Comment enseigner le numérique, cette « socialisation de l’informatique » selon Bruno Devauchelle ? Comment par exemple, former les élèves aux circuits de production et de diffusion de l’information tels que les transforment les réseaux sociaux ? Au collège de Montrésor en Indre-Et-Loire, la professeure-documentaliste Nadia Lépinoux-Chambaud a lancé un projet original : Flash Tweet Edu. La tâche confiée aux élèves est de produire un journal en 10 tweets : pour cela, ils doivent concevoir une ligne éditoriale, chercher, valider et hiérarchiser les informations, les publier en ligne et en direct sur Twitter. Mené en partenariat avec les professeur.es de lettres et de sciences, le projet constitue une Education active aux Médias et à l’Information, développe des connaissances pluridisciplinaires, permet de travailler des compétences transversales. Avec une belle ambition : que les élèves apprennent à agir et interagir comme citoyens du web.
Comment est né ce projet ?
Je suis professeure documentaliste au collège de Montrésor (Indre-Et-Loire). FlashTweetEdu est un projet imaginé d’une double volonté, celle de former des élèves de 3ème avant leur passage au lycée et celle de faire vivre un média scolaire d’établissement. Ce projet vise à rendre les jeunes, futurs lycéens, actifs et critiques face à l’information : leur apprendre à s’informer, à collaborer et à informer les autres. J’avais besoin de trouver un modèle du type « Learning by doing » (Apprendre par la pratique en français) pour former les élèves de manière efficace et rapide. En effet, un professeur documentaliste dispose de peu de temps d’intervention auprès des élèves. Le projet a donc vu le jour à travers une collaboration, avec des professeurs de lettres.
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le projet « FlashTweetEdu » ?
Nous sommes partis d’un modèle existant : FlashTweet, un média innovant créé par la journaliste Emmannuelle Leneuf (@EmmannuelleL9, @FlashTweet) sur Twitter, il y a 4 ans. FlashTweet, c’est un journal en 10 tweets, une chronique quotidienne et digitale sur la transformation numérique. FlashTweet, c’est 10 informations à ne pas rater sur Twitter, dans un flux ininterrompu d’informations, avec 2 objectifs : lutter contre l’infobésité, avec une information sélectionnée et hiérarchisée, et combattre la peur de rater quelque chose ou FoMO (Fear Of Missing Out en anglais).
Nous avons, avec Emmanuelle Leneuf, donné vie à ce partenariat. Tout est possible sur Twitter, et même la rencontre entre une professeure documentaliste de collège rural et d’une journaliste sur Paris ! Ce partenariat donne tout son sens aux apprentissages, le défi proposé aux élèves de collaborer à la publication d’un journal en ligne et en live, devient concret et réaliste. Le soutien de la journaliste et le public de FlashTweet, les nombreux followers, bien plus que ceux espérés par notre média scolaire @MediaMontresor, donnent une autre dimension au projet, en le rendant visible. La mission proposée aux élèves rassemblent de nombreuses compétences informationnelles et donc transversales : réfléchir à une ligne éditoriale, chercher, évaluer, valider des informations, les hiérarchiser et publier un journal en ligne et en direct, le tout en collaborant en classe et avec des outils numériques.
Dans les faits, comment les élèves travaillent-ils à la réalisation de ce journal sur Twitter ?
Le projet a évolué depuis sa création, il y a 3 ans. Aujourd’hui, FlashTweetEdu est un projet d’EPI (Enseignements Pratiques Interdisciplinaires) qui s’étale sur une année scolaire et rassemble 3 disciplines (Physique-Chimie, Lettres, Éducation musicale) autour du professeur documentaliste. Les élèves sont sensibilisés aux actualités scientifiques en physique-chimie et travaillent autour d’une veille collaborative avec le professeur documentaliste. Ils créent un jingle (ou chanson publicitaire en français) avec le professeur d’Éducation musicale. Avec les professeurs de français, nous abordons la notion de médias et les usages numériques de l’information, pour parler de Twitter, de FlashTweet et de la journaliste et de son métier.
Pour la publication du journal, nous disposons de 3 heures : 1 heure pour faire des choix en matière de ligne éditoriale, 1 heure pour sélectionner et hiérarchiser les informations et 1 heure pour la publication. Les élèves travaillent en équipe selon la répartition suivante : nous avons les journalistes qui, par binôme, se répartissent les 10 informations et donc les 10 tweets à écrire ; nous avons les rédacteurs en chef qui à l’image d’une véritable rédaction, donnent le rythme, répartissent le travail, relancent, font des choix, réagissent dans l’urgence et sous la pression du live ; enfin, nous avons l’équipe d’éditeurs qui se chargent d’écrire les tweets d’annonce et de fin du journal, vérifient, enrichissent et publient les tweets de 1 à 10 proposés par les équipes de journalistes, surveillent les interactions sur Twitter (les mentions de favoris, les commentaires, les messages et les échanges avec la journaliste).
FlashTweetEdu est un journal dont la publication est annoncée sur Twitter et relayée par notre partenaire FlashTweet. Les lecteurs choisissent donc de nous suivre et prennent rendez-vous avec les élèves pour les lire, en direct ou en replay.
Quels rôles jouent les enseignant.es dans ce travail ?
Chaque enseignant est au service de compétences transversales, utiles dans toutes les disciplines. Sur un même projet, les enseignants participent à l’Éducation aux Médias et à l’Information (EMI) pour favoriser l’autonomie des élèves et développer leur esprit critique, comme un tremplin pour le lycée, pour préparer des futurs citoyens mais également des futurs professionnels. Chaque enseignant permet de donner plus de poids au projet auprès des élèves ou des parents d’élèves.
Quels principes éditoriaux déterminent les choix de contenus ou de mise en en forme ?
FlashTweetEdu est un projet pluridisciplinaire. Il intègre donc les contraintes liées aux programmes d’enseignement en classe de 3ème. C’est un EPI, donc un projet pouvant être choisi pour l’épreuve orale du brevet. Les disciplines de physique-chimie et de lettres sont reliées autour de la thématique des progrès scientifiques. La ligne éditoriale du journal publié par les élèves concerne donc l’actualité scientifique. Les élèves définissent ensemble (groupe classe) la ligne éditoriale, c’est-à-dire la manière dont ils veulent traiter l’information. Ils sont libres ensuite dans cette thématique de préciser leurs choix pour construire leur journal, en termes de contenus, de ton et d’audience. Cette ligne éditoriale définit l’identité du journal de la classe. Pour la mise en forme du journal, les élèves respectent le modèle existant de FlashTweet en proposant des tweets d’annonce et d’alerte pour le lancement et la fin de la publication, des tweets de remerciements et 10 tweets numérotés pour le FlashTweetEdu composé d’informations chaudes, une information visuelle, des informations froides et un « must read » comme dans tout produit médiatique. Un tweet de FlashTweetEdu se travaille dans le « jargon » de Twitter avec des hastags et comme le titre d’un journal, avec une accroche : éviter ce qui peut gêner la lecture, aller à l’essentiel, faire des phrases simples, soigner l’orthographe, enfin utiliser des visuels pour attirer le lecteur et apporter une touche d’originalité.
A l’usage, en quoi le dispositif vous semble-t-il à même de travailler d’importantes compétences d’EMI ?
Apprendre par la pratique (Learning by doing en anglais)… FlashTweetEdu sert à travailler les compétences d’EMI : apprendre à s’informer en passant par la veille, à collaborer et à informer les autres, en sélectionnant et hiérarchisant des informations. Ce projet de formation est riche de déclencheurs d’apprentissage. D’une part, FlashTweetEdu est un journal publié en ligne sur un réseau social via le média scolaire de l’établissement, qui permet de valoriser le travail des élèves. D’autre part, FlashTweetEdu est une production médiatique réaliste qui suit un modèle existant et de qualité, aux exigences professionnelles. Enfin, FlashTweetEdu est une publication en live qui contraint les élèves dans le temps, ce qui nécessite un engagement de groupe et apporte une pression bénéfique pour mener à bien le défi lancé.
FlashTweetEdu est un projet de formation complet, pour traiter l’information de A à Z, de la recherche documentaire à la publication. Les élèves, confrontés à des lecteurs, en dehors du public « Éducation nationale » habituel (professeurs, parents d’élèves…) prennent réellement conscience de leurs responsabilités éditoriales, de leurs capacités d’autonomie et de leurs qualités d’esprit critique.
Les élèves sont amenés à entrer dans un espace (les réseaux sociaux) et dans une temporalité (l’actualité, le live) qui ne sont pas ceux qu’occupe et circonscrit habituellement l’École : quels profits et quels plaisirs tirent-ils de cette escapade, de cette ouverture au monde ?
Les élèves de 3ème ne sont pas des utilisateurs habituels et majoritaires du réseau social, Twitter. Au-delà de découvrir la plateforme Twitter, l’intérêt est surtout de leur montrer d’autres usages des réseaux sociaux, des usages informationnels et professionnels. La temporalité des réseaux sociaux impose l’immédiateté et permet la visibilité. Ces deux éléments propices à l’apprentissage stimule la curiosité des élèves et les motive dans l’accomplissement du défi lancé. Les élèves sont fiers du travail accompli, ensemble. Les élèves, futurs citoyens, comprennent l’intérêt de ce travail pour eux et pour leur avenir. Certains choisissent de le spécifier dans leur CV. D’autres créent leur propre compte Twitter. FlashTweetEdu est une expérience concrète, professionnalisante, interactive et qui appartient à l’univers digital des adolescents.
Dans quelle mesure le projet vous semble-t-il diffusable et transférable ?
FlashTweetEdu est un projet évolutif, déclinable et adaptable. Cette année, les élèves vont dévoiler les coulisses d’un FlashTweetEdu via le réseau social Instagram. Cette année encore, l’Éducation musicale s’est ajoutée au projet. D’autres professeurs documentalistes ont rejoint le projet comme Roselyne Berthon du Collège Racan (37) depuis la première heure. Il y a 3 ans FlashTweetEdu a été lancé à travers les TraAM documentation. Dès le début, mon objectif a été de mutualiser ce projet et de l’expérimenter ailleurs, avec d’autres, adultes et enfants. Trois ans après, FlashTweetEdu, c’est plus de 15 journaux publiés, en collège ou au lycée, en français ou en anglais, et presque 500 élèves formés grâce à ce dispositif.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Bruno Devauchelle : Codage et algorithmes suffisent-ils…
Nadia Lépinoux-Chambaud sur Twitter : @infoprofdoc
Emmannuelle Leneuf sur Twitter : @EmmanuelleL9