Et si on travaillait l’oral pour développer aussi les compétences d’écoute ? Et si on travaillait l’oral aussi par la créativité ? Professeure de français au lycée Chevrollier à Angers, Emmanuelle Floury a mené un projet en ce sens avec ses BTS 1ère année. Les étudiant.es sont invité.es à écouter et analyser une fiction radiophonique de trois minutes, disponible en ligne, qui raconte l’arrivée d’un nouvel employé sur son lieu de travail. Puis, à la lumière de cette création, la mission est d’écrire, en groupes, une nouvelle à chute, de la mettre en voix et de l’enregistrer. Le travail parait aisément transférable à tous les niveaux et particulièrement inspirant pour contribuer à faire de l’Ecole une école de l’attention…
Dans quel contexte avez-vous mené cette activité ?
J’enseigne en BTS industriel depuis quelques années et le début d’année est souvent problématique, ou en tout cas délicat : il y a d’abord la difficulté de créer un groupe classe, alors que la moitié des étudiants viennent de bac professionnels, l’autre surtout de filières STI2D, avec aussi parfois des parcours plus sinueux (nous avons régulièrement des éudiants en reconversion, envoyés par le GRETA). L’autre enjeu c’est, et les étudiants le reconnaissent volontiers, de les rassurer sur l’intitulé même de cette nouvelle matière : « culture générale et expression ». Les deux éléments les inquiètent, avant même le début des cours : » expression », parce que le passage à l’écrit est pour la plupart compliqué, et « culture générale » parce que ces étudiants se sentent complexés, et ont tendance à rester en retrait dans les premières semaines de cours. Je commence donc l’année par un thème dans lequel ils peuvent tous se reconnaître : le travail. Ils ont tous fait des stages, ou travaillé pendant les vacances. Je choisis aussi de les faire travailler en groupe que j’organise moi-même (je mélange en fonction des parcours scolaires).
La première séance consiste en l’appropriation d’une courte fiction radiophonique d’Arte radio : laquelle ? pourquoi ce choix ?
J’ai eu l’idée de les faire écouter une fiction sonore après un stage (merci à Caroline Séjourné) qui nous a fait travailler sur l’oralisation des textes. J’ai choisi la fiction « la mission » parce qu’elle est à la fois simple (dans son schéma) et très travaillée : en 3 mn 38, elle raconte l’arrivée d’un nouvel employé sur son lieu de travail. Il est accueilli par un employé plus expérimenté qui va lui expliquer les conditions de sa « mission ». L’intérêt est que l’auditeur ne peut (a priori) pas deviner en quoi consiste ce travail : des indices sonores parsèment la fiction et préparent la chute sans que l’auditeur le comprenne à la 1e écoute. Ces éléments sont à la fois des bruits, des jeux sur les mots : le travail des étudiants va être d’abord celui d’un enquêteur : repérer les indices, proposer des solutions.
Comment avez-vous amené les étudiants à s’approprier cette fiction sonore ?
En leur demandant de mener une « enquête auditive » : d’être attentif à tous les détails. J’interromps l’écoute avant la chute, c’est-à dire à 3 mn 06 à peu près. A la 2e écoute, les propositions sont plus fines et proches de la bonne réponse.
Quels vous semblent les intérêts d’un tel travail de l’écoute en classe ?
L’écrit n’intervient pas en première instance : les élèves les moins lecteurs peuvent donc participer et proposer des interprétations. Une fois que la chute est découverte (le personnage se déguise et va affronter les enfants à Disneyland), l’analyse de la nouvelle sonore porte sur les moyens mis en œuvre pour raconter sans tout dire. Le travail des auteurs a porté sur les sons mais aussi sur le texte : le suspense est ménagé par des mots ambigus, des phrases interrompues….
Les étudiants sont ensuite invités à créer à leur tour un scénario de fiction sonore : avec quelles consignes et selon quel dispositif d’écriture ?
Les étudiants sont en groupes (2 ou 3) : ils reprennent le schéma de la nouvelle (un personnage arrive sur un lieu de travail ; c’est son premier jour, donc il est accueilli par un collègue expérimenté qui lui explique sa mission) ; ils doivent reprendre aussi la structure (en chute). Le mode d’écoute sera le même que pour « la mission » : nous écouterons la nouvelle de chaque groupe en l’interrompant avant la chute : les autres étudiants devront proposer des hypothèses sur le travail évoqué.
Le travail se fait donc en deux phases : l’écriture puis l’enregistrement. Le passage par un texte écrit est obligatoire, car sinon, c’est une étape qui est négligée, et l’improvisation est souvent peu probante : les étudiants doivent me voir régulièrement pour me proposer leur scénario ; puis leurs jeux sur les mots… qui doivent créer l’ambiguïté sur le travail évoqué.
Pour la seconde phase, les consignes sont que la nouvelle sonore doit faire de 1 à 2 mn – on doit entendre les voix de tous les membres du groupe (mais pas forcément à égalité) – on doit entendre au moins une fois un bruit, un son rajouté (fait avec un élément à disposition dans la classe : une porte, des stylos…)
Comment ont-ils mené l’enregistrement de leur scénario ?
Les étudiants n’ont pas droit au montage. Ceci pour éviter les différences entre les groupes, et parce que le montage est souvent le fait d’un étudiant, pas du groupe. Le plus pratique est d’utiliser un téléphone, en faisant attention à la prise de son : toutes les interventions doivent être audibles.
Au final, quel bilan tirez-vous de ce travail ?
Les étudiants ont apprécié ce travail : ils ont retenu son aspect ludique, et la possibilité d’inventer, de surprendre les camarades. A cette occasion, j’ai découvert certains étudiants qui, très discrets en cours, ont su se mettre en valeur : jouer avec leurs voix, les accents…
Le bémol : les étudiants ont renâclé à refaire leur enregistrement quand il était défaillant (rires, bafouillages.. .). Il faut donc prévoir dès le départ deux phases : une première écoute par l’enseignant et le groupe, un bilan commun (ce qui va / ce qu’il faut améliorer) avant l’enregistrement définitif.
La fiction sonore est un outil encore peu utilisé par les professeur.es de français : le travail que vous avez mené vous semble-t-il transférable à d’autres niveaux, sur d’autres thèmes, avec d’autres exploitations ?
Ce travail permet de faire travailler des étudiants sans passer d’abord par un texte à lire. Il me paraît donc adapté à tout niveau dans lequel on souhaite retarder le passage au texte écrit, pour rassurer et mettre en activité des élèves peu scripteurs ou peu lecteurs : c’est une entrée dans le texte facilitée par le support sonore, qui développe des qualités de concentration, d’attention.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
La fiction radio « La mission »
Exemple de production étudiante sur le site Lettres de l’académie de Nantes