Alors que l’examen de la loi Blanquer se clôt, voilà un nouvelle source d’inquiétude pour enseignants qui s’ouvre avec le projet de loi de transformation de la Fonction publique. Le gouvernement veut-il modifier la durée du travail enseignant ? La question a été posée lors du débat sur le projet de loi de transformation de la Fonction publique le 17 mai sans que les députés puissent obtenir une réponse du secrétaire d’État Olivier Dussopt.
Un amendement déposé au dernier moment
Tout est parti d’un amendement sorti, comme pour l’EPSF, tout à coup par le gouvernement, après l’examen du texte de la loi en commission. « Sans préjudice des dispositions statutaires fixant les obligations de service pour les personnels enseignants et de la recherche, la durée du travail effectif des agents de l’État est celle fixée par l’article L. 3121 27 du code du travail. Le décompte du temps de travail est réalisé sur la base d’une durée annuelle de travail effectif de 1 607 heures dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État précisant notamment les mesures d’adaptation tenant compte des sujétions auxquelles sont soumis certains agents », annonce l’amendement 1136. L’article L. 3121 27 du code du travail fixe la durée du travail à 35 heures hebdomadaires, un objectif auquel le gouvernement veut astreindre les fonctionnaires, toujours suspectés de ne pas travailler assez.
« Nous voulons, avec la clarification prévue dans le décret, mettre un terme au procès interminable fait aux enseignants de ce pays, qui ne travailleraient pas assez », explique Olivier Dussopt, le secrétaire d’État qui porte le projet de loi, en présentant l’amendement. « Vous connaissez, comme moi, tous les rapports qui démontrent qu’entre le temps d’enseignement, le temps de correction, le temps de formation et le temps de préparation, les enseignants travaillent largement la durée légale qu’on attend d’eux ; on ne peut pas mesurer le temps de travail d’un enseignant à son seul temps de travail en classe ou auprès d’élèves. La clarification a pour but de mettre fin à ce procès, et je pense que vous pouvez nous retrouver sur ce point. »
Que veut dire « clarifier » le temps de travail enseignant ?
Or c’est bien le mot « clarification » qui pose problème. « Vous annoncez un décret sur les sujétions particulières, vous les citez et, dans le paragraphe suivant, vous affirmez vouloir clarifier la question du temps de travail des enseignants. Mais qu’allez-vous clarifier ? S’agit-il d’écrire que le temps de travail d’un enseignant cumulant ses différentes missions est conforme à la norme, voire supérieur ? Qu’allez-vous dire aux enseignants ? Est-ce l’occasion de prendre acte de leur travail croissant, qu’il s’agisse de la préparation ou des relations avec l’ensemble de la communauté éducative, et d’ouvrir la voie à une réduction d’horaires ? On ne peut pas prétendre vouloir clarifier et entretenir un tel flou », remarque le député Stéphane Peu (PC). « Les enseignants ne vous donneront pas de chèque en blanc à propos du temps de travail. Quelle est donc l’idée derrière cette phrase ? Peut-on savoir en quoi consiste la clarification, qui n’en est pas une et ne correspond à aucune exigence majeure ressortant du débat public ? »
« Franchement, on n’y comprend rien ! Un paragraphe annonce que l’on va clarifier, le suivant indique que l’on ne changera rien. C’est d’ailleurs ce que j’avais compris : qu’en réalité, on ne changerait rien. Néanmoins, vous proposez de clarifier… Allez-vous changer quelque chose, oui ou non, au temps de travail des enseignants ? », demande le député Olivier Marleix (LR) ?
À ces deux questions, Olivier Dussopt refuse de répondre. L’amendement reste avec sa rédaction mystérieuse. « L’amendement proposé préserve bien la possibilité d’adaptation de la durée annuelle de travail effectif pour tenir compte des sujétions particulières auxquelles sont soumis certains agents de l’État », affirme l’exposé sommaire de l’amendement… Il est proposé de le clarifier concernant le régime juridique applicable aux corps enseignants et aux personnels de la recherche, lesquels bénéficient aujourd’hui de modalités spécifiques d’application du temps de travail. Ainsi, le présent amendement vise à ne pas remettre en cause le régime des obligations de service de ces agents, à l’occasion de la modification de la loi statutaire ».
Le précédent de 2016
En 2016, le sénateur Longuet (UMP) avait remis un rapport recommandant l’application des 1607 heures aux enseignants. « Selon le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, une forme d’annualisation a déjà été mise en place avec le décret du 20 août 2014 dans la mesure où son article 2 fait référence « à la réglementation applicable à l’ensemble des fonctionnaires en matière de temps de travail », soit 1 607 heures par an. Pour autant, dans les faits, comme le rappelle la Cour des comptes « la seule obligation chiffrée à laquelle sont tenus les enseignants en vertu de ces décrets demeure d’assurer le nombre d’heures de cours hebdomadaire comme par le passé… « , écrivait-il. » « En faisant l’hypothèse où une heure d’enseignement nécessiterait une heure de travail supplémentaire, comme l’estime la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance dans sa note d’information de juillet 2013 précitée, le temps de travail consacré par les enseignants aux heures de classe, à leur préparation et à la correction des copies s’élève à environ 1 296 heures pour les certifiés (36 semaines x 18 heures de cours x 2) et 1 080 heures pour les agrégés (36 semaines x 15 heures de cours x 2). Au total, le « réservoir » théorique d’heures disponibles s’élève donc à 311 heures pour les certifiés et à 527 heures pour les agrégés ». Et d’imaginer le nombre de postes que l’on pourrait supprimer grâce à cette redéfinition du temps de travail s’appuyant sur le décret des 1607 heures. G. Longuet imaginait qu’il pourrait être envisagé de fixer le niveau des obligations réglementaires de service à 20 heures par semaine pour les certifiés et à 17 heures par semaine pour les agrégés, correspondant, en termes annuels, à 720 heures pour les certifiés et à 612 heures pour les agrégés sans avoir à les payer davantage.
Si c’est pour ne rien changer pourquoi le gouvernement propose t-il cet amendement ? Sinon, que veut dire « clarifier » ? La question prend sens aussi après la nouvelle rédaction de la loi Blanquer par le Sénat. La loi facilite l’annualisation du service et les sénateurs ont retiré du texte les références aux obligations de service actuelles.
François Jarraud