Programmes si inadaptés et si lourds qu’on ne peut réellement les mettre en œuvre, sentiment d’abandonner les élèves à leurs difficultés, impossibilité de pratiquer une pédagogie active et de prendre le temps nécessaire aux apprentissages, bachotage intensif, œuvres imposées qui dénient à l’enseignant son expertise et sa liberté, surcharge de travail, injonctions contradictoires… : tel est le triste bilan que les enseignant.es de français au lycée dressent des nouveaux programmes en cet automne 2019. Les témoignages recueillis permettent de saisir l’ampleur du problème, à la fois personnel et collectif : « Je suis clairement en plein doute sur le sens que je donne à ma mission.», nous explique une enseignante. Le burn out menacerait-il une discipline entière ? Allo y a quelqu’un ? Qui entendra cet appel au secours ? Qui saura y répondre ?
Valentine : « Le sentiment d’être une gaveuse d’oies »
« Je percevais mon métier comme une fenêtre ouverte pour élargir l’horizon des élèves. Aujourd’hui, j’ai le sentiment d’être une gaveuse d’oies. La surcharge de travail est colossale et perçue comme harassante, car je sais d’ores et déjà que tel Sisyphe et son rocher, je recommence pour moitié l’été prochain en première. J’ai passé la totalité de mon été à travailler et je n’ai pas fini de préparer tous mes cours. D’habitude, j’y consacre 5 semaines et à la rentrée, j’adapte, j’aménage, chaque séquence en fonction de mes classes. Cette année, je suis loin de pouvoir le faire.
Ce que j’aime dans l’enseignement du français, que ce soit en collège ou en lycée, c’est essayer de donner aux élèves des clés pour regarder le monde avec des yeux avertis. J’aime aussi transmettre mon amour de la lecture, de la langue. En première, c’est fini. Cette année, j’ai sur ce niveau une dizaine d’élèves que j’avais l’an dernier en seconde. Ils me connaissent, me font confiance, et ils sont écrasés de travail, pas seulement en français. Ils s’en sont ouverts à moi pour que je les rassure et les accompagne. Je n’ai pas su quoi leur dire. Entre le devoir de réserve et celui que je me fais d’être toujours honnête avec eux… Par exemple, une majorité était libérée de cours pour assister à une conférence faite par un animateur renommé mardi matin au lycée. Cette conférence tombait sur deux heures de français. Une partie d’entre eux a demandé à venir en cours de français plutôt que d’assister à la conférence. Ils voulaient se rassurer. Ils ne devraient pas avoir à choisir entre un cours de français et une conférence prestigieuse et enrichissante. Je les ai autorisés à assister à mon cours. Que pouvais-je faire d’autre?
En tant qu’enseignante, je me suis toujours perçue comme un des adultes ressources pour des jeunes en construction. J’ai l’impression d’avoir été dépossédée du sens même de mon métier. Je ne suis plus en mesure de répondre à leurs questions et dans mon enseignement, la quantité doit primer sur la qualité. Il n’est plus question de laisser à l’adolescent le temps de s’approprier les outils de travail. La somme des notions à faire passer doit l’emporter. Malgré les belles paroles, matériellement, il est plus question d’individualisation des parcours et des évaluations. C’est le message de tous les IPR : pas moins de 24 textes et de la grammaire, de l’HDA, de l’histoire littéraire et des documents complémentaires, le tout dans le même volume horaire.
Je suis clairement en plein doute sur le sens que je donne à ma mission pour la première fois en 15 ans d’exercice quels que soient les publics auxquels j’ai enseigné. Le premier pas vers la sortie ? Le désengagement ? Le découragement ? Pour le moment, je résiste car mes élèves sont gentils. Jusqu’à quand? »
Noémie : « Je songe à démissionner »
« Je me sens découragée. Le retour de la grammaire est positif (les élèves ont de réelles lacunes), mais encore faudrait-il nous donner du temps. Beaucoup de mes élèves ne savent pas différencier un nom d’un adjectif : on n’est plus dans du rappel, il faut souvent tout reprendre à zéro. Pourquoi des œuvres imposées ? On nous demande de nous adapter aux élèves et de leur donner le goût de la lecture, or la littérature française est suffisamment riche pour que le professeur puisse trouver des œuvres qui « parlent » aux élèves et leur soient accessibles. Le choix par exemple des Essais pour des séries technologiques montre clairement que ceux qui ont choisi les œuvres n’ont pas vu d’élèves depuis des lustres (voire jamais). L’oral parait bradé : on demande aux élèves du « par cœur » et non une remobilisation des savoirs, on évaluera donc la capacité de mémorisation de l’élève au détriment d’une réelle réflexion (nous allons donc créer une génération de perroquets n’ayant plus besoin de réfléchir…).
On nous demande de faire beaucoup d’explications de textes cette année, avec une analyse d’œuvre intégrale (et une réflexion sur un parcours associé) qui se veut plus poussée qu’auparavant. La grammaire demande aussi du temps. On perd facilement des heures en première (jours fériés, épreuves communes, année scolaire qui termine mi-juin, etc.). Donc on est tous, il me semble, en mode « gavage d’oie » : faire un maximum de choses sans prendre le temps de BIEN les faire et de s’assurer que les élèves ont compris. On ne peut plus tenter de faire des activités ludiques autour des textes : pas le temps. J’en suis arrivée à la conclusion que les élèves seront forcément lésés, soit à l’écrit, soit à l’oral, car les enseignants vont devoir faire des choix : si on veut faire les 24 explications de textes en série générale, on va devoir faire moins de documents complémentaires pour la dissertation. Seuls les collègues qui auront des classes avec un très bon niveau arriveront à tout faire : une fourchette de nombre de textes me semblerait beaucoup plus juste car l’enseignant pourrait s’adapter, d’une part, au niveau de sa classe, mais aussi aux heures effectives de cours.
Personnellement, j’ai passé un mois cet été à préparer des cours pour ne pas être totalement submergée, mais comme on travaille à l’aveuglette (beaucoup de points sont peu clairs dans les programmes, il y a des contradictions entre les IPR), on perd beaucoup d’énergie, ne serait-ce que pour comprendre les attentes de l’institution. Pour moi le gros problème est le renouvellement de moitié du programme de première car il donne l’impression qu’on va subir un nouveau programme tous les ans : c’est décourageant, on sait qu’on ne verra jamais le bout. On nous a imposé une réforme sans réelle concertation préalable et sans explication non plus après. Les IPR ne sont même pas d’accord entre eux. Certains sont passés voir les collègues, d’autres non (dans mon bassin, on nous a juste annoncé une visite « durant le premier semestre »).
Comment être porteur d’une réforme aussi floue face aux élèves ? On nous parle de devoir de réserve, mais comment ne pas dire clairement aux élèves que c’est du bricolage et qu’on n’a pas d’information claire et concrète sur les épreuves qu’ils vont passer dans 8 mois ? On est décrédibilisés si on ne joue pas franc jeu avec eux. Un exemple : j’ai annoncé aux élèves à la rentrée que l’entretien, lors de leur oral, porterait uniquement sur l’œuvre qu’ils auront choisie (comme cela est indiqué dans les textes officiels), sauf que certains IPR ont déclaré après qu’ils seraient aussi interrogés sur les autres textes vus en classe. Je suis donc revenue sur ce point avec mes élèves. Finalement, un autre IPR a affirmé depuis qu’ils ne seraient pas interrogeables sur les autres textes vus en classe : comment ne pas passer pour des incompétents face aux élèves alors que c’est l’institution qui est défaillante ?
J’étais tellement épuisée il y a deux ans que mon corps m’a lâché : hors de question que cela recommence ! Or actuellement j’ai perdu le plaisir d’enseigner. J’ai bossé à Mac Do pendant mes études et j’ai l’impression d’être dans un mode de gestion similaire : on nous demande de faire toujours plus en moins de temps, le « chiffre » (notamment celui des explications de textes) est ce qui prime, et non la qualité. Nous sommes dans un métier de l’humain et je ne supporte pas de devoir laisser mes élèves sur la touche sous prétexte qu’on doit avancer ! Je songe donc à démissionner. Je vais sûrement tenter d’aller en collège, pour voir si je retrouve le plaisir d’enseigner mais si cela ne me convient toujours pas, si on continue à faire de nous des machines qui doivent nier les élèves pour remplir la check liste, je préfère encore retourner chez Mac Do ! »
Joseph : « Un bachotage insupportable »
« Il est peut-être un peu tôt pour faire un bilan définitif mais les premières semaines augurent d’une année difficile, tant pour les enseignants que pour les élèves. En effet, la mise en œuvre, à mon avis précipitée, de la réforme a eu de nombreuses conséquences négatives.
Tout d’abord d’un point de vue pratique, la constitution de groupes de spécialités qui éclatent le concept de « classe » à conduit à des emplois du temps aberrants, pour les élèves et pour les enseignants. Par ailleurs, la disparition du « groupe classe » a une incidence néfaste sur les pratiques coopératives que l’on pouvait mettre en œuvre jusque-là. Les élèves ne se connaissent pas, ils ne font que se croiser, ils n’ont pas non plus de temps en dehors des cours pour travailler sur des projets.
Du point de vue des programmes, je rencontre des difficultés avec mes élèves de séries technologiques, pour entrer dans les œuvres les plus ambitieuses, dans le temps limité qui m’est imparti. Je manque également de temps pour travailler les nouveaux exercices comme la contraction de texte (que les élèves n’ont pas vue en seconde). J’ai l’impression de ne plus travailler que pour leur donner les moyens de réussir les épreuves du bac, sans leur permettre de construire une culture minimale qui puisse les rendre autonome face aux textes, sans favoriser le développement de leurs capacités créatrices, sans effleurer ce que peut être le plaisir du texte. Je ne trouve pas le temps ni les modalités pédagogiques qui me permettraient de donner vraiment du sens à ce que je leur propose. C’est très frustrant.
Pour améliorer la situation, il me faudrait plus de temps avec les élèves, de vraies « classes », dans lesquelles une dynamique se crée, afin qu’il soit plus facile de développer des pédagogies actives, moins d’œuvres imposées qui conduisent à un bachotage insupportable, mais nécessaire, connaissant les attendus de certains examinateurs du bac, auxquels seront confrontés mes élèves. Je pense que nous sommes tous confrontés aux mêmes difficultés, qui étaient prévisibles. »
Elisabeth : « On fait plaisir aux grands-parents »
« Le nouveau programme du lycée remet la littérature, la grammaire, l’histoire littéraire au cœur de notre système et nous ne pouvons que nous en réjouir. Mais comment faire tout cela en 4 heures ?
Le programme de grammaire est ridicule. La question sur 2 pts, donc même nombre de points que la lecture (!!!) est ridicule. En somme, un effet d’annonce. On fait plaisir aux grands-parents, ah le retour de la grammaire, mais réalité il ne se passera rien.
Et quelle charge de travail ! Nous avons décidé avec 3 collègues de nous partager les œuvres imposées et de nous répartir le travail. Seul moyen de survivre face à toute la nouveauté. Et le renouvellement du programme par moitié est un crachat de plus envoyé à nos visages d’enseignants de lettres fatigués : quelle autre matière voit son programme renouvelé par moitié tous les ans ? »
Sandrine : « Chronophage et anxiogène »
« Là où j’enseigne, nous n’avons pas encore reçu d’information officielle sur les nouveaux programmes. La formation aura lieu mi novembre. D’ici là, on fait comme on peut, notamment en faisant de la veille pédagogique. Je suis inscrite sur plusieurs forums et groupes de travail en ligne, je profite donc du travail des collègues qui partagent, des réflexions, et de retours sur leurs propres réflexions. Mais tout ceci est extrêmement chronophage et aussi un peu anxiogène. Les retours des différentes académies ne sont pas toujours d’accord, et il reste de nombreux flous. Par exemple, pour l’explication linéaire, on s’appuie sur notre expérience de préparation du/des concours, mais peut-on vraiment exiger d’un élève de première qu’il fasse comme un candidat au Capes ? Ou encore pour la question de grammaire : les quelques exemples sur Eduscol ne sont pas assez précis : sur une question du type « étudier la négation de telle phrase », qu’attendre de l’élève s’il ne peut pas se rattacher au sens ? Dire que c’est une négation avec deux mots, totale et partielle ne prend que trente secondes, qu’attend-on exactement pour que l’élève tienne deux minutes ? En gros, il reste beaucoup de questions à propos des épreuves, ce qui me rend un peu mal à l’aise parfois en cours car je me sens approximative.
Les programmes sont énormes. Les huit œuvres à lire pour nos élèves sont une exigence très lourde. Pour nous, les 24 explications linéaires et les exercices que nous devons faire pratiquer selon les programmes sont une charge énorme. Les exercices d’appropriation des lectures, la préparation à la grammaire, à l’explication linéaire, au commentaire et à la dissertation sur œuvre, sont difficiles à articuler, les élèves n’ont pas vraiment un rythme de travail soutenu. Il y a énormément de pression : certains établissements pratiquent du pur bachotage, certains professeurs fournissent toutes les explications rédigées aux élèves, ils n’ont plus qu’à apprendre par cœur.
Afin de préparer les nouveaux programmes, j’ai acheté des nombreux ouvrages: les œuvres au programme, les œuvres possibles en lecture cursive, plus de quatre car parfois j’ai dû en lire plusieurs avant de choisir. J’ai aussi acheté quelques ouvrages de type Atlande pour prendre des idées pour préparer mes cours. J’ai aussi acheté par exemple l’ouvrage de Bénédicte Shawky-Milcent sur la lecture. Tout cela représente une somme importante, que je paye sans aide de mon employeur. Cela commence à faire beaucoup : entre le mois passé à préparer les cours pour la rentrée et les dépenses, je m’interroge sur ma volonté de continuer à être professeur. »
Clothilde : « On se sent prisonniers et hypocrites »
« Les contenus des programmes sont très lourds. On se sent à la fois prisonniers de ces programmes (aussi injonctifs qu’ambitieux) et hypocrites. En effet, il y a quelque part « mensonge » entre le programme affiché et la manière dont il est fait dans les classes. Il faut tout survoler, ne rien approfondir pour pouvoir caser en 4 heures : explications de textes, lectures transversales, grammaire, méthodologie des exercices de bac, lectures cursives, parcours.
Du coup, l’enseignant se sent accablé et travaille en permanence dans l’urgence, ce qui n’est pas confortable et qui est préjudiciable, car la réflexion didactique ne se fait pas correctement. Les 24 textes de la liste d’oral apparaissent pour beaucoup comme une gageure. Face à cet état de fait, le cours magistral systématique devient une solution aux yeux de beaucoup d’enseignants.
Dans mon académie, les IPR font le tour de tous les lycées mais ils n’ont que peu de solutions à apporter. Ainsi à la question du nombre de textes, on s’est vu répondre « logique mathématique » ! De même, à la question de l’enfermement disciplinaire, de l’impossibilité de mener des projets transversaux, il est répondu qu’ils doivent/peuvent se faire en Seconde. Implicitement, cela revient à dire que la transversalité n’est pas sérieuse, elle ne se fait pas sur année d’examen.
La question de grammaire à l’oral est proprement ridicule puisque confirmation a été faite par le corps des Inspecteurs que si elle s’appuie bien sur un extrait précis du texte étudié, en revanche, elle est décontextualisée de toute interprétation et donc du sens.
Pour l’enseignement de spécialité HLP, les professeurs se sentent complètement isolés, aucun accompagnement n’est prévu, les ressources sont quasi inexistantes à part les maigres annales zéro. On navigue à vue, ne sachant si ce que l’on fait va dans le bon sens. Aujourd’hui on ne sait même pas quel sera le contenu de l’épreuve de terminale alors que les élèves devront se déterminer sur la poursuite de cette spécialité dès le mois de novembre ou décembre ! Autant dire que l’Institution ne tient pas beaucoup à ce qu’ils continuent en terminale …
En première, la possibilité de travailler en équipe est réelle mais difficile à mettre en place : choisir la même œuvre pour travailler de manière collaborative, c’est encore réduire le peu de liberté qu’il nous restait dans le choix des œuvres. Nous n’avons donc pas opté pour cette option dans mon lycée. »
Joséphine : « Je ne veux pas courir après les textes »
« Pour la classe de première, je suis très inquiète quand je vois l’ampleur du programme. Je n’ai jamais fait plus de 6 séquences par an et l’étude de deux œuvres intégrales par des classes technologiques que nous voyons 3h par semaine et qui ont de réelles difficulté de lecture et d’expression écrite me paraissait déjà suffisante les années précédentes. Je ne suis pas sûre de parvenir à leur faire étudier correctement quatre œuvres dans l’année + quatre lectures cursives. Je suis toujours à ma séquence 1, j’essaie de poser les jalons des exercices du bac… difficilement. Les élèves sont découragés face à la quantité de livres à lire (« Je n’ai jamais lu un livre de ma vie, madame ! ») et à maîtriser pour le bac. Et que dire du retour de l’étude de la langue ? Je trouve l’idée très bonne, mais je ne vois pas quand j’aurai le temps de reprendre les bases avec mes élèves auxquels il a fallu que j’explique ce qu’est un nom commun. Il faudrait revoir toute la grammaire pour une épreuve de 2 min, très vague, notée sur 2 points.
Je ne veux pas courir après les textes, les faire à toute vitesse et négliger les besoins des élèves donc je prends le temps de revoir les méthodes et d’expliquer les textes avec eux. Je ne pourrai sans doute pas tout faire dans l’année… tant pis.
Je suis également effarée de voir que l’épreuve du bac est encore très floue, en particulier l’oral : que va contenir l’entretien ? A quoi bon étudier toutes ces œuvres et faire obligatoirement un GT complémentaire et/ou un PAC par séquence si tout cela n’est pas réinvesti plus tard ? Vraisemblablement, les élèves seront interrogés sur l’œuvre de leur choix parmi les 8 lues pendant l’année et l’entretien portera essentiellement sur leurs impressions. Je ne pense que l’examen doive être le moteur de l’apprentissage. »
Laurence : « Désarroi, colère, inquiétude, écœurement »
« Je déplore d’abord le traitement scandaleux de la cohorte des secondes qui ouvre le chemin : ils ont suivi une seconde ancien programme et sans grammaire, ce qui entraîne des incohérences et des lacunes. Nous n’avons pas pu nous préparer correctement, nous avons travaillé dans l’urgence deux à trois programmes (2de, 1re, HLP) très lourds pendant les vacances, sans parvenir à tout envisager pour la rentrée… et ça recommence l’an prochain avec le programme de 1ère qui change par moitié.
Les consignes pour les exercices d’examen sont confuses voire contradictoires entre BO, Eduscol, manuels et IPR selon les académies, ce qui est scandaleux. On tâtonne et on cherche à tirer ce qui peut avoir du sens dans un programme contradictoire, hétéroclite, excessivement lourd, des demandes irréalistes et des ajustements voire modifications en cours de route, déjà depuis septembre (ex: la grammaire à l’oral…). Tour ceci est anxiogène pour les élèves comme pour les profs.
L’obligation de lecture linéaire sur 20 lignes à l’oral est stupide, sclérosante et peu respectueuse de la spécificité de chaque texte, et au final peu propice à développer une réelle appétence pour la littérature. Quel est l’objectif de notre matière ? Bref désarroi, colère, inquiétude, écœurement… »
Une équipe de lycée : «Fatigue réelle, ambiance morose »
« En seconde, la poésie du Moyen-âge, ce n’est tout de même pas le plus facile à travailler ! En première, il y perte de liberté pédagogique, on se retrouve à faire étudier des œuvres qu’on n’aime pas ou que l’on trouve non adaptées à nos élèves. Nous ne pouvons plus faire de place à la littérature contemporaine. Par exemple, pour la littérature d’idées, comment peut-on estimer qu’un texte écrit il y a plusieurs siècles peut être le support d’une réflexion sur notre monde ? La perspective d’un renouvellement par moitié du programme de première, tous les ans, nous effraie terriblement. Outre la charge que cela représente (deux œuvres à maîtriser + les parcours + les documents complémentaires + les séquences à construire), on se demande quand on va pouvoir porter sur notre travail un regard critique permettant d’améliorer les cours, les séquences, les démarches.
La dissertation sur œuvre est un exercice très ambitieux, pour lequel nous disposons de peu de temps puisque les autres tâches sont nombreuses. Nous ignorons si la dissertation portera uniquement sur l’œuvre ou si elle associera œuvre et parcours. Or ça change tout ! Si l’exercice porte sur l’œuvre et le parcours, l’élève cherchera davantage à lier les deux. D’autre part les élèves décident très vite que « la dissertation, ce n’est pas pour eux » : en effet, beaucoup ne liront pas les œuvres de façon intégrale ; ils rejettent d’emblée cet exercice qui porte sur une œuvre. Ils estiment que c’est trop de travail pour un résultat incertain. Le commentaire leur semble plus « sûr ». Quant à ce commentaire, là aussi nous sommes en peine : a priori il s’agira d’un texte lié à l’objet d’étude. Mais pas de lien avec le parcours, ni même avec les bornages des objets d’étude ? nous sommes encore une fois dans le flou ; du point de vue l’élève, comment réinvestir ce qui a été appris et compris si le lien avec le travail fait en classe est inexistant ?
24 textes en analyse linéaire à préparer pour l’oral : c’est énorme ! A ce jour, nous n’avons pas connaissance du descriptif qui servira de support aux examinateurs. On ignore si ce document comportera ou non les documents complémentaires. La situation est donc inconfortable : nous ne pouvons que dire aux élèves « nous ne savons pas »…comment être crédible dans de telles conditions ? La 2e partie de l’épreuve portera sur un œuvre au choix de l’élève : or les élèves ont déjà compris qu’il leur suffit donc de travailler une seule œuvre. Et ils ne vont pas se priver de le faire. Cela rend d’autant plus difficile notre travail en classe : durant une bonne partie de l’année, le professeur parlera d’œuvres que les élèves ont décidé de ne pas lire ; les élèves sont passifs. Cela ne concerne pas tous les élèves ; mais dans certaines classes plus faibles, c’est criant. Nous regrettons que les élèves ne puissent pas présenter des documents complémentaires (vus en classe et/ou personnels) sous forme d’un dossier qui leur permettrait d’illustrer leur propos et de nourrir leurs réponses aux questions de l’examinateur. Nous craignons que cette 2e partie de l’oral soit pauvre. Les élèves timides et/ou stressés seront particulièrement désavantagés : un support leur permettrait de mobiliser leurs acquis plus facilement.
La mise en œuvre de ces programmes pose problème. On survole les œuvres. Un travail énorme est demandé aux élèves : tous ne le font pas. La charge de travail pour l’enseignant est insurmontable. Même en ayant passé tout l’été à travailler, la surcharge de travail est réelle. Il y a épuisement dès ce mois d’octobre. Le retour de l’étude de la langue est vraiment nécessaire, mais nous n’avons pas assez de temps pour bien faire. On expérimente des activités, des travaux de groupes notamment ; la découverte d’une œuvre peut donner lieu à des manipulations intéressantes : mais ces activités prennent du temps et on a l’impression de devoir choisir entre aider les élèves à s’approprier les œuvres d’une part, faire le nombre de textes imposés d’autre part. En gros, choisir entre qualité et quantité. C’est désespérant.
Le manque de sens que ces programmes donnent à notre enseignement est criant : pour l’enseignant, comme pour les élèves. Quel est l’intérêt d’afficher qu’on travaille sur Alcools (par exemple) alors qu’en séries techno, on ne doit voir que deux textes dans l’œuvre ? Et même en série générale : comment s’approprier une œuvre intégrale en ayant étudié 3 textes (bien sûr on peut en étudier plus….en théorie, car en pratique c’est impossible vu le ratio temps/obligations). L’étude linéaire donne une impression d’éparpillement : difficile d’amener les élèves à saisir les enjeux du texte !
Nous rencontrons aussi des soucis pour les langues anciennes, en particulier des difficultés du recrutement. Quand il y a recrutement, les groupes comprennent des élèves qui n’ont jamais fait de latin/grec : comment les former en 6 mois pour une épreuve qui a l’air déjà difficile pour des latinistes/hellénistes confirmés ? Que dire des chefs d’établissement qui, sous prétexte de ne pas dépenser des heures, forcent les enseignants à accepter des regroupements de niveaux avec moins d’heures (terminales avec une épreuve en fin d’année + 1ère avec programme différent + 1èreLCA avec éventuellement une épreuve en mai sur 2 heures ?) ? Dans les programmes, on nous dit qu’il faut réaliser un portfolio, mais nous n’avons pas beaucoup plus de renseignements… A quoi sert-il ? Combien de documents doit-on y mettre ? Et pas de document d’accompagnement. Pas de formation.
Nos IPR n’ont pas répondu aux questions posées au mois de juin. Nous avons eu connaissance de ce qui se dit dans d’autres académies, et nous avons constaté que tout le monde ne dit pas la même chose… Nous sommes contraints de mettre en place une réforme qui n’est pas aboutie, qui n’est pas pensée pour les élèves d’aujourd’hui. Nous avançons (ou reculons ?) dans le flou le plus complet. Nos remarques ou propositions ne sont pas prises en compte. En cette fin de première période, la fatigue est réelle et l’ambiance est morose. »
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
(Les prénoms ont été changés)
Les programmes de français au lycée : textes officiels, ressources et analyses