C’est un sujet, hier considéré comme brûlant, qui a complètement disparu des radars ministériels : la mixité sociale dans les établissements. Une vingtaine de projets, destinés à lutter contre la ségrégation, ont été lancés depuis 2017, encouragés par la ministre de l’Education nationale de l’époque, Najat Vallaud-Belkacem. Ils se poursuivent dans la plus grande indifférence officielle. La Mairie de Paris a eu la riche idée d’organiser un colloque le 17 mai dernier, intitulé » Pour plus de mixité sociale au collège « . Il a réuni chercheurs, élus locaux, membres de la communauté éducative, collectifs de parents…, tous impliqués dans des expérimentations. L’occasion d’échanger entre les acteurs et de se rebooster pour garder le cap alors qu’il n ‘y a plus aucun pilotage national.
Aujourd’hui, il existe 22 projets pour favoriser la mixité dans les collèges, répartis dans douze départements – de la Meurthe-et-Moselle à la Haute-Garonne, en passant par Paris, le Puy-de-Dôme, l’Ille-et-Vilaine… Tous poursuivent le même objectif : rééquilibrer la composition sociale de collèges jugés trop homogènes, notamment des établissements ghettos où les enfants de milieux défavorisés sont sur représentés. La recherche a montré que, dans ce cas, le manque de mixité nuisait à la réussite des élèves sans émulation dans les classes, avec des professeurs finissant par abaisser leurs exigences et un climat d’établissement souvent détérioré.
Les premières expérimentations ont été mises en place à la rentrée 2017, d’autres à la rentrée 2018 et d’autres encore pourraient suivre. Paris, parti parmi les premiers, vient d’essuyer un échec. Trois nouveaux projets étaient envisagés, avec l’accord des élus et de l’académie, dans le 12ème, le 13ème et le 20ème arrondissement. Mais lors de la concertation, il a été impossible d’arriver à un consensus et il a fallu abandonner.
22 projets, 4 leviers
Les 22 projets en cours utilisent quatre leviers différents. Dans 10 d’entre eux, on a mis en place des secteurs multicollèges, c’est-à-dire que l’on a réuni les secteurs d’affectation de deux collèges, voire plus, proches géographiquement mais au profil social très différent – l’un où les élèves de milieux favorisés sont sur représentés, l’autre où ce sont les élèves de milieux défavorisés. Le vivier étant plus vaste, cela assure un recrutement plus divers des collèges. C’est le cas, notamment, des trois premières expérimentations parisiennes, dans le 18ème et le 19ème.
Dans 6 autres projets, on a procédé à une resectorisation : les secteurs de recrutement des collèges ont été redécoupés afin d’assurer une plus grande diversité sociale dans chacun d’eux et donc, dans les collèges qui leur sont rattachés. C’est l’option choisie, par exemple, à Clermont-Ferrand, à Roanne ou encore à Paris dans le 17ème arrondissement.
4 projets jouent sur l’offre éducative afin d’attirer dans des établissements mal réputés des élèves qui les fuyaient en allant dans le privé ou en obtenant des dérogations. Pour cela, on a ouvert une section internationale, une CHAM (classe à horaires aménagés musique), une classe Sports, Science…. Brest, Montpellier ou encore Castres ont choisi ce levier.
Enfin, 2 sites ont opté pour la solution la plus radicale : la fermeture d’établissements très ségrégués et où, pour des raisons résidentielles, il paraissait impossible de faire venir des élèves plus favorisés. Le collège Surcouf a ainsi fermé à Saint Malo, comme le collège Badiou à Toulouse.
Impact dans les collèges très différents socialement
Lors du colloque à la Mairie de Paris, Elise Huillery, professeure d’économie à l’Université Paris-Dauphine et membre de l’équipe de chercheurs qui suit ces expérimentations, a dévoilé les tout premiers résultats. Pour l’instant, les projets étant trop récents, les chercheurs se limitent à mesurer l’impact sur la composition sociale des établissements. A plus long terme, ils évalueront les effets sur les pratiques pédagogiques, sur le climat scolaire et surtout sur la réussite scolaire, le principal enjeu.
» Nous avons globalement un effet modeste sur l’ensemble des 22 sites, a expliqué Elise Huillery, grâce aux actions engagées, on observe une hausse de 3 points des élèves favorisés dans les collèges défavorisés. Ce qui n’est pas énorme. »
Les chercheurs ont voulu comprendre pourquoi. » Nous avons regardé si cela s’expliquait par une fuite vers le privé mais nous n’avons pas observé de hausse particulière, souligne Elise Huillery. En fait, l’explication réside dans la faiblesse des contrastes entre les établissements impliqués : plus ils sont proches (quant à leur composition sociale), moins il se passe de choses. A l’inverse, plus ils sont contrastés, plus l’effet des actions est sensible. »
Dans les sites où les contrastes étaient les plus nets et où » les potentiels de changement » étaient donc les plus grands – cela concernent 30% des élèves -, on a ainsi enregistré une hausse 17 points d’élèves favorisés dans les établissement défavorisés.
Les chercheurs ont alors étudié quels étaient les leviers les plus efficaces : c’est, de la loin, la fermeture des collèges. Leurs élèves ont été envoyés dans des établissements de centre-ville, à la population nettement plus privilégiée. Le levier le moins efficace est l’amélioration de l’offre pédagogique qui ne fait pas revenir dans des établissements fuis des élèves favorisés.
Ségrégation parisienne
Julien Grenet, chargé de recherche CNRS et professeur associé à l’Ecole d’économie de Paris, a fait le point sur les 3 expérimentations parisiennes du 18ème et du 19ème, qui reposent sur la création de secteurs bi-collèges, réunissant les secteurs de deux collèges proches et différents socialement. Là encore, les effets sont les plus forts lorsque le contraste entre les deux établissement est le plus marqué.
A Paris, l’enjeu est de taille. La ségrégation scolaire est la plus forte de France, avec des collèges publics qui peuvent compter de 6% seulement d’élèves défavorisés – des collèges « de riches » – jusqu’à 63% – des collèges « de pauvres ». Autre particularité parisienne : le privé scolarise 34% des enfants au niveau collège, un record en France. Un privé – catholique à 70%, en dessous de la moyenne nationale – qui compte en moyenne 3% d’enfants de milieux défavorisés contre 24% en moyenne dans le public et qui contribue ainsi au manque de mixité.
L’école n’étant pas responsable de tout, les chercheurs ont calculé que la ségrégation résidentielle à Paris comptait pour moitié dans la ségrégation scolaire. Le reste est imputable à l’évitement dans le privé.
Montée alternée des élèves
Parmi les trois sites parisiens qui ont créé des secteurs bi collège, deux ont mis en place une » montée alternée » des élèves : une année, tous les entrants en sixième vont au collège A, puis l’année suivante, tous vont au collège B. Le troisième site a opté pour » le choix régulé » : les familles émettent des voeux et l’on introduit des critères d’affectation afin de respecter un quota d’élèves de différents milieux dans chacun des collèges. Un algorithme fait le reste.
Là où les deux collèges étaient très éloignés – Hector Berlioz avait 60% d’élèves défavorisés tandis qu’Antoine Coysevox avait 60% de favorisés -, les résultats ont été spectaculaires. » En 2017/18, tous les sixièmes sont allés à Coysevox où les classes se sont retrouvées beaucoup plus mixtes. En 2018/2019, ils sont tous allés à Berlioz où l’on a eu 34% d’enfants très favorisés. A long terme, il n’y aura plus de raisons que les deux collèges soient perçus différents « , estime Julien Grenet.
En revanche, pour les collèges Marie Curie et Gérard Philippe qui ont aussi réuni leur secteur, » c’est plutôt un échec « , reconnaît le chercheur. Parmi les explications, » on a mis ensemble les deux collèges sans harmoniser leur offre éducative. Or, Curie a une classe CHAM extrêmement attractive. Il aurait fallu rééquilibrer cette offre. Et Gérard Philippe a un fort taux d’évitement vers le privé. «
Le site du 19ème, avec les collèges Henri Bergson et Edouard Pailleron, avait opté pour un » choix régulé « . » C’est plutôt un succès « , résume Julien Grenet. Alors que les effectifs chutaient, ils ont remonté de 25% et l’on a noté une baisse de la fuite vers le privé. La mixité sociale s’est améliorée.
Approche systémique
Auparavant, deux chercheurs avaient posé les grands enjeux du débat et le contexte international. Choukri Ben Ayed, professeur de sociologie à l’université de Limoges, s’est interrogé sur ce qu’implique une politique de mixité sociale, parlant d’ » une approche systémique « . Sur quels critères se fonder pour rééquilibrer la composition sociale des établissements ? Il a évoqué » des problèmes de catégorisation sociale des populations « , rappelant le débat sur les statistiques ethniques, interdites en France au nom de l’universalisme.
Pour le chercheur, les comparaisons internationales n’ont guère de sens ici tant les cadres politiques diffèrent. Alors que la France a mis en place une sectorisation et des critères d’affectation, d’autres pays privilégient la régulation par le marché et reconnaissent les catégories religieuses et raciales – au Brésil, il y a même des quotas selon la couleur de peau, avec des personnes se faisant faire des certificats falsifiés pour prouver qu’ils sont noirs…
» Les pays bougent en permanence sur ces questions, a souligné Choukri Ben Ayed. Très rares sont les pays complètement libéraux et ceux totalement dans la contrainte. Ils se situent dans l’intermédiaire. » » Il n’y a pas de politique de mixité sociale avec une définition claire, il y a un contexte favorable pour créer des dispositifs » de mixité, a-t-il conclu.
Errements belges
Le chercheur belge Julien Danhier, qui a étudié la ségrégation scolaire en fédération Wallonie-Bruxelles, a fourni une belle illustration des errements d’une politique de mixité sociale. » La fédération s’est saisie tardivement de la question, en 2004/2005 « , a-t-il souligné, précisant que les enquêtes internationales Pisa (sur les élèves de 15 ans) et Pirls (sur ceux de 10 ans) avaient contribué à la prise de conscience.
La ségrégation repose sur deux facteurs dans la fédération Wallonie-Bruxelles. D’abord, sur la différenciation des parcours scolaires. Dans l’enseignement fondamental (primaire) comme dans le secondaire, les élèves les plus pauvres se retrouvent sur représentés dans les filières spécialisées et professionnelles. Second facteur : les familles ayant le libre choix, il existe un » quasi marché des écoles « , avec une concurrence entre elles et les parents les mieux informés cherchant à mettre leur enfant dans les meilleurs établissements.
Pour y remédier, le décret » file d’attente » est entré en vigueur en 2008-2009, selon lequel les premiers arrivés (pour inscrire leur enfant) étaient les premiers servis. En 2009-2010 a suivi le décret dit » loto » – le tirage sort en cas de demandes excédentaires – qui fut très mal reçu. Enfin, en 2010-2011, on a appliqué le décret Simonet, toujours en vigueur, introduisant une gestion centralisée avec un algorithme pour affecter les élèves à l’entrée du secondaire. » Cela a été une vraie bombe sociale « , souligne le chercheur.
Pour quels résultats ? Julien Danhier a alors montré un graphique avec une ligne quasiment droite, traduisant des effets à peu près nuls. Cela a provoqué un grand éclat de rire dans la salle, soudain rassérénée à l’idée que l’on n’est pas les seuls à ramer…
5 ateliers
L’après-midi a été consacré à cinq ateliers de deux heures chacun, lieux d’échanges et de débats. Lors du premier, les participants se sont interrogés sur la façon de mesurer la mixité et d’évaluer les dispositifs mis en place, ainsi que sur l’articulation entre la recherche, l’administration et le politique. L’occasion notamment de présenter l’Observatoire parisien de la mixité sociale et de la réussite éducative (OPMIRE) créé en septembre 2018.
Dans le second atelier, intitulé » Comment faire adhérer la communauté éducative à la démarche de mixité sociale ? « , des parents du collectif parisien » Apprendre ensemble « , qui se sont battus dès 2016 pour faire bouger les choses dans leur quartier du 18ème, ont notamment apporté leur témoignage.
Lors du troisième atelier – » Quels leviers d’attractivité pour améliorer l’image d’un établissement ? » -, les responsables Education de la métropole du Grand Lyon, des départements du Bas-Rhin et de Loire-Atlantique ont exposé leurs différentes actions – construction ou rénovation de collèges, financement de transports, soutien à des espaces parents…..
Le quatrième atelier a porté sur les manières de repenser la sectorisation afin de favoriser la mixité sociale. Des élus et des responsables départementaux du Gard, de l’Eure et de la Haute-Garonne ont apporté leur éclairage sur des fusions de collèges, sur la re sectorisation d’écoles » défavorisées » dans des collèges « favorisés » du centre-ville, etc.
Le dernier atelier était en formé d’interrogation : » Quelle est la place de l’enseignement privé dans la recherche de mixité sociale ? « . En présence de représentants de l’enseignement catholique, Laurent Delrue, directeur général délégué en charge de l’éducation en Haute-Garonne, est revenu sur l’intéressant Projet mixité du département.
Fait rare, Toulouse a signé, en juin 2018, une convention de partenariat avec le privé qui s’engage lui aussi dans la démarche de mixité. Un système de bonus-malus vient d’être lancé dans les collèges publics comme privés : s’ils ne respectent pas un certain niveau de mixité sociale, il sont sanctionnés par une baisse du forfait éducatif alloué par le département.
Se revoir
A la clôture du colloque à 16 heures 30, l’amphithéâtre était encore bien rempli, signe de l’intérêt et aussi du besoin d’échanger et de travailler collectivement. Avec » la nouvelle ère » et l’arrivée de Jean-Michel Blanquer rue de Grenelle, les réunions qu’il y avait deux à trois par an au ministère pour faire le point, ont cessé. Il n’y a plus aucun pilotage national de cette politique et les acteurs se sentent bien seuls.
Patrick Bloche, adjoint à la Maire de Paris chargé de l’éducation, et Jean-Michel Coignard, directeur de l’académie de Paris, ont conclu le colloque. » Il y avait visiblement une attente afin de pouvoir se réunir, échanger, faire bouger les choses « , s’est félicité Patrick Bloche, soulignant » la volonté politique de la Maire de Paris » de soutenir cette démarche. Dans la salle, on n’en finissait pas de boucler des discussions, d’échanger des contacts… Comme si l’on avait du mal à partir.
Véronique Soulé