Source de tensions entre l’école et les parents mais aussi pour les enseignants, la cour de récréation est l’objet de beaucoup d’attentions. Dans la revue « L’école des parents » d’avril-mai-juin, consacré aux cours de récréation, Jacques Barou, sociologue, signe un article sur la socialisation des enfants. Il explique que la cour est « un lieu d’observation ethnographique des processus de socialisation enfantine instructif, car les enfants y constituent des groupes informels fondés sur le partage de valeurs et de règles. Malgré le retrait relatif des maîtres, les relations entre pairs n’y sont pas anarchiques. Elles sont structurées sur le modèle transmis par les adultes, mais avec des interprétations propres au jeune âge ». Mais concrètement que se passe-t-il dans une cour de récréation ? Dans le premier degré, la récréation est sous la responsabilité de l’ensemble des enseignants, qu’ils soient de surveillance ou pas. C’est un moment fort d’apprentissage dont ont su se saisir certaines écoles telle que celle de Laurence Soulas à Nieuil l’Espoir, dans la Vienne (86).
Laurence est directrice de l’école Jacques Charpentreau de Nieuil l’Espoir depuis sept ans, elle y était adjointe les cinq années précédentes. L’école de huit classes est située au centre d’un grand village viennois de deux mille six cents habitants, dans la banlieue de Poitiers. Deux cents élèves évoluent tous les jours, quelques quarante minutes, dans une cour aménagée en îlots distincts. Aménagements mis en place dans le cadre d’un projet pédagogique porté par l’ensemble des dix enseignants de l’école.
« Il y a quelques années, un planning permettait une rotation des élèves dans les différents espaces de la cour : terrain de foot, deux structures et préau avec panier de basket. Au fil du temps, les conflits générés par les jeux de ballons sont devenus de plus en plus difficiles à gérer sur le temps de récréation mais également sur le temps de classe où l’énervement et l’excitation perdurait » explique Laurence. « Et puis, nous nous sommes rendus compte que les filles étaient très souvent exclues de ces jeux et ne trouvaient pas leur place dans l’espace cour ». Un constat que fait aussi Anne Lamy dans « L’école des parents » : « garçons et filles n’occupent pas de la même manière l’espace d’une cour de récréation. En primaire, les premiers colonisent le centre (là où généralement le terrain de football est tracé au sol), les secondes, les garçons non footballeurs et tous les enfants jugés non conformes (en surpoids…) se contentent des côtés ». Et ce n’est pas anodin. Cette occupation inégalitaire de l’espace, démontrée par plusieurs chercheurs, se retrouve dans l’espace public mais aussi dans le milieu professionnel. Les filles ont tendance à être invisibilisées.
Quand la récréation devient l’affaire de tous, surtout celle des élèves
Laurence et ses collègues se sont donc saisis de la question il y a quelques années. « Nous avons mis en place des conseils d’élèves dans toutes les classes, des élections de délégués dans les classes de cycle trois et organisé des conseils de délégués afin de permettre aux enfants de proposer des solutions pour apaiser et réguler leurs jeux de ballons. En parallèle nous avons également instauré les messages clairs. Suite au conseil de délégués, les élèves ont mis en place un fonctionnement basé sur l’inscription des élèves. Une inscription à la semaine des joueurs et joueuses, avec vérification de la rotation, dans chaque niveau de classe, afin d’en limiter le nombre sur le terrain. Et une inscription d’un arbitre qui devait tenir un cahier des « fautes » commises par les joueurs ». Un projet lourd qui n’a, malheureusement, pas pu tenir sur la durée. « Ce fonctionnement a été testé plusieurs mois, il a vite été reconnu par tous comme très contraignant et lourd à gérer. Il a donc été abandonné ».
Out les jeux le ballon
L’équipe, loin de se déclarer vaincue et consciente de l’importance de ce temps sur les apprentissages et le climat scolaire, a tenté plusieurs autres aménagements. « La proposition des récréations échelonnées n’a pas été retenue car la plupart des fenêtres des classes donnent sur la cour, les élèves en classe pourraient être dérangés par ceux qui jouent à l’extérieur. Nous avons également pensé à utiliser le city stade qui se trouve derrière l’école cependant on y trouve régulièrement des morceaux de verre cassé et il est souvent occupé par des jeunes du village, nous ne pouvons le réserver ».
Il y a deux ans, ils se sont radicalisés : out les jeux de ballons. « Cela n’a pas été accueilli favorablement par nos élèves bien sûr. Cependant, nous constatons que les conflits sont moins fréquents et que le retour en classe se fait dans de meilleures conditions. Les élèves jouent à d’autres jeux : billes, cordes et élastiques mais aussi « à chat », attrape filles/attrape garçons… ». Des jeux où filles et garçons évoluent plus sereinement. Laurence reconnait que certains élèves, particulièrement les plus âgés, réclament le retour des jeux de ballon et que la solution trouvée n’est pas encore idéale. Pour autant, elle constate des rapports entre élèves plus apaisés.
Finalement, le travail de réflexion de l’équipe pédagogique de l’école Jacques Charpentreau, permet de vérifier ce qu’affirme Sophie Levrard dans la même revue : « Une cour apaisée est souvent le fait d’une équipe éducative soudée ayant passé un contrat moral avec les élèves. Ensemble, ils ont édicté les règles de la cour ».
Lilia Ben Hamouda