« Le passage au nouveau système (de retraite) pour le corps enseignant ne peut aller qu’avec la transformation de la carrière… dans toutes ses composantes ». Lançant la réforme des retraites à Rodez le 3 octobre, Emmanuel Macron a longuement évoqué le cas des enseignants. Après le discours sur les enseignants « lésés » par le futur système de retraite, le président de la République a détaillé ses intentions. Il a écarté l’idée d’une revalorisation immédiate des enseignants. Pour garder leur niveau de retraite, les enseignants devront accepter de travailler plus et de réduire leurs vacances. Cette évolution se fera sur plusieurs années. Mais où E Macron est-t-il allé chercher ces idées ?
Quand la promesse de revalorisation s’envole
Le 26 août sur France 2, E Macron avait reconnu l’impact de la réforme des retraites sur les enseignants, précisant que « certaines professions seraient lésées » avec le nouveau système de retraite et notamment les enseignants. « Il n’y aura pas de réforme des retraites tant qu’on n’aura pas bati une transformation de ces professions », disait-il. « On va construire tous ensemble cette réforme ».
Le président ne se trompait surement pas. Selon un calcul du Snes Fsu la réforme des retraites ferait perdre un millier d’euros par mois à un enseignant partant avec 43années d’ancienneté et 525 € avec 38 ans de carrière.
Après cette déclaration, certains, entre autres le ministère, avaient laissé croire à une promesse de revalorisation des enseignants. Mais Emmanuel Macron a nettement écarté cette possibilité. « Quand on parle Education nationale, on parle d’un million de fonctionnaires », dit E Macron le 3 octobre. « Si je voulais revaloriser comme c’est je mettrais 10 milliards. Je ne vais pas revaloriser demain. C’est vos impôts ! » Dix milliards c’est aussi ce que le Café pédagogique avait calculé en revalorisation salariale des enseignants pour permettre le maintien des retraites actuelles. Et il nous semblait impossible que le gouvernement s’engage sur cette voie.
Une revalorisation liée à la hausse du temps de travail
Ce n’est effectivement pas sur ce chemin qu’E. Macron s’engage. Ecoutons-le le 3 octobre : « Le pacte social implicite que l’on fait depuis des décennies c’est de dire « on ne vous paye pas très bien, votre carrière est assez plate mais vous avez des vacances et vous partez à la retraite avec un système mieux calculé que beaucoup d’autres… Ce pacte ne correspond plus à la réalité et à ce qui est souhaitable.. Le passage au nouveau système (de retraite) pour le corps enseignant ne peut aller qu’avec une transformation de la carrière. Il faudra repenser la carrière dans toutes ses composantes ».
E Macron se fait plus précis un peu plus tard. « Il faut repenser la carrière. Il faut arriver à ce que la carrière progresse davantage. Comme on paye mieux on change le temps de travail (des enseignants) pour accompagner les jeunes différemment.. On regarde les vacances. Et on valorise la carrière de directeur. On intègre qu’à des moments de la carrière on ne soit plus devant élèves ».
Emmanuel Macron lie donc le maintien du niveau de retraite des enseignants à une négociation sur leur temps de travail et la durée des congés. Pour lui cela va se discuter sur un temps long au bout duquel les enseignants entreraient dans le nouveau système de retraite. Son secrétaire d’Etat a rappelé que le nouveau système n’entrerait en vigueur qu’en 2025 et d’abord pour de faibles effectifs. Autrement dit, il y aurait une phase longue de transition permettant une évolution lente des choses.
On est là devant un impératif de gestion. L’augmentation du temps de travail ne peut dégager une somme importante qu’avec une masse importante d’enseignants. Et donc cela nécessite plusieurs années (il y a environ 20 000 départs en retraite d’enseignants par an).
La réforme préparée par JM Blanquer
Le gouvernement va donc commencer à négocier la hausse du temps de travail et la baisse de la durée des vacances. Ces points là ont déjà été bien préparés par JM Blanquer. Le ministre a déjà décidé d’augmenter de deux heures supplémentaires le temps de travail des professeurs du secondaire. Et il a fait passer deux décrets qui prévoient une semaine de formation obligatoire sur les congés et un réaménagement des cycles des vacances.
Evidemment , en pleine vague de suicides d’enseignants pour burnout ces propositions frisent l’indécence. Mais ces projets viennent de loin. E Macron peut s’inspirer de deux rapports, celui du sénateur G. Longuet en 2016, un proche de F Fillon, et du rapport de 2017 de la Cour des Comptes.
D’où vient ce projet ?
G Longuet avait prévu l’intégration de deux heures supplémentaires dans le temps de service des enseignants du second degré. Se basant sur le décret fixant à 1607 heures le temps de travail des fonctionnaires , il a calculé qu’avec une heure de préparation pour une heure de cours, les certifiés doivent à l’Etat 311 heures annuelles et les certifiés 527. Soit pour les premiers plus de 8 heures hebdomadaires et pour les seconds pas loin de 14…
Dans son rapport de 2017 , qui reprend un précédent de 2013, la Cour des comptes calcule qu’augmenter d’une heure le temps de service des enseignants permet d’économiser 22 000 postes. Ce rapport , comme celui de G Longuet, envisage d’imposer l’annualisation du temps de travail, ce qui est aussi une façon d’en augmenter automatiquement la durée puis que toutes les heures qui sautent pour examen, conseil, formation, absences diverses des élèves ou du professeur, restent dues. La Cour avait aussi calculé que la bivalence dans le second degré permettrait d’économiser 2480 emplois rien qu’au collège.
Augmentation du temps de travail annuel, bivalence, formation sur le temps de congé, examens repoussés plus tard, tout cela peut permettre des suppressions de postes équivalent aux milliards de la revalorisation. Ainsi la Cour estimait qu’il y avait 6 milliards à récupérer sur le seul lycée. Avec le calcul de G Longuet on pouvait récupérer un peu plus de 7 milliards.
Des retraites à 1200 € ?
Mais de combien devrait être la revalorisation pour Emmanuel Macron ? Pour cette question on peut tout craindre. Le 3 octobre il a estimé la retraite actuelle des enseignants à 1200 € par mois. Et il n’a pas voulu en démordre malgré les petits papiers qui lui ont été donnés et qui disaient 2600 € en moyenne. En réalité, aujourd’hui la retraite moyenne des enseignants, selon Le bilan social, une publication du ministère, s’établit à 2380 € par mois. La retraite des enseignants qui n’ont fait que ce métier est à 2600€ en moyenne (2500€ dans le 1er degré, 2850 dans le second et 3830 pour les personnels de direction). Va t-il donc falloir aussi négocier avec le président le « passage » de 1200 à plus de 2000 euros pour les retraites des enseignants ?…
François Jarraud
La vidéo d’E Macron (vers 3:10)