Et si on amenait les élèves à exprimer et partager le bonheur de lire pour encore mieux l’éprouver ? Au lycée Bertrand d’Argentré à Vitré, les terminales L de Delphine Morand ont reçu une mission : se mettre en scène individuellement un livre à la main. Les photographies, soigneusement conçues, sont accompagnées de textes d’explication et d’introspection. Une exposition et un recueil numérique viennent les diffuser et les valoriser. Le projet met joliment « en images et en mots cette relation originale et intime que chaque élève a nourrie et entretient encore avec les livres, évoluant au gré des années, des envies et des œuvres elles-mêmes qui marquent, interpellent, transforment celles et ceux qui les parcourent. » Et si le selfie se faisait culturel ? Et si on travaillait aussi à l’Ecole l’image littéraire de soi ? Un voyage inspirant dans « une culture à ciel ouvert que tapissent les mots » (Alicia)…
Comment est né ce projet ?
Ce projet « Inspiration », entièrement dédié à la lecture et au sujet-lecteur, s’est inscrit dans un parcours littéraire et artistique que j’ai souhaité le plus diversifié possible, enrichi de spectacles de théâtre et de danse au TNB et Centre culturel de Vitré, mais aussi de rencontres littéraires. Au cours de l’année, les élèves de TL ont notamment participé aux « Jardins d’hiver », festival littéraire organisé par les Champs Libres (Rennes), et animé des cafés littéraires dans notre lycée. Ce parcours culturel leur a permis de découvrir des œuvres variées, d’exprimer leurs émotions et interprétations de lecteurs-spectateurs, sous des modalités orales et écrites ; une démarche réflexive qu’ils ont prolongée avec ce projet « Inspiration », en cultivant une double dimension dont je pressentais la richesse créative et interprétative : la photographie et l’écriture.
Pourquoi articuler ainsi photographie et écriture ?
En mêlant ces deux approches, chaque élève a pu traduire de façon artistique et littéraire sa relation au livre, en réveillant ses souvenirs, ses expériences, ses émotions : en se mettant doublement en scène, par la photographie et le texte, il.elle a représenté son parcours de lecteur•rice, fait de rencontres mémorables (avec des mots, des auteurs, des personnages), et de difficultés aussi, comme en témoignent certaines productions.
Comment les élèves ont-ils travaillé pour réaliser ces photographies ?
Les élèves ont commencé par rédiger une note d’intention me présentant leur projet photographique. Il s’agissait pour eux de décrire la scène au cœur de laquelle ils allaient prendre place, un livre à la main. Tels des metteurs en scène, et leur note d’intention pouvait s’accompagner d’un schéma, ils ont arrêté un lieu et un type d’éclairage, réfléchi à la posture qu’ils souhaitaient prendre, choisi un angle de vue, retenu le livre qui apparaîtrait sur la photo, les éventuels accessoires, etc. Après la validation des différents éléments de scénarisation précédant la prise de vue, les élèves se sont organisés pour réaliser sur leur temps libre les clichés, exploitant souvent les talents de camarades ou de parents passionnés de photographie… Cette première étape a souvent été vécue comme une belle aventure collaborative !
Comment a été mené ensuite le travail d’écriture ?
En miroir de cette photographie, ils ont rédigé un texte qui devait livrer leur réflexion personnelle sur la lecture, traduire leur « relation » avec l’objet-livre, partageant alors des sensations, des sentiments. Par sa forme et le ton choisis, les thèmes et émotions évoqués, l’atmosphère créée, ce texte a reflété l’originalité de leur proposition photographique et s’est donné à lire comme un parcours singulier de lecteur•rice. Pour mener à bien cette activité d’écriture, nous avons exploité le dispositif de l’AP en littérature, véritable « respiration » dans un rythme de terminale très soutenu : les élèves ont alors pu travailler l’expression, explorant des formats très variés, entre développements maîtrisés et fragments « fulgurants » !
Comment les productions des élèves sont-elles diffusées ?
Les productions des élèves ont été exposées à partir du 14 mai dans un bel espace situé à proximité du CDI, garantissant ainsi une belle visibilité des tableaux… En septembre, l’exposition « Inspiration » devrait être installée aux Champs Libres ; je dois rencontrer prochainement la chargée de médiation et précieuse interlocutrice, Clothilde Vareille, pour finaliser ce projet. Par ailleurs, pour que les élèves puissent garder trace de toutes les créations et les partager avec d’autres, les textes et photographies ont été rassemblés dans un livret disponible aux formats papier et numérique.
Comment les élèves ont-ils perçu le travail mené ?
À n’en pas douter, les élèves ont apprécié cet espace de liberté, découvrant souvent les pouvoirs créatifs de la photographie associée à l’écriture. Si certains avaient exprimé, en début de projet, quelques réticences à l’idée d’être « exposés » au lycée, notamment par l’image, ils ont tous su rédiger un texte associé à une photographie dont ils étaient fiers ; d’ailleurs, telle était la condition pour être affiché•e•s : offrir aux lycéen•ne•s et personnels du lycée des parcours de lecteurs•rices qu’ils assumeraient pleinement !
Quel bilan tirez-vous de ce travail ?
À l’image d’un kaléidoscope, Inspiration fait osciller les représentations de la lecture. Les poses photographiques qu’ils ont imaginées témoignent de leur capacité à s’emparer des « cartes blanches » pour faire triompher leur créativité; la variété des espaces investis, la richesse des postures et la place laissée au livre rendent souvent compte de cette alliance improbable entre sérieux et humour, pudeur et dévoilement, osmose et rupture… En miroir, leurs textes aux genres et tonalités variés nous plongent dans leurs souvenirs de lecteurs•rices. Ils font émerger des expériences sensibles avec les œuvres, soulignent leurs appropriations de titres, de mots d’auteurs, ou encore de « vécus » de personnages.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut