Vous cherchez une alternative pour exercer vos élèves aux problèmes mathématiques ? Céline Canard, enseignante de CM1-CM2 à l’école Chantereine de Villersexel (70), a lancé Problematwitt, un dispositif qui part de l’erreur de l’élève pour lever les blocages. Après une phase de résolution individuelle, « les élèves négocient » en argumentant sur leur façon de résoudre le problème. « La phase de négociation ne laisse aucune place à celle de leader qui impose son point de vue », rappelle l’enseignante. Avec son projet, Céline Canard engage ses élèves à échanger hors la classe via twitter ou voie postale. Primée par le jury au 11ème Forum des Enseignants Innovants, elle explique sa démarche et nous livre aussi ses inspirations pédagogiques.
En quoi consiste ce projet ProblemaTwitt ?
ProblemaTwitt est un dispositif qui consiste à faire progresser les élèves en faisant évoluer leur rapport aux problèmes mathématiques, et plus généralement leur rapport à l’erreur. Elle est dédramatisée, et devient un moyen d’apprendre. Une fois identifiée, elle est analysée, et corrigée par les élèves eux-mêmes.
Le dispositif propose une alternative à la présentation traditionnelle des problèmes, qui pour certains élèves est un moment de solitude, de flou, voire de « blocage », qui les conforte souvent dans un sentiment d’incompétence (« Je suis nul en maths »).
Ici, après la phase de résolution individuelle, les élèves sont amenés à comparer et échanger sur leurs démarches, pour produire une seule réponse de groupe. C’est une phase collaborative pendant laquelle il est important que l’enseignant soit dans une posture d’observation, et n’intervienne pas ou le moins possible.
Après une phase d’institutionnalisation en groupe classe pendant laquelle la (ou les) bonne réponse est donnée et affichée, les productions de groupes sont échangées, et chaque groupe identifie les erreurs d’un autre groupe grâce à un « Code Erreurs ». Ainsi, les élèves sont familiarisés à la typologie des erreurs. (compréhension de la consigne, erreur de calcul, de choix de calcul, de démarche, oubli de l’unité ou de la phrase réponse, chiffre mal formé qui s’est « transformé »…). Chaque groupe retrouve ensuite sa production, et peut se corriger grâce aux indications apportées.
Enfin, les élèves retrouvent leur production initiale, et, forts des étapes précédentes, essaient de se corriger seuls (ou avec un pair si nécessaire) Lorsqu’il n’y a pas d’erreur, ils sont invités à résoudre le problème en utilisant une autre démarche, ou à inventer un problème transfert.
Qu’entendez-vous par « négociation entre élèves » ?
La négociation est un moment fort du dispositif. C’est un moment ou les trois (ou quatre) élèves d’un même groupe comparent leurs réponses et se mettent d’accord pour donner une seule réponse. Il s’agit de savoir écouter les propositions des autres, et utiliser la réflexion de chacun. La règle veut que chacun s’exprime, et justifie ses propositions, en utilisant des arguments. Ce moment où on « parle mathématiques » permet de développer la réflexion et les langages mathématiques. Il est bénéfique pour tous les élèves, notamment pour ceux qui habituellement n’osent pas s’exprimer.
Quels sont les codes que vous utilisez ?
Le « CodeErreurs » cycle 3 a été élaboré en classe (classe de CM en 2017), en cherchant les erreurs qui reviennent souvent en problèmes. Le symbole # a été proposé pour en faire une « balise » identifiable, car nous échangions avec des classes amies (Twittclasses) sur Twitter, à la manière de Twictée (notre grande soeur) Plus tard, un CodeErreurs a été adapté pour les élèves de cycle 2. (Téléchargeables sur le site)
Ce projet prend-il davantage de temps qu’un enseignement classique ?
Ce projet prend plus de temps qu’une résolution de problème « classique », car il comporte davantage d’étapes: c’est un travail approfondi. Il développe des réflexes (chercher à comprendre les erreurs) et des compétences qui sont utiles dans d’autres matières ou contextes. Il me semble que ce temps n’est pas perdu…
En quoi vos élèves font-ils davantage d’efforts pour progresser quand ils travaillent en groupe ?
Le rapport entre élèves favorise des échanges plus « libres » qu’en groupe classe. Les élèves apprécient ces confrontations d’avis, de démarches, et de recherches communes qui portent un enjeu, et qui sont plaisantes et motivantes à la fois. Il y a un côté rassurant également, un droit à l’erreur qui se développe, dont les élèves ont besoin. Pour citer S. Connac, « C’est à plusieurs que l’on apprend tout seul ». A nous de permettre aux élèves de le découvrir, cela leur sera probablement utile dans la vie, et dans une société où savoir travailler à plusieurs ou en équipe est souvent attendu.
Lorsqu’il y a un échange avec une autre classe de l’école ou de l’extérieur, par correspondance, (Twitter, mails ou voie postale) l’engagement est plus fort encore, et le plaisir de communiquer avec des élèves un peu partout en France (et parfois même à l’étranger) est une source de motivation. L’utilisation du numérique, de photos, de vidéos, rend les échanges très vivants. Un des objectifs est également de développer le plaisir de faire des maths, c’est sûr.
Comment évoluent vos élèves ensuite en classe supérieure ? La place de l’erreur est-elle similaire les années suivantes ?
Malgré les avancées pédagogiques, de la recherche, et la place que lui accordent les programmes, l’erreur semble peu utilisée au sens d’un feed-back, d’un retour actif et d’une utilisation au quotidien par l’élève.
Lorsqu’elle a été dédramatisée et utilisée pendant plusieurs années, il est possible que les élèves gardent en eux la certitude qu’elle est utile, et poursuivent cette démarche de réflexion et de retours dans la suite de leur scolarité. Il faut en être convaincu, car on trouve des formes de pressions qui n’y sont pas favorables (Jugements, moqueries, promotion de la performance, notes, sanctions, attentes des professeurs, des parents…).
Le rapport à l’erreur est propre à chacun. Il est lié au rapport au savoir, à l’image de soi, vient d’une « histoire de vie », familiale, scolaire… Le faire évoluer semble complexe, d’autant que l’histoire le montre, son statut négatif prend irrémédiablement le dessus, malgré la connaissance de plus en plus approfondie et précise qu’on en a.
A nous, enseignants et acteurs de l’éducation, d’en montrer l’intérêt et les enjeux pédagogiques, et de permettre de faire briller les yeux de nos élèves, au moment où de leur erreur surgit: « Ca y est, j’ai compris !!! »
Des lectures à proposer ?
L’erreur, un outil pour enseigner, d’Astolfi
L’erreur à l’école, petite didactique de l’erreur scolaire, J. Fiard et E. Auriac
Panser l’erreur à l’école: De l’erreur au dysfonctionnement, Y. Reuter
Entretien par Julien Cabioch