Certains commentateurs ne manqueront sans doute pas de se réjouir que la France se retrouve à peu près dans la moyenne des pays de l’OCDE, voire avec de très légers progrès. on entendra certainement aussi, chez de distingués experts, comme d’habitude, discutailler sur la nature des épreuves qu’on dira non adaptées aux programmes français, on ergotera sur les multiples biais qui pourraient invalider ces résultats etc.. C’est sans analyser de plus près ce que camoufle cette « moyenne » , sans avoir le courage de dénoncer l’injustice sociale profonde du système éducatif français. Elle s’est installée insidieusement telle une constante macabre depuis près de vingt ans. La troisième République a sorti nos aïeux de l’illettrisme, le système aujourd’hui fait réussir et progresser seulement les plus performants , issus des classes favorisées. Parle-ton encore de démocratisation scolaire ?
Citons le rapport pour la France, paru le 3 décembre : En compréhension de l’écrit, la stabilité apparente de la performance sur la période 2000-2018 masque des évolutions divergentes selon les élèves. Alors que le niveau des meilleurs élèves a tendance à augmenter sur la période, celui des élèves les plus faibles a au contraire baissé. Des écarts croissants qui ne s’observent ni en maths en sciences »
En effet, une moyenne qui est stable peut cacher une ségrégation accrue. Environ 40 % de nos élèves de milieux défavorisés contre 34% moyenne pour l’ OCDE, sont à 15 ans en difficultés face à la culture de l’écrit, aux mathématiques et à la culture scientifique et risquent de rester durablement sur le carreau. Le système éducatif français, pays des hommes libres et égaux « en droits », produit et entretient l’inégalité scolaire. Il élargit les écarts socio-scolaires et contribue à mettre en place une France à deux vitesses. 20% des élèves favorisés sont très performants en compréhension de l’écrit contre 2% issus des classes défavorisés. D’autres pays, l’Irlande, le Canada, par exemple dont les économies et les taux de pauvreté ou d’immigration ne sont pas si éloignés du nôtre considèrent que tous les élèves, quels que soit leur milieu d’origine ou la langue parlée à la maison sont capables de réussir. Ces pays obtiennent de bien meilleurs résultats aux évaluations internationales avec des scores de 520 points contre 493 pour la France. Dans ces pays la proportion d’élèves défavorisés très performants est supérieure à 13 %. Pire encore peut-être, souligne le rapport : l’espérance, le rêve d’une vie meilleure que des études plus longues permettraient, est en chute libre chez nos élèves des quartiers défavorisés, comme chez les enfants issus de la première ou deuxième génération de l’immigration, comme aussi chez les filles qui, à l’inverse de leurs pairs garçons ne se voient pas pour beaucoup d’entre elles, accéder à des études longues et aux métiers qu’elles ouvrent.
Revenons en quelques lignes sur la philosophie affichée qui sous-tend les tests PISA 2018 . Ils visent, lit-on dans le document officiel de l’OCDE paru en 2017 à évaluer l’efficience des systèmes éducatifs dans le but d’accompagner leur développement et contribuer à une « citoyenneté active » de « citoyens constructifs, engagés et réflexifs ». Chiche, on prend ! Les tests visent à évaluer la capacité des élèves de 15 ans à exploiter des savoirs et savoir-faire, à mettre en œuvre des stratégies multiples dans des situations diverses, familières ou non : personnelles, professionnelles, sociales, scolaires. Ils tentent, selon les disciplines, de mesurer en 5 ou six niveaux de compétences toutes sortes de capacités cognitives : localiser des informations, les intégrer, les analyser, repérer les implicites, les confronter à d’autres informations ou points de vue, les interpréter, raisonner, imaginer, faire des hypothèses, résoudre, communiquer, etc. Rien de bien nouveau dans tout cela sauf une affirmation , ou plutôt une précaution de taille (ouf !) : ces performances observées sont relatives, liées à la motivation ou l’angoisse des élèves pour telle ou telle discipline, à leur auto-limitation quant à leurs ambitions, à leur sentiment de sécurité à l’école, à leurs habitudes du travail collaboratif, à leurs expériences et culture extra scolaires, toutes dimensions difficilement évaluables. Autrement dit, les tests Pisa ne donnent des indications fortes que sur les systèmes éducatifs, leurs évolutions tous les trois ans. Ils ne disent rien sur les pratiques professionnelles qui peuvent contribuer à produire ces résultats. Ils ne prennent pas en compte et c’est bien dommage, la familiarité avec les usages de l’écriture pour répondre aux questions ouvertes demandant d’argumenter ou commenter.
Question posée : pour quelles raisons notre système vacille-t-il, voire régresse-t-il sur l’une de ses valeurs fondatrices : l’égalité des chances à l’école et ce depuis plus de 20 ans qu’elle est évaluée via Pisa ? Un constat qui fait dire à un certain nombre d’enseignants très découragés : « je ne sais plus pourquoi je fais ce métier ! »
Trois premiers indicateurs, au rouge en France, proviennent des conclusions de 2015, portant sur l’ensemble des résultats aux tests et leurs corrélations avec des enquêtes auprès des élèves et des chefs d’établissement. Elles attiraient l’attention sur trois facteurs associés à la faiblesse des résultats pour les élèves des milieux défavorisés : « ils ont moins de cours, sont plus absents, sont moins exposés à un enseignement de qualité » Confirmation en 2018 : une légère augmentation de l’absentéisme des élèves, l’inégalité territoriale est très forte : 87% des enseignants sont certifiés et agrégés dans les lycées des quartiers aisés, contre 58% dans les lycées défavorisés. L’augmentation constante des enseignants vacataires, des non remplacements de professeurs absents, notamment dans les REP, comme les nominations d’enseignants novices dans ces établissements participe à une aggravation continue de la situation. A ces trois raisons, il faut en ajouter une autre déjà soulignée dans le précédent rapport : l’absence d’accompagnement des enseignants. Ils étaient en 2015, 70% à s’en plaindre en France contre 30% pour le reste de l’OCDE. On paie aujourd’hui le prix fort des insuffisances criantes de la formation initiale et continue.
Ces raisons objectives, mesurables, ne suffisent pourtant pas à expliquer l’incapacité du système français à éradiquer les difficultés des élèves d’origine modeste, notamment sur les questions de littératie. Si un enseignement plus égalitaire est possible ailleurs, où sont les blocages en France ?
Pourquoi les élèves français en difficulté, sont-ils moins persévérants devant une tâche que leurs autres camarades européens ou québécois? Pourquoi aux tests, abandonnent-ils très vite, ne cherchant pas une autre stratégie, quand les élèves très performants ou performants de milieux favorisés ( les niveaux 5 ou 6 de compétences de compréhension de l’écrit) ont appris à diversifier leurs stratégies, à changer de posture, à convoquer divers savoirs ou expériences, à analyser l’explicite, l’implicite, le métaphorique et l’idéologique d’un texte. ils osent être créatifs, ils sont confiants, ils savent communiquer à l’écrit leur résultats, ils s’autorisent à avoir un point de vue argumenté. Où l’ont-ils appris ? A la maison ? Dans les cours privés ? Dans des systèmes de classes ou groupes de niveau ou dans les parcours d’excellence qui les ont progressivement sélectionnés ?
Bien heureusement les évaluations révèlent aussi la résilience des élèves défavorisés. On connait la recette : des équipes stables, accompagnées par la formation et soutenue par leur encadrement. Lorsque, de manière collective, réfléchie et engagée, les enseignants créent les conditions d’un accompagnement de proximité de tous les élèves, le destin scolaire de ces élèves socialement défavorisé ou issus de l’immigration, n’est pas écrit d’avance. Ils ont les mêmes résultats voire des résultats meilleurs que leurs pairs de milieu favorisé. Les exemples ne manquent pas.
Revenons à l’écrit. Une certitude : l’enseignement de l’écrit (la lecture et l’écriture) premier pilier du socle commun est fragile, les élèves en difficulté des quartiers populaires en font les frais, les enseignants, de plus en plus nombreux, en souffrent. Quelques raisons, (sans ordre) au-delà des observations internationales supra peuvent expliquer cette lente dérive voire régression du système français en matière d’enseignement du français.
1. La course délétère et déstabilisante des réformes. Ballotés de réformes en réformes se succédant à grande vitesse, les enseignants français, sont otages des changements politiques et ne savent plus à quelle boussole se fier. Il faut beaucoup d’énergie, de congés sacrifiés pour prendre le temps de réfléchir par soi-même ou avec les collègues aux virages busques des réformes. Il en faut encore beaucoup pour s’ajuster à des classes de plus en plus hétérogènes. Beaucoup d’énergie et de créativité aussi pour continuer d’inventer les situations complexes, trouver les œuvres ou thèmes en échos avec l’actualité ou les préoccupations des élèves, pour entrelacer le travail scolaire, les apprentissages, avec le développement personnel et les nouvelles formes de citoyenneté. Par exemple décider en urgence de travailler sur le roman les Misérables et le nouveau film de Ladj Ly. Comprendre le sens du mot « littérature patrimoniale » en découvrant les visages nouveaux de la révolte de Gavroche ou de la perversité du policier Javert. Quel meilleur passeport pour Victor Hugo ! Quelle magnifique introduction à une réflexion sur l’art, l’engagement, la puissance des images et des héros de la littérature ! Mais surtout quel espace de liberté, de respiration, d’émotions partagées, de débats, terreau premier d’une vie de classe apaisée. Une paix scolaire à reconquérir en France souligne le rapport.
2° Les verrous de programmes de plus en plus indigestes. C’est un fatras de listes : d’œuvres, de tâches, de compétences, d’objets d’étude, de thématiques, de conseils, de documents annexes qui abrogent ou contredisent les premiers, de suppléments ministériels , etc, Ces pavés d’injonctions peuvent atteindre en France plus de 120 pages quand en Finlande par exemple, elles tiennent sur quelques feuillets. « Faire le programme » et en comprendre les arcanes, devient alors un stress majeur (on n’entend plus que cela dans les stages) au point que les tablettes devant développer l’innovation restent dans les cartables : « pas le temps de s’en servir ! » La souffrance s’installe : peur de ne pas y arriver, culpabilité d’abandonner en route ceux qui ne suivent pas le rythme infernal, souffrance insidieuse causée par la perte de sens du travail, la perte de responsabilité de ses démarches de classe.
3. Une récession lente dans les pratiques des longues et nombreuses tâches de lecture, d’écriture et moments de débats. Elles étaient recommandées par les instructions de 2002, et avaient été mises en œuvre dans les classes à la suite de nombreuses et longues formations. Mais les instructions calamiteuses de 2008 y mettent un point d’arrêt : changement de cap obligé, direction la « maîtrise (forcément introuvable ! ) de la langue », ses normes, ses règles, ses formes, ses figures rhétoriques, ses types de discours et la pléthore d’exercices d’application qui leur sont consacrés. L’orthographe devient un totem national : un consensus idéologique tranquille très entretenu par les media. Il rassemble les nantis qui la maîtrisent et les plus démunis qui pensent que c’est l’obstacle majeur à franchir pour leurs enfants. Les résultats ? 50,6% des élèves de fin de troisième interrogés par Catherine Frier ( 2017, Sur le chemin des textes , PUF ) déclarent avoir des difficultés d’écriture, considèrent à 65,5 % que « bien écrire » c’est ne pas faire de fautes d’orthographe et pour 6,8% d’entre eux seulement, c’est pouvoir exprimer sa pensée. 5% ont conscience qu’écrire permet d’apprendre. Pas étonnant que nos élèves dans les questions ouvertes d’interprétation lors des tests de compréhension, ferment leur stylo ! Quant aux IO de 2015, du primaire et du collège, toujours officielles, qui préconisent la mise en œuvre d’ oraux, d’écrits et lectures intermédiaires, elles ont, faute de formation, été peu mises en place dans les classes. Pas le temps, disent les enseignants, on finira jamais le programme ! Des résultats largement corroborés par le récent observatoire des pratiques d’écriture dans les REP de l’académie de Créteil.
4° Pour finir : coup de projecteur sur un mot tabou, argumenter ! Le terme même d’argumentation n’apparaît plus dans aucun des nouveaux programmes de français des lycées généraux et professionnels. Il semble arracher la plume des auteurs de ces instructions. Toutes les associations invitées récemment par le CNESCO à relire ces programmes ont fait part de leur étonnement et désaccord unanime. L’argumentation, rappelons-le, a été au cœur des travaux de recherche en didactique et au cœur des programmes, manuels, depuis les années 90. Objectif : donner aux élèves les outils pour développer leur parole et pensée de sujet singulier et libre. Abandon ? Régression ? On est bien loin des nobles intentions des auteurs des tests de l’OCDE : promouvoir des citoyens engagés, constructifs et réflexifs. On l’aura compris, Il n’est plus ici question de compétences mais de valeurs : apprendre ou non aux élèves à formuler et mettre en débat un point de vue personnel, argumentée et responsable. Est-ce encore au menu de l’école ?
La question est politique, elle demande un engagement citoyen et professionnel pour défendre l’école de la démocratie.
Bucheton Dominique
professeure honoraire des universités de Montpellier
Vice-présidente de l’AFEF.