« Hormis l’enseignement de l’informatique, le ministre n’engage pas de directive forte dans le champ de l’éducation au numérique ». Eduquer dans un monde numérique s’appuie sur quatre domaines proches : l’informatique, les compétences d’usages du numérique, l’éducation aux médias et à l’information et enfin l’enchâssement de l’informatique et du numérique de manière transversale (perturbateur endocrinien) dans toutes les strates de la vie en société. Le monde scolaire est depuis longtemps sollicité pour participer à cette éducation, les promesses des concepteurs s’appuient aussi sur cette hypothèse éducative allant jusqu’à la suggérer. Dans la salle de classe, l’enseignant est amené, selon les circonstances, à se confronter à des situations dans lesquelles chacun de ces domaines intervient de manière plus ou moins importante, mais articulés entre eux. En choisissant de segmenter les quatre domaines, les décideurs tentent d’être plus efficaces au vu de l’échec constaté des tentatives précédentes de rentrer par l’enchâssement pour aller vers l’informatique (cf. le B2i et ses évolutions).
Confusion
La priorité a été récemment mise par le ministère de l’éducation sur le code et l’informatique, en accord avec les groupes de pression divers (entreprises, INRIA, EPI, etc.) auquel le ministère a ouvert la porte en instituant même un CAPES et en promettant une agrégation. Ce premier domaine est donc devenu spécifique, même si l’enseignement de Sciences Numériques et Technologie (SNT) en classe de seconde tente, dans ses contenus, d’éviter les cloisonnements. Les décrets et arrêtés du 30 aout à propos du cadre de référence des compétences numériques (CRCN) et du PIX complètent le tableau, en tentant aussi de garder une ouverture tout en choisissant aussi un domaine celui des compétences d’usage du numérique. Pour ce qui est de l’Education aux Médias et à l’Information et sur l’enchâssement du numérique dans les contenus d’enseignements et dans la société, le choix est différent : à la transversalité du numérique doit répondre la transversalité des actions. Pour le dire autrement : puisque le numérique est partout autour de nous, alors abordons-le partout dans les enseignements. Ainsi les quatre domaines sont couverts. Même dans l’arrêté sur le PIX on retrouve la même proposition de mise en œuvre : « La formation aux compétences numériques et l’évaluation de ces compétences se déroulent dans les enseignements prévus par les programmes », ceci articulant enseignement dédié et activités transversales, mais en lien avec les contenus des programmes (dont on sait qu’ils sont pivots dans l’activité des enseignants).
Afin d’obtenir les résultats attendus le ministère organise ses troupes pour engager, vérifier et évaluer cela en voici une illustration récente : parmi les dossiers dont doit s’emparer cette année l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR – nouvelle dénomination du regroupement d’inspections générales), on trouve peu de chose sur le numérique :
– Evaluation de » La mise en place du nouvel enseignement scientifique commun ; la mise en place du nouvel enseignement numérique ; »
– Apporter son expertise sur : « les usages pédagogiques du numérique au service de la réussite des élèves : définir les apports et limites, développer une stratégie efficace (évaluation des expérimentations, formation, accompagnement des établissements, équipements) ;
L’analyse plus globale de ce texte publié ce 12 septembre 2019 au BOEN confirme les priorités du ministère et les propos tenus à la rentrée et dans la circulaire afférente. D’abord le domaine informatique (puisque c’est un nouvel enseignement) doit être évalué et suivi. Le seul problème que pose cette directive c’est la confusion, voire la fusion entre informatique et numérique. Cette confusion tient aussi dans le débat conceptuel entre sciences numériques, sciences du numérique, science informatique et informatique… Le ministère ne clarifie pas vraiment les choses. Nous rappelons ici que, pour nous, le numérique exprime la socialisation de l’informatique, et donc qu’en intégrant la vie sociale, l’informatique sort de sa dimension scientifique et technique pour devenir un « objet intégrateur et intégré ». En sa qualité de décideur, le ministère souhaite voir sa politique mise en œuvre, conscient des nombreux écarts passés entre l’intention (exprimée parfois dans les lois) et la réalisation (toujours dans le quotidien des établissements). Les inspections générales s’inscrivent donc dans la perspective d’un meilleur contrôle de l’état sur la mise en application des directives politiques et donc l’encadrement des enseignants et de leur formation (c’est une de leur mission depuis longtemps). Car le domaine de l’enchâssement est celui qui s’exprime dans le souhait d’un apport d’expertise de l’Inspection Générale. Toutefois il ne s’agit pas d’imposer, mais d’accompagner cette volonté politique exprimée dès le début des années 1980 de voir l’informatique transformer l’enseignement (cf. notre chronique de la semaine dernière)
Insuffisances
On peut donc considérer qu’hormis l’enseignement de l’informatique, le ministre n’engage pas de directive forte dans le champ de l’éducation au numérique (EMI, compétences numériques transversales). Même si le PIX fait l’objet d’un décret et de deux arrêtés, la mise en œuvre est encore loin d’être actée pour un dispositif que nombre d’enseignants ignorent encore. Il va y avoir une concertation avec les acteurs impliqués (en particulier les chefs d’établissements) en vue d’une mise en œuvre progressive. Si nous faisons le parallèle avec le B2i, il faut rappeler que la certification se fait par des activités en ligne et évaluées indépendamment de l’établissement, mais que la formation des compétences des élèves relève elle de l’établissement et donc de l’élaboration d’une stratégie pour y parvenir. L’expérience antérieure montre que cela n’est pas simple. Il faudra donc observer attentivement ce qu’il va en être réellement.
Nous pensons que le discours sur le code et l’informatique est insuffisant. Nous avons longtemps discuté et refusé cette idée d’un enseignement spécifique avant le lycée. Les publications actuelles sur la place des écrans dans la vie quotidienne (hormis les outrances de certaines et certains) renvoient plus globalement à la question de l’enchâssement et celui-ci s’opère de plus en plus tôt dans la vie quotidienne. Nous pensons que renvoyer uniquement la question du code ou de la compétence numérique comme mode d’action est insuffisant pour accompagner et participer à l’éducation des jeunes. La réification de l’objet numérique dans sa modalité informatique est le meilleur moyen de laisser échapper la compétence éducative et socialisante du monde scolaire. Si, comme le dit le site du ministère, l’EMI est inscrite dans le socle commun (on connaît le sort de celui-ci depuis 2005 dans le quotidien des établissements), ce n’est pas pour autant qu’elle est véritablement en place et intégrée. Il y a encore du chemin à parcourir. Les opposants radicaux au numérique en classe n’ont pas encore compris que ce qui arrive doit être pris en compte par l’école. A moins qu’ils ne préfèrent abandonner les jeunes et leurs familles à des difficultés face au numérique. On retrouvera ainsi le numérique le même problème qu’avec l’illettrisme que l’école à encore bien du mal à réduire….
Bruno Devauchelle
Inspections générales : Programme de travail 2019-2020
Décret no 2019-919 du 30 août 2019 relatif au développement des compétences numériques dans l’enseignement scolaire, dans l’enseignement supérieur et par la formation continue, et au cadre de référence des compétences numériques (CRCN)