» J’ai été conduite à m’engager dans ce dispositif car la façon dont je travaillais avant ne me convenait pas. Avant, sans pouvoir l’expliquer, je constatais qu’il y avait bien quelque chose qui ne se passait pas comme cela se devait au niveau de la compréhension écrite. Je trouvais que la compréhension restait enfermée dans un carcan de questions ponctuelles sans que les élèves ne puissent vraiment accéder à la complexité des textes. Une nouvelle approche a été rendue possible par les échanges réguliers pendant ces trois années, échanges avec les chercheuses et les collègues ». Delphine, professeure en Cp à l’école Rep+ des Cheminets (Paris 19ème), témoigne avec ses collègues de la recherche action mené dans l’école avec E Bautier et E Vinel (Paris 8 Escol). Pendant 3 années, en utilisant le temps de concertation instauré par la réforme de 2014, chercheures et enseignants ont travaillé sur la compréhension de l’écrit et mis au point des pratiques pédagogiques nouvelles.
L’école des Cheminets fait partie d’un réseau Rep+ dans un quartier très défavorisé de Paris : 44% de familles monoparentales, 29% sous le seuil de pauvreté, 35% de chômage, 53% de la population sans aucun diplôme. Les enseignants avaient l’impression « de ne pas aller au bout des choses » avec les élèves « de ne pas entrer profondément dans la compréhension des textes ». Ils relevaient aussi l’écart entre déchiffrage et compréhension :les bons déchiffreurs n’étaient pas forcément ceux qui comprenaient les textes.
Avec les chercheures d’Escol c’est un travail collaboratif avec les enseignants qui s’est mis en place durant 3 années. » Le travail de recherche-formation a fait émerger des points essentiels dans l’enseignement pour faire progresser les élèves dans les différents apprentissages : le choix des textes étudiés en fonction de leurs caractéristiques concernant des objets d’enseignement précis et nécessaires tels que l’implicite, les inférences, les sous-entendus ; le travail explicite de compréhension des textes : les questions à poser, le résumé oral puis écrit pris comme moyen d’évaluer la compréhension progressive du texte ; la question du lexique pour une meilleure compréhension ; le travail d’explicitation et de verbalisation en sciences et en histoire conduisant les élèves à formuler ce qu’ils ont appris, compris des notions abordées », note le rapport d’étape.
» Le changement s’est fait progressivement, petit à petit je prenais de l’assurance et je ciblais mieux les textes à étudier. Au départ c’était un vrai travail d’identifier des textes avec de vrai enjeux de compréhension, des textes qui soient adaptés à mes élèves. Après avoir fait ce travail collectivement avec mes collègues et les chercheuses, je savais tout de suite si un texte était adapté ou non », témoigne Delphine.
Au final, les enseignants mettent au point des pratiques, comme le résumé, qui permettent aux élèves d’aller au fond de la compréhension des textes. Les questions sur les textes évluent aussi : « Peux-tu dire ce que tu as compris de l’histoire ? » « Peux-tu dire ce qui est important de comprendre dans cette histoire ? ».
» En leur proposant des situations complexes et exigeantes, j’ai pu constater et découvrir l’étendue de leurs capacités à utiliser l’écrit, des capacités qu’en plusieurs années d’enseignement au CP je n’avais pas soupçonnées », explique Delphine. »Cela m’a incité à donner une place plus importante aux ressources de l’écrit (écrits ambitieux, lexique générique et syntaxe complexe nécessaires aux apprentissages) et en particulier aux écrits de réflexion où ils se posent des questions et non plus uniquement des activités d’encodage ou des activités où je leur demandais de raconter la suite d’un récit ou de raconter ce qu’ils avaient fait à la piscine dans le cahier de piscine. On travaille des compétences qui sont au fondement des activités et des apprentissages scolaires : la catégorisation, le résumé, l’argumentation. Ce sont des compétences qui ne sont pas que des attendus de fin de CP mais des compétences générales ».
Au final, la recherche amène les enseignants à relever leur niveau d’exigence et à attendre des élèves un travail qui est celui fait dans les familles et les établissements privilégiés.