Publié au journal officiel du 1er septembre, le décret « relatif au développement des compétences numériques dans l’enseignement scolaire, dans l’enseignement supérieur et par la formation continue, et au cadre de référence des compétences numériques » (accompagné de deux arrêtés publiés dans le même numéro) annonce la mise en place de la certification PIX en fin de collège et en fin de lycée. Il complète le discours vidéo du ministre pour les participants de Ludovia#16. La formation aux compétences numériques se fera durant les cours des différentes disciplines. Et l’établissement organisera la passation sur PIX. Mais, au regard de l’expérience du B2i, l’application de ces textes pourrait être plus difficile que prévue. D’autant que PIX se présente comme une évaluation indépendante du système scolaire mais devra être préparé et passée dans son cadre. Comment concilier les deux ?
Un bilan réalisé de l’école au lycée
Le décret parle de la « création du cadre de référence des compétences numériques (CRCN), mise en place de l’évaluation des compétences numériques […]et création de la certification associée pour les publics concernés » et ne cite pas PIX. Mais l’arrêté de mise en œuvre (Arrêté du 30 août 2019 relatif à la certification PIX des compétences numériques définies par le cadre de référence des compétences numériques mentionné à l’article D. 121-1 du code de l’éducation) fait bien référence à PIX.
Le texte publié précise : » Dans les écoles élémentaires et les collèges, publics et privés sous contrat, les niveaux de maîtrise des compétences numériques des élèves sont évalués par les équipes pédagogiques dans les conditions et selon les modalités arrêtées par le ministre chargé de l’éducation nationale. » Un bilan de la maîtrise des compétences numériques des élèves est réalisé en classe de cours moyen deuxième année (CM2) et en classe de sixième pour le cycle 3. » » A la fin du cycle 4, les collégiens font l’objet de la certification mentionnée au deuxième alinéa du I. Dans les lycées, la formation aux compétences numériques dispensée aux élèves s’appuie sur le cadre de référence des compétences numériques mentionné au même I. Les compétences numériques acquises par les lycéens et les étudiants des formations dispensées en lycée public et privé sous contrat font l’objet de la certification mentionnée au deuxième alinéa du même I. »
Une évaluation jusque là contrariée
Mais il faut, pour mieux comprendre ce que signifie cette certification lire le fameux alinéa : « Les compétences numériques acquises par les élèves, les étudiants, les apprentis et les stagiaires de la formation continue font l’objet d’une certification dans des conditions et selon des modalités définies par arrêté des ministres chargés de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur. »
Première observation, le B2i, si critiqué depuis sa création (note de service de novembre 2001) jusqu’à son inclusion dans la loi (loi d’orientation de 2005) n’a que très peu été réellement mis en place. Le C2i et le C2i2e, malgré toutes les bonnes volontés dans le supérieur n’ont jamais été rendus « obligatoires » car ils n’ont jamais été exigés pour une certification autre et en particulier jamais le C2I2e n’a été une obligation pour devenir enseignant (cf. le texte du 23 aout 2013 qui a condamné définitivement le C2i2e, huit jours avant la date légale, comme une obligation). Autrement dit, la volonté politique n’a jamais été traduite dans les pratiques, fut-elle inscrite dans la loi. On a là un bel exemple de faillite du pilotage par le haut du système éducatif, avec l’appui de tous les acteurs de terrain, inspection, directions, enseignants etc.
Cet échec aux causes multiples, renvoie plus largement à la question de la place du numérique dans le monde scolaire. Nous avons vu (cf. notre dernière chronique ) que le ministre avait apporté des clarifications sur ses choix dans ce domaine. Cependant l’histoire de l’informatique en milieu scolaire doit nous amener à être prudent : un texte officiel n’est pas toujours traduit par des actions effectives dans les classes…. Surtout lorsque les enseignants comprennent qu’un ministre chassant l’autre, ce qui est écrit un jour est supprimé le lendemain… Que va-t-il en être dans les mois à venir ?
Une certification indépendante
Pour le nouveau décret, la question de fond est posée à partir de celle du PIX. Le PIX, initialement, est une certification indépendante du système scolaire et reconnue par le monde professionnel. Tout du moins c’est l’intention. Le ministre rappelle d’ailleurs dans le préambule que le texte s’inscrit dans la dynamique de certification européenne appelée DIGCOMP. Il précise : « le décret crée un cadre de référence des compétences numériques, outil de positionnement et de certification des compétences numériques acquises par les élèves et les étudiants tout au long de leur parcours de formation initiale, de l’école élémentaire à l’enseignement supérieur, et au-delà, acquises tout au long de la vie, grâce à la formation continue, voire individuellement et de façon informelle. « . On trouve là la définition du PIX telle qu’elle a été initialement énoncée par ses concepteurs au sein du ministère d’abord.
Si la certification est de nouveau réalisée en interne par les établissements scolaires et si la formation à ces compétences (listées dans le texte officiel) n’est pas suffisamment encadrée et précisée jusque dans les programmes disciplinaires, cela pourrait s’avérer risqué. On lit dans l’arrêté complémentaire : « une certification nationale délivrée via une plateforme en ligne par le groupement d’intérêt public « PIX » » On comprend l’intention qui est énoncée dans l’en-tête du décret, et sa mise en œuvre. Reste à articuler l’institution scolaire avec ce service de certification en ligne. Dans le supérieur, depuis deux années qu’il est expérimenté, il a été souhaité qu’il y ait des lieux de passation de PIX qui soient certifiés. Quelles seront les conditions de mises en place de ces lieux ? Au collège ou au lycée la salle informatique sera-t-elle ce lieu ?
L’école juge et partie ?
Qu’en sera-t-il donc de la mise en œuvre effective de la formation et surtout de la certification. ? Qui va évaluer les compétences ? Dans quel cadre seront-elles travaillées ? On peut imaginer la réponse dans le passage suivant du texte : « Dans le cadre de la formation tout au long de la vie, les services et établissements d’enseignement publics peuvent organiser la certification mentionnée « . C’est là qu’il faut s’interroger : l’échec global du B2i et du C2i vient en grande partie du fait que chaque établissement était formateur et certificateur (contrôlé par le ministère pour le C2i2e). Autrement dit on est juge et partie. Comment entendre la phrase suivante tenue par des personnels de directions et des profs principaux : « on ne va pas refuser le brevet ou le bac parce qu’ils ne maîtrisent pas les compétences numériques… ? ». Certes nombre d’établissements ont évoqué l’absence de réels moyens de développer les compétences en classe, et on peut penser qu’il en est différemment plusieurs années plus tard.
Un arrêté complémentaire publié dans le même JO complète la mise en œuvre (Arrêté du 30 août 2019 relatif à l’évaluation des compétences numériques acquises par les élèves des écoles, des collèges et des lycées publics et privés sous contrat). Ce texte précise : » La formation aux compétences numériques et l’évaluation de ces compétences se déroulent dans les enseignements prévus par les programmes » puis plus loin : » le chef d’établissement organise la passation de cette certification sur la plateforme en ligne prévue par l’arrêté du susvisé. Le livret scolaire de l’élève porte la mention de la certification obtenue. » Deux conditions donc qui devront être opérationnalisées au sein de chaque établissement.
Ainsi donc une certification numérique, complémentaire de l’enseignement informatique désormais intégré aux programmes (code, SNT et NSI), est à nouveau considérée comme règlementaire, les étapes d’évaluation étant précisées. On peut penser que cela va être suffisant.
Cinq domaines et seize compétences définissent le cadre, huit domaines de maîtrise (progressifs) sont définis. La différence avec les référentiels B2i et C2i n’est pas importante mais réelle, chacun pourra faire la mise en correspondance. Reste donc à affirmer la reconnaissance réelle de cette certification au-delà du monde scolaire. Il va donc falloir que chacun des responsables de l’institution, à leur niveau, fasse passer le dispositif. Il reste encore à vérifier la mise en œuvre concrète, mais cela va prendre un peu de temps… au moins une année, ou quinze si l’on en juge par ce qui s’est passé depuis 2005…. La loi se traduira-t-elle dans le quotidien ?
Bruno Devauchelle
Le discours de JM Blanquer à Ludovia