Le suicide d’une directrice d’école de Pantin en Seine-Saint-Denis est dramatique. Il a légitimement suscité une vive émotion parmi ses collègues, et au-delà, au sein de toute la communauté éducative. Le temps du recueillement passé, celui du questionnement peut exister. Comment en est-on arrivé là ?
Avant de mettre fin à ses jours, Christine Renon a pris soin d’envoyer une lettre à l’inspecteur de la circonscription ainsi qu’à ses collègues qui ont indiqué qu’elle y faisait état « de sa rentrée, des difficultés accumulées qu’elle a rencontrées et de l’impossibilité pour elle de bien accomplir ses missions ». Ce drame insupportable est révélateur de la dégradation des conditions de travail de beaucoup de directrices et de directeurs, d’une hiérarchie désincarnée, injonctive et déconnectée des réalités quotidiennes de la vie des écoles (à Pantin l’inspecteur de la circonscription change chaque année). Il implique une réaction à la hauteur du ministre de l’éducation nationale et de ses représentants.
Fin 2018, une récente enquête, réalisée en partenariat avec le SE-Unsa, indiquait que les conditions d’exercice des directrices et directeurs se dégradaient, que beaucoup travaillent dans un univers anxiogène et que des réponses structurelles devaient être envisagées. C’est ainsi que la situation des directions d’école a pu être inscrite à l’agenda social du ministère. Mais après une première réunion en avril dernier, plus rien.
Jean-Michel Blanquer vient d’indiquer l’envoi d’un questionnaire aux directeurs d’école pour leur permettre de s’exprimer, la mise en place de groupes de travail sur la direction d’école dans chaque département et la convocation d’un prochain CHSCT-MEN (Comité d’Hygiène ,de Sécurité et des Conditions de Travail du Ministère de l’Education nationale) sur la thématique des suicides. Ces annonces vont dans le bon sens, à condition toutefois que le dialogue qu’elles installent ne soit pas une occasion de gagner du temps mais une réelle opportunité de déboucher sur des mesures concrètes. Il serait illusoire d’envisager la réforme du statut des directeurs comme une solution miracle. Nous demandons que toutes les pistes soient étudiées pour permettre aux directrices et directeurs de disposer du temps nécessaire pour assurer leurs missions dans de bonnes conditions.
Mais nous le savons, toutes les catégories professionnelles de l’éducation nationale sont concernées par la fatigue, la perte de sens du métier, des conditions de travail difficiles. Nous demandons qu’une réflexion globale soit engagée et qu’elle implique la mise en place d’une réelle médecine du travail et de prévention des risques psycho-sociaux.
Ce drame met aussi en lumière le déficit d’une véritable politique des ressources humaines au sein du ministère de l’Education nationale à l’heure de nouveaux défis à relever, qu’ils soient individuels et collectifs : comment valoriser des compétences ? Comment ne pas être surchargé par des tâches administratives ? Comment prendre sa place au sein d’équipes pédagogiques successives ? Comment construire une carrière incluant des parcours de mobilités ? Comment se former pour mieux exercer son métier mais aussi pour le quitter et faire autre chose ? Comment remédier à la crise des recrutements ? Les rectorats tentent bien d’y répondre, mais cela n’apparaît pas suffisant au regard des enjeux. Nous demandons l’ouverture d’une vaste concertation sur la politique des ressources humaines et sa mise en œuvre au sein du ministère de l’Education nationale.
Par ailleurs, ces événements interrogent la politique éducative du gouvernement qui semble malheureusement de plus en plus renouer avec les années de la présidence Sarkozy, quand Jean-Michel Blanquer était Directeur général de l’enseignement scolaire et organisait la suppression de millier de postes pour des raisons budgétaires. Les enseignants ressentent une forme de morgue et de mépris de la part de leur ministre quand ils auraient besoin d’être réassurés, écoutés, entendus et même défendus. Au lieu de quoi on leur propose une réforme des retraites dont ils seraient, si elle était appliquée, l’un des principaux perdants. Nous demandons au ministre de renouer le dialogue avec les enseignants et leurs représentants, à la fois sur la réforme des retraites mais au-delà sur la revalorisation des indemnités et des carrières des personnels enseignants et non-enseignants.
Ce drame lance une alerte. Le ministère de l’Éducation nationale doit l’entendre et mettre tout en place pour garantir une meilleure qualité de travail à l’ensemble des personnels.
L’enjeu est d’importance : ce qui vaut pour l’école vaut également pour l’ensemble des services publics (santé, police…) dont les personnels sont à bout et réclament à juste titre des moyens tant humains que matériels, de meilleures conditions de travail mais aussi de la reconnaissance et de la considération.
Il y a urgence : n’abandonnons pas nos enseignants, n’abandonnons pas nos services publics.
Yannick Trigance
Conseiller régional Ile de France