Annoncée le 27 mars 2018, aux Assises de la maternelle, par le président Macron lui-même, l’obligation d’instruction a pris effet le lundi 2 septembre dernier. Pour la très grande majorité des familles ayant fait le choix de la scolarisation en école maternelle, nulle révolution. Pourtant l’application du décret d’août dernier est un véritable casse-tête. Car qui dit obligation scolaire, dit assiduité. Quid des petites sections dont la scolarisation a souvent été aménagée ? Prenant en considération la spécificité des petites sections ou la levée de bouclier des communes pour qui scolarisation à temps complet pour tous va bien souvent avec construction de dortoirs ou encore achat de lits pour la sieste des petits, la rue de Grenelle s’est hâtée d’ajouter un article au décret. C’est ainsi qu’est apparu l’article R 131-1-1 « l’obligation d’assiduité peut être aménagée en petite section d’école maternelle à la demande des personnes responsables de l’enfant. Ces aménagements ne peuvent porter que sur les heures de classes prévues l’après-midi ». Et cet article, loin clarifier la situation, donne lieu à de multiples interprétations, que ce soit au niveau des directions académiques ou des inspecteurs…
A Paris, comme dans l’Hérault, ce sera juste de la paperasse en plus …
Dans cette petite école d’un cossu arrondissement parisien, le directeur, Eric, nous explique que l’inspectrice a en effet rappelé que dorénavant les élèves d’école maternelle étaient soumis à l’obligation scolaire et donc à une obligation d’assiduité. « Elle en a à peine parlé lors de la réunion de pré-rentrée », alors pour lui, ce sera comme d’habitude. « La très grande majorité de nos quatre-vingts élèves de petite section restent la journée complète. Il y en a quelques-uns qui ne reviennent pas l’après-midi. J’essaie, comme je le faisais déjà auparavant, d’expliquer aux parents que nous faisons des activités après la sieste. Généralement, au bout de quelques semaines, les rares élèves qui ne dorment pas à l’école reviennent à 14h45. Ce n’est pas une loi qui changera les pratiques, c’est nous enseignants, directeurs et directrices qui, en expliquant l’intérêt de l’école, permettront de faire évoluer les choses ». Pour ces rares familles qui ne souhaitent pas que leur enfant retourne à l’école l’après-midi, il suffira de leur faire remplir un document, sorte de contrat dans lequel ils demandent l’accord de l’équipe enseignante et de l’inspecteur de circonscription. Autre casse-tête pour la capitale qui est une des rares villes à être encore sur une semaine de quatre jours et demi, qu’en est-il des mardis et vendredis puisque l’école s’arrête à 15h ?
Dans l’Hérault, Martine, directrice d’une petite école rurale de deux classes, fera preuve de beaucoup de souplesse comme le lui demande son inspectrice. « Concrètement, les parents peuvent choisir de ne pas mettre leur enfant à l’école l’après-midi, ou seulement certains après-midis, voire de garder les enfants à la maison pour la sieste et de les ramener ensuite à l’école… Tout dépend de ce que les règlements intérieurs permettent et de ce que les écoles acceptent ou non comme aménagement. En fait, le tout est que la situation soit formalisée dès le départ, par écrit. On dispose d’une fiche à faire remplir aux parents pour toute demande d’aménagement de l’emploi du temps de l’après-midi C’est un document type avec un tableau à remplir, on y note les après-midis de présence à l’école, éventuellement les heures d’arrivée l’après-midi si les enfants arrivent après leur sieste… Les parents signent, puis le directeur et l’IEN émettent un avis. Lors de la réunion de rentrée notre IEN nous a dit qu’il donnerait son accord dans tous les cas pourvu que les directeurs aient validé. Ce document ne vaut pas pour toute l’année scolaire, car l’objectif reste d’aboutir à une scolarisation à temps plein. Par exemple, on peut imaginer remplir une fiche en début d’année pour un enfant ne venant jamais l’après-midi, puis une autre après les vacances de la Toussaint pour le même enfant mais venant cette fois-ci un après-midi par semaine, et ainsi de suite… jusqu’à ce qu’il vienne tous les après-midis ». Ainsi, finalement, cela ne change pas grand-chose au quotidien de Martine, si ce n’est plus de paperasserie et toujours pas de décharge de direction pour s’en occuper, « même si ce n’est qu’une feuille, multipliée par vingt enfants, deux ou trois fois dans l’année… ça peut vite faire beaucoup… »
Et quand il y n’y a plus de places au dortoir, comme fait-on ?
Dans le département de la Loire, dans l’école Cordes Barges de Firminy, pour Thomas Boucher, le directeur, la consigne de l’inspecteur est la même que chez Martine. Si les parents souhaitent garder leur enfant l’après-midi, il suffira de remplir un document. Mais c’est au niveau organisationnel que cela se complique dans son école. « Nous n’avons pas l’espace d’accueillir tous les PS les après-midis dans l’espace « couchette ». Jusqu’à présent, nous faisions un roulement : demi-classe lundi-jeudi, autre demi-classe mardi-vendredi. Cela ne sera plus possible puisque nous devons accueillir tous les enfants, sauf ceux dont les parents font une demande de dérogation. La question de l’endroit où faire dormir les enfants se pose alors. La mairie n’apporte aucune solution « légale » : elle propose d’accueillir les enfants dont les deux parents travaillent, les autres pouvant garder leur enfant à la maison selon eux. Une réponse qui ne me semble que très peu réglementaire ».
« Des politiques prennent des décisions là-haut dans leur bureau sans avoir anticipé les moyens nécessaires à leur application ! »
Dans cette commune de Seine-Saint-Denis, Valérie scolarise plus de soixante-douze élèves de petite section dans son école maternelle de huit classes, en éducation prioritaire. Trois classes de petite section et deux dortoirs de vingt lits chacun. Tout comme Thomas, elle se retrouve en grande difficulté. Les parents demandent tous, à quatre exceptions près, la scolarisation à la journée. « On a sollicité les services de la ville. Ils vont acheter de petits tapis sur lesquels les enfants dormiront. C’est inacceptable. Des politiques prennent des décisions là-haut dans leur bureau sans avoir anticipé les moyens nécessaires à leur application ! Ça me scandalise. Je suis pour une scolarité de tous les élèves, surtout les nôtres mais pas à n’importe quel prix, pas en niant leur dignité. Peu de chances que ce genre de situation soit acceptée à Boulogne ou encore à Neuilly ! » Alors, en attendant que la mairie lance ses commandes – ce qui sera long semble-t-il- Valérie doit rassurer les familles. Et puis, dans sa circonscription, l’inspectrice est catégorique : c’est le temps de sieste qui est aménageable et non tout l’après-midi. Valérie devra donc jongler avec des listes d’élèves qui dorment à l’école, qui rentrent chez eux et reviennent à 13h30 et ceux qui retournent à l’école à 15h, après la sieste…
Des enfants qui auront trois ans entre janvier et juin seront scolarisés en PS sans que cela compte dans les effectifs
Dans l’école primaire de six classes, dont trois maternelles, d’Occitanie où enseigne Margaux, c’est encore une nouvelle interprétation du texte qui est faite. « Lors de la réunion de pré-rentrée, l’inspectrice a expliqué que tous les parents d’enfants nés entre janvier et juin 2017 auront la possibilité de scolariser leur enfant. Elle nous a aussi dit que ces enfants ne compteront pas dans nos effectifs. Pour certaines écoles, cela voudrait dire commencer l’année à 28 et la finir à plus de quarante élèves ! » Margaux ne comprend pas car selon la lecture qu’elle a des textes, cela ne semble pas être ce qui est demandé. Mais dur de s’opposer à son supérieur. « Je suis un peu perdue mais aussi inquiète car comme certaines aides s’arrête le mois des trois ans, cela coûterait moins cher aux parents de mettre les enfants à l’école, puisque c’est gratuit. Mais bon, c’est notre inspectrice qui est supposée nous expliquer comment faire… ». Concernant l’assiduité, les parents auront là encore un document à remplir pour demander une dérogation à la scolarisation à temps complet.
Ainsi, loin d’harmoniser les pratiques, cette loi serait-elle encore une annonce politique de plus qui ne change rien sur le terrain ? Plus de 97% des enfants de trois ans étaient déjà scolarisés. Seuls certains départements d’outre-mer, comme Mayotte, étaient loin de ce taux, mais pour eux, la mise en application de la loi prendra plus de temps… Peut-être cette loi vise-t-elle finalement véritablement ces pauvres petites filles de familles musulmanes fondamentalistes évoquées par JM Blanquer ? Mais alors dans ce cas aussi, c’est loupé, puisque sur le terrain rien n’a changé…
Lilia Ben Hamouda