» Je commence à trouver un peu lassants vos arguments ». Il y a de l’énervement chez JM Blanquer le 15 février lors de l’examen par l’Assemblée nationale de la loi sur l’école de la confiance. On en est à ce moment là à l’article 9, celui qui prévoit la suppression du Cnesco et la création d’un Conseil d’évaluation de l’école (CEE). Et cela même si le débat est mené au pas de charge. Au terme de discussions où la nécessité d’une évaluation de l’école indépendante du ministre a été rappelée, l’avenir du Cnesco semble toujours peu assuré.
Le Cnesco défendu de droite à gauche
Accéléré, le débat a été pour autant vif. A l’exception de la majorité, les députés sur des champs politiques très opposés, sont venus questionner la suppression du Cnesco. Maxime Minot (LR) a interpellé le ministre : « Monsieur le ministre, en tant que membre du CNESCO, où je siège en qualité de représentant de l’Assemblée nationale, je voudrais savoir pourquoi vous supprimez un organisme qui fonctionne bien, qui a réussi à faire travailler plus de 250 chercheurs au service de l’école, un organisme et qui a la confiance de la communauté éducative avec, en 2018, plus d’un demi-million de visiteurs uniques sur son site internet. Vous prenez le risque de détruire ce qui fonctionne en le remplaçant par un nouvel organisme qui devra recréer le lien de confiance avec les équipes éducatives. Vous savez aussi bien que moi que l’éducation nationale a besoin de stabilité et de continuité. Elle a besoin de s’appuyer sur des constructions qui fonctionnent pour s’améliorer progressivement. Quels atouts supplémentaires ce nouveau conseil apportera-t-il ? Le tournis des institutions ne risque-t-il pas, malheureusement, d’affaiblir le lien de confiance avec les équipes éducatives ?»
Régis Juanico (PS et apparentés) interpelle aussi le ministre sur les raisons de ce changement d’institution et les atouts putatifs du futur CEE par rapport au Cnesco. « Vous parlez aussi beaucoup de l’évaluation des établissements. Elle reste donc encore à venir. On ne peut pas aujourd’hui préjuger de l’instance qui sera la mieux à même de la mener. Mais il y a aussi l’évaluation des élèves et celle de la performance globale de l’ensemble du système éducatif. Le rapport de la Cour des comptes propose, par exemple, de mieux garantir l’indépendance de l’instance d’évaluation, notamment d’assurer qu’elle soit extérieure au ministère de l’éducation nationale. Notre logique est donc différente de la vôtre : nous proposons que ces évaluations soient menées par une instance réellement indépendante mène ces évaluations et que les missions du CNESCO soient renforcées à cette fin. »
Le CEE : Une évaluation interne
La majorité est longuement revenue sur les objectifs du futur CEE. Le caractère interne de l’évaluation qui y sera développée a été explicité dans de nombreuses interventions de la majorité et du ministre lui-même. Deux objectifs principaux sont visés par le nouveau CEE selon la rapporteure. « La création du conseil d’évaluation de l’école poursuit un double objectif. Ce conseil doit d’abord assurer la cohérence des évaluations de notre système éducatif et la définition de son positionnement institutionnel revêt donc une grande importance. Il doit ensuite mener à bien le chantier majeur de l’évaluation des établissements scolaires. Le ministre surenchérit : « L’article 9 vise à créer, pour la première fois en France, ce dont nous avons besoin (…) : une évaluation réelle des écoles, des collèges et des lycées ». Le ministre présente aussi une comparaison osée avec le secteur de la santé. : « Lorsque, personnellement, nous avons des problèmes de santé, nous sommes bien contents qu’un médecin pose un diagnostic. Personne n’imagine que le diagnostic dramatisera la situation et posera un problème. […] Les choses ne sont pas très différentes en la matière : nous avons besoin d’évaluation pour savoir où nous en sommes et pour avancer. C’est cette philosophie qui motive la rédaction de l’article 9. «
Et la rapporteure Anne Christine Lang de conclure sur le positionnement particulier du futur CEE : « Ce sera un outil d’évaluation interne rassemblant, entre autres, les services du ministère, l’inspection générale, la DEPP _ dont M. le ministre a souligné avec raison la très grande qualité _ et la DGESCO. Que cet outil d’évaluation soit interne ne pose pas problème ». c’est ce bel agencement futur du CEE et l’évaluation des établissements qui justifient que l’indépendance soit reléguée au rang de sujet « secondaire » dans cette évaluation interne, insiste le ministre : « Il est frappant de constater à quel point, aussi bien en commission que dans cet hémicycle, on peut s’intéresser à des aspects du texte [l’indépendance de l’évaluation] qui, même s’ils sont importants, restent secondaires par rapport aux enjeux principaux. Il me semble donc utile de remettre en perspective le caractère tout à fait inédit de l’article 9, afin que nous ne perdions pas de vue la forêt à cause d’un seul arbre. »
L’indépendance gage d’une évaluation sincère
Cette position peine cependant à convaincre l’opposition. Patrick Hetzel (LR) propose lui une haute autorité indépendante en charge de l’évaluation et interpelle le ministre sur l’évaluation : « Monsieur le ministre : vous dites que l’évaluation actuelle est perfectible, Vous avez évidemment raison. Cela étant, ce que vous nous proposez ne va pas résoudre le problème car vous faites comme si l’indépendance d’une instance d’évaluation était une question secondaire. Aujourd’hui, dans tous les grands pays, l’instance en charge de l’évaluation des politiques publiques éducatives est indépendante du ministre. Or, ce que vous proposez, c’est une reprise en main de l’instance d’évaluation. C’est d’autant plus paradoxal que vous disposez déjà de deux inspections générales chargées de procéder à de l’évaluation. […] vous nous parlez de confiance, mais en regardant précisément ce que vous proposez, on y voit de la défiance. Vous êtes en train de mettre en place un véritable dispositif de mise sous contrôle de l’évaluation de la politique éducative dans notre pays. »
Régis Juanico interpelle aussi Jean-Michel Blanquer sur le même terrain: « Le conseil d’évaluation de l’école que vous êtes en train de créer s’apparente plus, comme la rapporteure l’a reconnu, à un comité ministériel de coordination des évaluations des politiques publiques éducatives, alors qu’une évaluation crédible suppose une indépendance vis-à-vis de l’exécutif, c’est-à-dire un regard extérieur. »
Des faiblesses qui amèneront les oppositions mais aussi des députés de la majorité a essayé d’ouvrir la composition du nouveau CEE lors de cette dernière séance. Mais tous les amendements sont rejetés. Ainsi Marie Tamarelle propose « d’associer à l’élaboration de l’évaluation tous les acteurs concernés. Pour qu’elle prenne sens et soit acceptée, il importe en effet de rendre visible et efficiente l’intégration dans cette évaluation de tous les acteurs de la communauté éducative. » L’amendement sera rejeté. De même l’UDI propose que la composition du nouveau CEE soit ouverte aux collectivités territoriales « un siège à un conseiller municipal, un siège à un conseiller départemental et un siège à un conseiller régional ». L’amendement est rejeté, car selon la rapporteure,: « le conseil n’est pas une instance de concertation mais d’expertise. » Le ministère de l’éducation ne partagera pas non plus la composition du CEE avec d’autres ministères, l’amendement LR qui prévoit que deux sièges sur les 4 occupés par des représentants du ministère le soient par le ministère de l’agriculture et de l’enseignement supérieur sont repoussés. L’amendement du MODEM qui prévoit l’ouverture de la composition du CEE à des membres du CESE, parce que selon la députée Maud Petit, il doit exister une « nécessaire indépendance de l’instance chargée de l’évaluation, en séparant la gestion du contrôle. » est aussi rejeté. De même aucun représentant de lycéens et de parents d’élèves ne sera convié au CEE malgré les demandes des députés. Les quatre membres du ministère de ‘l’éducation nationale indétronables demeurent dans le conseil malgré de nombreux amendements contraires.
Pour compenser ce verrouillage total de la composition, de façon cosmétique une place marginale est octroyée à des chercheurs qui seraient choisis par les membres du CEE par exemple pour les conseiller sur les méthodologies de l’évaluation des établissements comme le propose un amendement porté par la rapporteure Anne-Sophie Lang. « La question de l’indépendance, si je puis dire, de la méthodologie et des outils utilisés pour évaluer les établissements du futur conseil d’évaluation de l’école a été posée. Or ils doivent faire l’objet d’un consensus scientifique aussi large que possible. C’est pourquoi le conseil devra pouvoir s’appuyer sur les meilleures expertises nationales et internationales. ». De même cette loi bien bavarde réaffirme ce qui existe déjà en droit de l’opendata: les chercheurs pourront accéder aux données produites lors des évaluations des établissements.
Quel avenir pour le Cnesco ?
Les demandes de clarifications sur l’avenir du Cnesco ont été reformulées mais sont restées sans réponse. Selon le député LR Frédéric Reiss « On nous propose aujourd’hui la création d’un nouveau « conseil d’évaluation de l’école », qui entérinera de fait la disparition institutionnelle du CNESCO. À la suite de la lettre ouverte qui vous a été adressée par des fédérations de parents d’élèves, des syndicats de chefs d’établissement et des syndicats d’enseignants, je réitère la question que nous vous avons posée, lors de la discussion générale, sur l’avenir du CNESCO et, surtout, sur la poursuite de ses activités dans le domaine universitaire, que ce soit au CNAM _ Conservatoire national des arts et métiers _ ou ailleurs. » Répondant au ministre qui répète la création future d’une chaire au CNAM, le député insiste sur le fait qu’aucune garantie n’est présente dans la loi sur ce point.
R. Juanico questionne également. « Pouvez-vous nous assurer tout de même, sur le seuil de cette discussion, qu’il y aura bien une chaire CNESCO au CNAM, dotée de moyens suffisants et de la pérennité nécessaire à son fonctionnement ? » La question risque de revenir au Sénat, une assemblée où le gouvernement n’a pas la majorité.
F Jarraud