Et si E. Macron et JM. Blanquer avaient choisi la mauvaise voie ? Selon une étude publiée par le Journal of the European Economic Association (N° de décembre 2018), l’utilisation d’un second professeur ou d’un assistant, ce qu’on appelle en France un maitre +, a un impact très positif sur les résultats scolaires des enfants défavorisés. Cet effet a été évalué jusqu’à 30 mois après la fin du dispositif. Il est durable. Pour les auteurs, Simon Calmar Andersen et Helena Skyt Nielsen de l’Aarhus University, Louise Beuchert (VIVE) et Mette Kjærgaard Thomsen (université du sud Danemark), « l’utilisation d’un maitre + est au moins aussi efficace que la réduction de la taille des classes. Or c’est une intervention beaucoup plus flexible capable de s’adresser à un seul groupe d’élèves pour des périodes limitées ». Alors que le gouvernement a choisi de supprimer les maitres + pour assurer les CP et Ce1 dédoublés en éducation prioritaire, cette étude apporte des arguments solides pour interroger ce choix.
Le choix des dédoublements en éducation prioritaire … puis partout
Pour améliorer le niveau scolaire des enfants défavorisés, le ministre de l’éducation nationale applique la promesse électorale d’E Macron : le dédoublement des classes de CP et CE1 de l’éducation prioritaire. Selon le ministère, ces dédoublements consommeront 12 000 postes quand ils seront terminés ce qui devrait être le cas à la rentrée 2019.
Mais de nouvelles mesures de réduction du nombre d’élèves par classe devraient suivre. Selon Challenges, le président de la République devrait annoncer prochainement la limitation de toutes les classes , de la GS de maternelle au CE1, à 24 élèves. La moitié des classes des maternelles publiques comptent plus de 24 élèves et 38% des classes de l’école élémentaire. Des taux encore plus élevés existent dans le privé s’il était inclus dans cet engagement. Cette extension devrait encore consommer des milliers de postes. Au total le ministère pourrait bien consacrer près de 20 000 postes à ces dédoublements.
Rappelons que jusque là, le ministère a financé ces mesures de dédoublement en fermant des classes dans le rural ou en maternelle. Il a aussi puisé largement dans les « maitres + », un dispositif initié par le gouvernement précédent qui consiste à affecter un enseignant supplémentaire dans des écoles de l’éducation prioritaire pour intervenir avec un autre enseignant soit auprès de certains élèves soit en divisant la classe en deux temporairement. Des 4000 postes initiaux seulement 1496 subsistaient à la rentrée et la moitié devraient encore disparaitre à la rentrée 2019.
Des résultats décevants
Or les résultats de ces dédoublements ne sont pas fameux. Selon une étude de la Depp (division des études du ministère) publiée en janvier dernier, on constate une baisse de la proportion d’élèves en très grande difficulté dans les classes de rep+ dédoublées. « Le dispositif permet une baisse de cette proportion d’élèves de 7.8% pour le français et de 12.5% en maths », déclare l’étude. Autrement dit, sur 60 000 élèves de Rep+, 24 000 auraient du être en grande difficulté. Avec le dispositif il y a 2000 élèves de moins en très grande difficulté en français et 3000 en maths. Il en reste quand même 22 000 et 21 000 en grand difficulté.
Une étude de A Bouguen, J Grenet et M Gurgand, publiée à la rentrée 2017, avait conclu à l’efficacité des dédoublements de CP. » Le dédoublement de la taille des classes (de 24 à 12 élèves par classe) conduirait, d’après les études recensées dans cette note, à une amélioration des performances scolaires comprise entre 20 % et 30 % d’un écart-type », disait-elle. Or l’étude de la Depp publiée le 23 janvier évoque des écarts types de 8% en français et 13% en maths, soit nettement en dessous des résultats attendus.
De plus, l’étude ne donne pas de résultats à moyen ou long terme. Or les dédoublements en Cp et Ce1 sont rendus possibles par la récupération de postes aux autres niveaux. Même en éducation prioritaire il faut augmenter le nombre d’élèves par classe en maternelle comme après le Ce1 pour trouver les postes des dédoublements. Autrement dit l’élève risque fort d’avoir une situation scolaire dégradée avant le CP et après le Ce1.
L’étude danoise
L’étude de Simon Calmar Andersen, Helena Skyt Nielsen, Louise Beuchert et Mette Kjærgaard Thomsen, publiée dans le Journal of the European Economic Association, a été présentée au séminaire Liepp du 16 avril par Denis Fougère.
Elle s’appuie sur les résultats de plus de 5000 élèves issus de 105 écoles. Elle observe l’effet de la présence de deux types de « teacher’s aide » : des enseignants formés , comme nos maitres +, et des assistants qui ne sont pas des enseignants formés.
L’appel à ces enseignants bis constitue pour les auteurs une solution plus souple que le dédoublement des classes. Les maitres peuvent intervenir dans des situations pédagogiques beaucoup plus variées à la demande. Et le dispositif est nettement moins couteux que celui, beaucoup plus rigide, des dédoublements.
Plusieurs études préalables tendaient à donner un avantage au dédoublement. Ainsi en Angleterre l’appel à des teachings assistants avait conduit à une baisse des résultats. Mais on s’était aperçu qu’en fait les teachings assistants étaient utilisés pour mettre à l’écart les élèves faibles au prétexte de remédiation pour faire avancer plus vite les autres.
Avec les maitres +, des résultats équivalents pour un coup moindre
Les résultats de l’étude danoise viennent changer cette perspective. « Les effets des interventions des co-enseignants et des assistants sont très positifs en lecture », affirme l’étude. Les élèves qui bénéficient d’un co-enseignant augmentent leurs résultats au test de lecture de 8.6% en comparaison avec un groupe témoin. Ceux avec un assistant de 13.1%. En maths les résultats sont moins bons. Un suivi sur 30 mois montre que l’effet positif est durable jusqu’à au moins 30 mois.
Les interventions des co-enseignants et des assistants sont généralement de nature différente. L’étude montre que l’impact du co -enseignant est plus fort quand il a plus de 5 ans d’ancienneté et quand son intervention est acceptée par son collègue. « Le co enseignant est plus efficace quand il est utilisé comme un dédoublement flexible de la classe », explique l’étude, « alors que l’assistant l’est dans les classes à problème disciplinaire ».
La conclusion mérite réflexion; « En somme, l’utilisation de maitres + semble au moins être aussi efficace que la réduction de la taille des classes. Or c’est une intervention beaucoup plus flexible qui peut viser des groupes précis d’élèves sur des périodes précises ».
En misant sur les dédoublements et en supprimant les maitres +, E Macron et JM Blanquer semblent avoir choisi un moyen nettement plus couteux et pas plus efficace.
François Jarraud
Simon Calmar Andersen, Helena Skyt Nielsen, Louise Beuchert et Mette Kjærgaard Thomsen, The Effect of Teacher’s Aides in the Classroom: Evidence from a Randomized Trial, Journal of the European Economic Association, décembre 2018.