A quoi sert un lycée ? Uniquement à transmettre des connaissances puis à orienter ? Ou a t-il aussi un rôle éducatif à jouer ? Le lycée est-il là aussi pour aider les élèves à sauter les difficultés et construire ces mini sociétés que sont les classes ? Si vous vous rattachez à ce deuxième aspect du lycée, alors la réforme mise en place cette année doit vous rendre malheureux. Et cette évolution devient maintenant publique à travers la question des conseils de classe.
Professeur principal : mission impossible
Une des caractéristiques de cette rentrée ce sont les démissions massives des fonctions de professeur principal dans les lycées. La fonction s’accompagne pourtant d’une prime, toujours bonne à prendre quand on a des salaires aussi bas. Et il lui reste du prestige : le professeur principal est l’interlocuteur privilégié des parents. C’est aussi celui qui prépare le conseil de classe, l’introduit et qui rédige la synthèse de chaque élève. Et bien cette année, dans de nombreux lycées, personne n’en veut. Comme si la fonction s’était totalement dévalorisée en un été.
C’est qu’en première, avec la réforme, être professeur principal en lycée général rejoint les missions impossibles. Du fait de l’éclatement des élèves entre de nombreuses spécialités, le nombre d’enseignants pour chaque classe est multiplié par deux ou trois. On compte en général 30 à 40 professeurs par classe. Cela rend la réunion du conseil de classe quasi impossible. A aucun moment tous ces professeurs peuvent être réunis (en espérant qu’une salle puisse les accueillir). Quant au professeur principal on ne voit pas mieux comment il pourrait préparer le conseil auprès de ses collègues.
Main mise gestionnaire
Mesurons maintenant la rupture éducative qui se produit dans les lycées généraux du fait de la réforme Blanquer. Avec la réforme la notion de classe disparait. Les classes existent administrativement toujours. Mais elles n’ont plus d’identité. Il n’y a plus de classe des littéraires ou des ES. Les élèves sont répartis entre les différentes spécialités et même souvent entre plusieurs groupes de la même spécialité. Ils passent la majorité de leur temps dans d’autres groupes. Ils ne partagent qu’un tronc commun. On est passé de la classe à la division : la classe n’est plus qu’une unité administrative utile pour exploiter au maximum les locaux et le stock d’enseignants.
Cette réforme du lycée c’est le paradis du gestionnaire ! Là où il fallait calculer des moyens différents pour les littéraires ou les scientifiques, accorder plus de telle discipline aux uns et pas aux autres , ou , pire encore, concéder des heures d’enseignement en petit groupe parce que les programmes diffèrent, maintenant tout est optimisé. Les classes n’ont plus d’identité pré définie donc on peut les remplir au maximum toutes. Il suffit d’adapter mathématiquement les divisions au stock d’élèves. La même logique prévaut pour les spécialités qui sont remplies avec des élèves venant des différentes divisions. Avec ce système la réunion du conseil de classe devient impossible. Et la fonction de professeur principal.
Qui suit chaque élève ? Personne !
Pour tous ceux qui pensent qu’un lycée est seulement un lieu de transmission de connaissances , la réforme ne pose pas de problème. Mais ceux qui y voient aussi un lieu d’éducation et de socialisation font la grimace.
Car qui maintenant s’occupe du suivi individuel des élèves ? A quel moment peut on faire un point précis avec les professeurs de toutes les disciplines pour chaque jeune ? Qui va synthétiser toutes les informations sur un jeune et en discuter avec lui ? Tout cela est maintenant terminé.
Cela ne nuit pas forcément à tous les élèves. Moins encadrés, les élèves sont plus libres, plus autonomes et parfois plus responsables. Beaucoup d’élèves vont bien s’adapter à la nouvelle usine anonyme de transmission de savoirs.
Qui perd avec cette réforme ?
Mais il y a les autres. Ceux qui n’ont pas confiance en eux, ceux qui ont des tentations ou des difficultés, tous ces jeunes qui ont besoin d’un suivi rigoureux et d’une influence bienveillante d’adulte à jeune. Disons le : ceux là ce sont plutôt les jeunes des familles les moins favorisées. Cette dimension profondément humaine du travail éducatif disparait totalement avec la réforme. Certes les CPE continueront à soutenir les élèves qui en ont besoin. Mais ils ne voient qu’un aspect des choses, celui de la vie scolaire. Et ces jeunes qui ont le plus besoin de l’école risquent fort d’être victimes de la réforme.
Regardons aussi les choses coté professeur. Pour beaucoup d’enseignant, au lycée on n’est là que pour transmettre des connaissances. Ceux là ne sont pas dérangés par cet aspect de la réforme. Mais d’autres trouvaient une justification de leur métier dans le travail de suivi éducatif des élèves. Ceux là vont souffrir. Mais tous vont quand même vivre ce qui se joue avec la disparition du conseil de classe. Le conseil c’est aussi un lieu où s’exprime le pouvoir du collectif enseignant d’une classe. Avec sa disparition, ou sa transformation en un show interminable, les enseignants sont dépossédés de tout pouvoir de décision. Tout revient au seul chef d’établissement. Avec la réforme Blanquer, l’administratif l’emporte sur l’éducatif, la technostructure sur les enseignants.
On mesure ce que veut dire davantage d’autonomie et de liberté, les deux mots clés de la réforme. En accordant davantage d’autonomie et de liberté tout en annihilant l’encadrement éducatif des jeunes, la réforme transforme la liberté en égoïsme et l’autonomie en irresponsabilité. Elle aggrave les inégalités entre les jeunes à l’aise avec l’école et les autres.
François Jarraud