A l’abri des regards, ils sont quand même plus de 5 000 professeurs de mathématiques à échanger cours et documents, informations et arguments dans un groupe Facebook discret : « Le coin boulot des professeurs de mathématiques ». Pour Sophie-Amandine Penilla, une des administratrices de ce groupe géré en 24h//24h (!), le succès tient à l’isolement des professeurs mais aussi à leur soif de formation. Mais une formation par les pairs à l’abri du regard de la hiérarchie…
25 000 documents pédagogiques échangés
Sophie-Amandine Penilla, professeure de maths au collège Rep Jean Zay de Niort, n’est qu’une des 8 administrateurs de ce groupe Facebook. Avec elle, Thomas Sergent (collège Pompidou de Villeneuve-la-Garenne (92), William Rambeau (Lycée Giraux-Sannier, Saint-Martin Boulogne (62), Béatrice Ronzi (Collège Notre-Dame Besançon (25), Nelly Duvent Legrix (collège sacre coeur Domfront (61), Isabelle Lafargouette (collège Daurat de Saint-Gaudens (31), Damien Trollé (collège Louise Michel de Paimboeuf (44) et Bruno Lambert (collège Rep+ Henri Wallon Garges les Gonesse) tiennent les rênes de ce groupe disciplinaire.
Le groupe est né en 2016 à la suite du « coin détente des profs », un autre groupe Facebook, pour avoir un lieu d’échanges qui ne soit pas un coin détente mais un espace de co-travail communautaire.
En 2019, le groupe réunit plus de 5500 profs de maths avec un volume de productions colossale : plus de 25 000 ressources et commentaires publiés sur le site.
Une salle des profs remplie de profs de maths…
« Chacun dans son établissement on est seul », nous dit SA Penilla. « On fait face seul à nos interrogations et à nos innovations. Avec le groupe on peut partager et discuter ». Le groupe fonctionne comme une salle des profs virtuelle mais qui ne serait composée que de profs de maths ! SA Penilla voit deux fonctions nettement différentes au groupe : le partage d’activités et les discussions.
Lors de notre dernière visite du groupe des enseignants échangeaient sur les nombres décimaux en 6ème. « Je suis dépitée.. correction du contrôle : un tiers de la classe n’obtient pas la moyenne. Et pourtant je n’ai redonné que des exercices faits en classe ». S’ensuivent 34 commentaires avec confirmation par des collègues mais aussi apport de solution. Loïc répond que dans son secteur « les profs des écoles ont présenté un samedi matin les travaux de chaque école. Nous avosn suivi une progression comme cela : nombres entiers , fractions simples et décimales, nombres décimaux. Les élèves s’en sortent beaucoup mieux ». Un autre échange portait sur la multiplication de nombres relatifs en 4ème.
« On discute de pratiques pédagogiques, on réagit à des cours, à la passivité des élèves ou quand la hiérarchie nous propose des choix qui ne conviennent pas », nous dit AS Penilla. Mais évidemment les réformes sont aussi objets de débats et en ce moment celle du lycée. « Ca discute beaucoup de comment la mettre en place », nous dit AS Penilla. « C’est difficile pour tous. On compare comment on fait dans les établissements ». La place des maths hors du tronc commun et le niveau élevé des nouveaux programmes font aussi l’objet de discussions. Les enseignants voient des élèves abandonner les maths et c’est un crève coeur.
Une modération 24h/24h
Comment faire fonctionner un groupe aussi important sans que ca parte en vrille ? Le groupe a des règles d’usage et surtout une équipe d’administrateurs en permanence en ligne. Si le ton monte les commentaires sont bloqués, les administrateurs se consultent et interviennent pour modérer les propos. Le groupe semble mieux gérer que bien des forums officiels ou privés. C’est peut-être cette vigilance qui tient éloigné la hiérarchie de ce groupe… La modération veille aussi au respect des élèves : on ne parle de leurs erreurs que pour les comprendre et sans moquerie.
Au secours des jeunes professeurs
L’autre grande activité du groupe c’est l’échange de ressources pédagogiques. Pour AS Perilla, c’est même une autre catégorie de membres que celle qui vient discuter. Les professeurs échangent des activités introductrices à des chapitres des programmes, des cours annuels complets, des évaluations, des exercices, des jeux mathématiques.. « On partage au moins 6 ou 7 activités par jour », estime AS Perilla. Pour gérer tous ces documents le groupe nourrit au quotidien des « modules » : »cycles 2-3 nombre et calculs », « cycle 4 géométrie » etc.
« Ce partage aide les jeunes professeurs », relève AS Perilla. « On a beaucoup de stagiaires, des professeurs qui préparent leur inspection. Il y a un grand vivier de jeunes ou futurs professeurs de maths », souligne t-elle. « C’est plaisant car l’éducation nationale n’a pas créé de lien entre les anciens et les nouveaux enseignants ». Le groupe passe ainsi entre les générations « des savoir faire et des avoir être ». Dernière transmission :le concours Castor informatique, souvent méconnu des profs débutants.
« Partager avec des collègues qui ne travaillent pas comme nous c’est très enrichissant », nous dit AS Penilla. « Ca permet de prendre de la distance par rapport à ce qu’on fait. Ca donne des idées. Le groupe donne cette émulation entre collègues ». Un plaisir suffisant pour continuer à faciliter les échanges.
François Jarraud