charbit) aux bifurcations multiples, un filmage ouvert aux surprises du plateau et à la germination d’idées nouvelles alliés au jeu inventif des comédiens (habilement associés par un casting au cordeau) donnent naissance à une drôle de comédie sociale, cocktail détonant de mélanges des genres, de variations de registres. Une comédie déjantée qui prend parfois, la bride lâchée, des allures de cheval fou.
Fantaisie loufoque aux personnages proches de l’univers de la bande dessinée, fiction aux accents burlesques, plans fugitifs empruntés au fantastique (déchaînement du vent, diffusion toxique d’un gaz chimique rouge, déplacements insolites dans les airs défiant les lois de la pesanteur…), irruptions de chorégraphies acidulées ou de duos amoureux chantants à la manière des personnages habitant l’univers enchanté et cruel du cinéaste Jacques Demy. Valérie Donzelli ne s’interdit rien. Pas de gratuité cependant dans l’audace de ses partis-pris. Au fil de cette aventure échevelée, au-delà du récit de ‘l’histoire d’un échec lié à l’architecture’ selon le vœu de la réalisatrice, « Notre dame » met au jour les forces noires (culte de l’individualisme et de l’ambition professionnelle à tout crin, violence sociale en milieu urbain, dangers climatiques…) qui détériorent les relations humaines, entravent le désir d’aimer, font dépérir le goût du bonheur. Au bout du ‘conte’, « Notre dame » fait souffler un salutaire vent de libération dans un tissu social au bord de l’asphyxie. Et Maud Crayon –interprétée avec jubilation par la cinéaste- nous donne une tonique leçon d’indépendance en une envolée finale pleine d’amour et d’humour, clin d’œil au merveilleux et à la science-fiction revisités par Steven Spielberg dans « E.T. ». Ne boudons pas notre plaisir. Quel que soit notre âge, des passerelles existent entre le beau film humaniste du cinéaste américain et « Notre dame », incarnation féminine, décalée et poétique, d’une résistance libertaire au conformisme et à l’ordre dominant.
Samra Bonvoisin
« Notre dame », film de Valérie Donzelli-sortie le 18 décembre 2019