Agnès Henrion, c’est le Grand prix du Forum des Enseignants Innovants 2019. Un prix remis par des associations d’enseignants du second degré à un projet présenté par une enseignante du premier degré. C’est cela la magie du Forum, des enseignants qui transcendent leurs disciplines, qui voient plus loin que ce qui fait leur quotidien et qui n’hésitent pas aller voir ce qui se passe en maternelle. Son projet ? Un éveil à la langue des signes avec les élèves (bien entendants) de l’école maternelle Haucourt St Charles, classée REP, dans le nord de la Meurthe et Moselle (54). Mais pourquoi faire ?
Quand on demande à cette jeune enseignante, plutôt réservée, ce qui l’a conduit à l’enseignement, elle répond tout de go : « Une sorte de déterminisme joyeux : un grand-père directeur d’école, une maman enseignante en ZEP qui a été ma maîtresse de CP, une sœur directrice d’IME, un oncle directeur d’école d’application, des cousins cousines maîtres formateurs ou professeurs… La liste est très longue ! ». Enseignante depuis vingt-six ans, elle n’a eu de cesse de renouveler ses pratiques. Elle a, d’ailleurs, deux spécialisations à son actif, un certificat d’aptitude professionnelle pour les aides spécialisées, les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en situation de handicap – CAPA-SH – option G, rééducation, puis un autre option E, grande difficulté scolaire. C’est ainsi que, toujours à l’affut de nouvelles compétences, elle se lance dans une formation LSF – langue des signes française. Et elle voit rapidement comment réinvestir sa formation auprès des élèves : une initiation à la LSF aux élèves de la maternelle dans laquelle elle intervient. Et comme d’habitude lorsqu’il s’agit de se lancer dans un nouveau projet, les trois enseignantes de l’école, Emilie Grand Claude, Marielle Harelle et Amandine Comisso sont partantes.
L’alphabet oui, mais en LSF aussi
Alors, depuis trois ans, Agnès consacre quatre heures par semaine à ce projet. « Nous avons décidé de travailler par petits groupes, entre huit et quinze élèves selon les effectifs, avec comme condition la présence de l’enseignante de la classe sur au moins un créneau. De cette manière elle peut réinvestir les signes appris tout au long de la semaine. Bien souvent, d’ailleurs, celle-ci amorce la séance en travaillant les signes, qui sont disponibles sur un Padlet que je mets en ligne quelques jours avant. Nous choisissons ensemble, les enseignants et moi, le vocabulaire et la programmation est décidée par période ».
Ce matin, Agnès rejoint sa salle, accompagnée de ses élèves du jour, pour débuter une séance. Premier rituel : un échauffement des mains. Il faut dire que les doigts et les poignets vont être sollicités lors de cette activité d’une demi-heure. « Nous commençons par signer l’alphabet en prononçant et en montrant les lettres. Puis, nous faisons un rappel du vocabulaire signé et appris lors de la séance précédente, sous forme de devinettes en général : un enfant vient signer, les autres doivent deviner puis signer avec lui. Le nouveau thème est ensuite abordé. Les signes sont toujours accompagnés de la parole puis réinvestis à travers des petits jeux comme le Memory, le jeu de Kim, le devine-tête etc. ». Autre rituel, aucune séance ne peut s’achever sans jouer à « devine le signe », « je signe un mot cette fois sans le nommer et les enfants doivent le deviner. Il s’agit toujours d’un mot qui appartient au thème du jour. Ils aiment beaucoup ! »
Un retour sur investissement quasi immédiat
Et tout cet investissement rapporte. Agnès et ses collègues en constatent, au bout de trois ans, les effets. « Nous n’avons pas été déçues par les résultats qui ont dépassé toutes nos attentes. Les enfants font d’énormes progrès en attention, en concentration, en mémorisation, en communication et en expression. Ils développent aussi leurs compétences de futurs lecteurs avec la connaissance des lettres, du son qu’elles font, du nombre de syllabes dans les mots et le développement du lexique. C’est une langue qui a bouleversé notre pratique professionnelle et qui a offert à nos élèves un magnifique moyen d’apprentissage. LSF les a aussi éveillés à la diversité linguistique et au handicap. Les parents d’élèves ont aussi investi le projet, nous leur distribuons régulièrement des outils, tel que l’alphabet dactylologique. Les enfants reviennent à l’école en signant le prénom de leur papa ou de leur maman par exemple ».
« Une reconnaissance que je n’attendais plus »
À l’annonce de son nom lors de la remise du grand prix du jury du Forum des Enseignants Innovants, Agnès n’y croit pas. « C’est une forme de reconnaissance que je n’attendais plus et que je savoure vraiment ! Mais au-delà de ça, je souhaiterais vraiment qu’à travers ce prix, les enseignants osent s’emparer de ce formidable outil qu’est la langue des signes. Tous les enseignants peuvent l’utiliser, en en acquérant les bases elle est facilement utilisable. Et une fois qu’on commence, c’est véritablement addictif ! ». Une reconnaissance et une fierté que ressentent ses collègues qui ont largement contribué à la réussite du projet.
Si Agnès cherche toujours à se renouveler, ce n’est pas anodin. Selon elle, l’enjeu est de taille, « les apprentissages dès le plus jeune âge sont déterminants pour la suite de la scolarité, c’est réellement un investissement sur l’avenir ! ». Et elle a bien raison.
Lilia Ben Hamouda