Dans son ouvrage « De Montessori à l’éducation positive, tour d’horizon des pédagogies alternatives » qu’il publie aux éditions Mardaga, Sylvain Wagnon, professeur à l’université de Montpellier, poursuit son travail de clarification et d’explication des principes et des pratiques de la « galaxie » des pédagogies alternatives ». Loin des polémiques mais avec un regard critique sur l’écart entre les discours altruistes affichés par la plupart de ces écoles et la réalité de certaines pratiques, il analyse les lignes de forces de ce courant éducatif en plein essor.
Comment avez-vous abordé l’étude de ces pédagogies alternatives ?
Il est toujours complexe de définir une nébuleuse composée de multiples courants de pensée et d’en analyser les principes fédérateurs. Dans cet ouvrage, j’ai cherché à étudier les pédagogies alternatives dans leur pluralité et leur complexité pour mieux comprendre leurs mécanismes, leurs intentions et leurs finalités.
Le terme de pédagogies alternatives regroupe deux « archipels ». D’une part, la mouvance des pédagogies d’Éducation nouvelle créée au début du XXe siècle, comme les mouvements Freinet, Decroly, Steiner ou Montessori, mais d’autre part un l’apparition, depuis le début du XXIe siècle, de toute une variété de courants comme les écoles dites démocratiques ou l’instruction à domicile, qui font du développement personnel, de la primauté des familles dans l’éducation ou de l’influence des neurosciences, des notions fédératrices. La difficulté est que ces deux archipels peuvent s’entrecroiser comme c’est le cas avec les courants Montessori et Steiner.
Le terme d’alternative est percutant, c’est l’ambition d’incarner, face à un enseignement classique, une autre voie, une autre façon d’éduquer, d’enseigner, de comprendre les apprentissages et de proposer un autre projet de société. C’est pour cela que dans cet ouvrage je signale bien l’importance pour les courants « historiques » de l’éducation nouvelle de ne pas se laisser déposséder de ce terme politiquement important.
En quoi les pédagogies alternatives nous aident-elles à comprendre les défis actuels du système éducatif ?
Le développement des pédagogies alternatives interrogent sur l’évolution future de nos systèmes d’éducation. Leur connaissance est nécessaire car il ne s’agit pas d’un effet de mode, mais bien d’une tendance de fond de notre société. Le développement des écoles alternatives ne peut être déconnecté de l’importance de l’individualisme dans notre société. Le fait que de plus en plus de parents veulent une école différente pour leur enfant est un élément à prendre en compte. Cela pose la question de la place des parents dans l’éducation et les liens avec l’école publique.
Ensuite, ces pédagogies alternatives s’épanouissent, à l’exception notable du courant Freinet, hors de l’école publique. Cette opposition, plus ou moins radicale selon les courants, à l’enseignement public implique un questionnement sur la libéralisation de l’éducation.
Enfin, ces pédagogies, en prônant pour certaines la primauté des apprentissages informels, oblige à une réflexion sur la définition de l’éducation et de la pédagogie. Les pédagogies alternatives ouvrent le débat non pas sur le plan stricto sensu scolaire, mais bien sur celui de l’éducation, au sens large, de l’individu.
Le domaine de la pédagogie n’est pas celui de la technique et de la méthode, mais bien celui très politique des finalités et, là encore, les pédagogies alternatives posent la question d’un débat entre les militants d’une école commune et les partisans de l’entre-soi.
En étudiant les pédagogies alternatives, je voulais également lutter contre le confusionnisme que certains entretiennent dans les termes comme éducation intégrale, démocratique ou émancipatrice.
Votre analyse tend à sortir du débat pour ou contre les pédagogies alternatives ?
Il s’agissait de sortir de la caricature, de ne pas être réducteur et de ne pas tomber dans un manichéisme préjudiciable à toute réflexion scientifique et à la réalité.
Il me semble fondamental de dénoncer avec la plus grande vigueur, et c’est ce que je fais dans cet ouvrage, les risques de l’entre-soi, les dérives sectaires et mercantiles de courants ou pratiques, ainsi qu’un entrisme non dissimulé d’activités dites alternatives comme la méditation dans l’enseignement public, il convenait d’analyser les évolutions rapides de ces écoles, leurs expérimentations et leurs tâtonnements. La situation évolue très vite, il faut analyser avec précision les transformations pour être à même d’y répondre, parfois de si opposer avec force mais aussi de reconnaitre le bien fondé de certaine réflexions et débats.
Je m’inscris dans une réflexion sur la réforme de l’enseignement public et une telle réforme passe par une critique forte du système en place et de la société néolibérale. La clarification des finalités éducatives est plus que nécessaire pour comprendre la situation. Comme l’a précisé avec force Philippe Meirieu, une école préfigure toujours un projet de société et dans cet ouvrage c’est pour cela que nous avons le plus souvent placé l’analyse des pédagogies alternatives dans des questions éducatives, sociales et politiques plus larges et qui impliquent l’avenir de nos systèmes publics.
Propos recueillis par Béatrice Mabilon-Bonfils
Directrice du laboratoire BONHEURS (Bien-être, Organisations, Numérique, Habitabilité, Education, Universalité, Relation, Savoirs)
Université de Cergy-Pontoise
Sylvain Wagnon, De Montessori à l’éducation positive. Tour d’horizon des pédagogies alternatives. Editions Mardaga. ISBN 9782804707743