Comment seront dirigés les établissements publics des savoirs fondamentaux (EPSF) prévus par la loi Blanquer ? Comment va évoluer la fonction de directeur d’école ? Et celle d’inspecteur ? Quelles conséquences de la loi pour l’Ecole et les enseignants ? Les « établissements des savoirs fondamentaux », autrement dit école du socle, sont créés par la loi Blanquer adoptée le 15 février en première lecture par l’Assemblée nationale. Pour connaitre exactement la portée du texte vous trouverez dans cet article le texte reconstitué de la loi après ajout des modifications apportées par les divers amendements. Vous mesurerez ainsi la portée de ce texte qui va maintenant être porté au Sénat. L’EPSF permet une nette diminution des postes dans le premier degré. Il met les professeurs des écoles sous la coupe des principaux de collège.
Vous trouverez en fin de cet article le texte reconstitué des articles 6 quarter et quinter de la loi Blanquer créés après la séance du 15 février de l’Assemblée nationale en tenant compte de tous les amendements adoptés en séance.
Comment est créé l’EPSF ?
L’EPSF est constitué des classes d’un collège et d’une ou plusieurs écoles du secteur de recrutement du collège. Dans le débat à l’Assemblée, la rapporteure de la commission a précisé que ce pourrait être plusieurs grosses écoles. Autrement dit, si l’école du socle a jusque là été présentée à propos des écoles rurales, les EPSF ciblent toutes les écoles , y compris urbaines.
Le regroupement des écoles dans un EPSF est décidé par « l’autorité de l’Etat compétente en matière d’éducation », par arrêté préfectoral. Il faut la proposition des collectivités territoriales. Autrement dit, il suffit que l’Etat et les collectivités locales le souhaitent pour que l’EPSF soit constitué. L’avis des conseils d’école ou du conseil d’administration du collège n’a pas d’importance. Il n’est même pas nécessaire de le recueillir.
La formule « l’autorité de l’Etat compétente en matière d’éducation » a été substituée le 15 février avec sans doute des arrières pensées. S’agira-t-il du Dasen ou du recteur de région académique ? Il est clair qu’on a voulu éviter la mention du mot recteur. De toutes façons ce représentant de l’éducation nationale émet un avis. C’est le préfet et les collectivités locales qui décident. Une convention précise la répartition des charges entre ces acteurs. Cela avait été oublié dans le texte en commission…
Qui commande l’EPSF ?
L’EPSF est dirigé par un principal de collège, seul chef de l’établissement. Ce principal exerce les fonctions de principal de collège et de directeur d’école. Il est le seul directeur d’école de l’établissement. Il y a un ou plusieurs « chefs d’établissement adjoints » dont un dirige les professeurs des écoles. Ce directeur-adjoint en charge des professeurs des écoles ne peut pas être un directeur d’école. Car c’est un chef d’établissement, par conséquent un personnel de direction, reçu au concours de personnel de direction. Il devra avoir été professeur des écoles dans une carrière antérieure.
L’établissement est géré par un conseil d’administration comme n’importe quel EPLE. La composition du CA devra intégrer les représentants des enseignants du 1er degré (pas des représentants des écoles qui n’existent plus comme unité administrative). On trouvera aussi des représentants des communes, à coté de ceux du département. Le conseil pédagogique, qui dans un collège aide le principal pour les questions d’organisation pédagogique, sera ouvert aux enseignants du 1er degré à raison d’un par niveau (pas d’un par école).
Quel est le sort des directeurs d’école dans un EPSF ?
Que deviennent les directeurs d’école ? Le texte ne le dit pas car en fait ils n’ont aucune place dans l’EPSF. Les écoles n’existent plus administrativement. Il y a un nouvel établissement. Celui-ci a un directeur d’école(s) qui est aussi le principal du collège. Il a un adjoint en charge du 1er degré. Et c’est tout.
On peut toujours imaginer que dans chaque site il y ait un PE « référent » ou quelque chose comme cela, chargé d’ouvrir la porte le matin. On peut même imaginer qu’on lui donne l’appellation de « directeur d’école ». Mais il n’aura plus les missions d’animation et les responsabilités administratives des directeurs d’école dans un EPSF. Parce que son école aura disparue comme unité administrative. Et que pour ces questions il y a un vrai directeur d’école (le principal), donnant des ordres à un adjoint, lui même supérieur hiérarchique des professeurs des écoles.
Il est à noter que le gouvernement et la majorité LREM a rejeté un amendement de B. Descamps (UDI) qui proposait la création d’une « équipe de direction » composée du principal et des directeurs des écoles sans lien d’autorité entre eux, en charge de la coordination entre le premier et le second degré ». Si cet amendement (441 rect.) a été rejeté ce n’est pas par hasard.
Comment va évoluer la fonction de directeur d’école hors EPSF ?
Il se trouve que la question a été posée plus loin dans la loi , après l’article 16, par deux amendements de B Descamps (UDI) et M Petit (Modem). Les deux propositions de créer un statut de directeur d’école ont été rejetées par la majorité après avis défavorable du ministre.
Le ministre a déclaré que le directeur d’école était à l’agenda social 2019. Mais c’est pour relativiser l’importance de la question du statut. « La question du statut n’est pas une fin en soi », dit-il. « Si elle peut être éventuellement un débouché du raisonnement, elle ne peut pas en être le point de départ. Le vrai sujet est celui des conditions d’exercice de la fonction de directeur d’école… Pour l’essentiel, ces changements ne relèvent pas de la loi : la partie législative du code de l’éducation contient déjà les bases juridiques de la fonction de directeur d’école, et les éventuelles évolutions relèvent essentiellement du règlement ». Cela semble écarter toute évolution statutaire.
Et les inspecteurs ?
Une question en suspens concerne les inspecteurs. Puisque les enseignants du 1er degré de l’EPSF passent sous autorité du principal du collège que reste-il aux IEN ? Ils seront totalement dépossédés de l’autorité qu’ils exercent sur les EPSF de leur circonscription.
Là aussi le ministre s’est exprimé après l’article 16. « Quant aux fonctions d’inspecteur de l’éducation nationale, elles sont appelées à se renforcer. Ce qui me frappe toujours lorsque je rencontre des inspecteurs de l’éducation nationale, c’est qu’ils sont très accaparés par des tâches administratives alors même que leur mission fondamentale est d’ordre pédagogique : il s’agit d’une mission de stimulation et d’observation sur le terrain des progrès de l’école, dans une optique à la fois stratégique et pragmatique ». Au delà des adjectifs ronflants, il semble que le ministre veuille leur retirer leur role de gestionnaire de circonscription, ce qui est cohérent avec les EPSF, pour les envoyer dans les salles de classe « stimuler » les enseignants…
Les professeurs devront-ils se déclarer à l’avance grévistes ?
Dans l’enseignement secondaire les professeurs n’ont pas à se déclarer grévistes à l’avance. Et c’est une autre singularité de ce texte que, dès le premier amendement, la rédactrice LREM s’est souciée de limiter le droit de grève des PE. Ils restent assujettis à la déclaration préalable que leurs collègues du second degré du même établissement ignorent.
Quelles sont les conséquences de ce texte ?
Sylvie Plane, dans un article du 14 février, les a très clairement vues. En regroupant administrativement les classes on économise beaucoup de postes. Elle donne une idée des économies. « En effet, si une entité accueille 105 élèves et que le ratio fixé est d’un poste d’enseignant pour 25 élèves, l’entité dispose de bons arguments pour obtenir non pas quatre mais cinq postes d’enseignants. Cet ajustement permet que le nombre moyen d’élèves par classe dans le primaire public soit actuellement de 23,6 élèves. Mais si on change d’échelle, et que l’entité prise en compte est plus importante, on élève les seuils d’attribution de postes. Au niveau national, le profit escompté n’est pas mince puisque 46,6% des écoles primaires publiques comportent actuellement de deux à quatre classes, et les regrouper dans de grands établissements est donc bien tentant pour l’administration centrale », écrit Sylvie Plane. Pour beaucoup de communes, ce texte va entrainer la fermeture de l’école et contraindre les enfants (dès 3 ans) à de longs trajets en car. Pour tous il aboutira à relever le nombre d’élèves par classe.
Elle a aussi bien vu ce que vont devenir les directeurs en rappelant que l’article L 411-1 est celui qui définit actuellement les tâches du directeur d’école. Et celles -ci sont attribuées au principal du collège. « Une première lecture a pu donner à penser aux directeurs d’école qu’ils allaient enfin être reconnus et que serait créé, en quelque sorte, un corps de « personnel de direction » de l’enseignement primaire, à l’instar de l’enseignement secondaire : les principaux de collège, les proviseurs de lycée et leurs adjoints sont des « perdirs », écrit S Plane. « Mais ce n’est pas ce que dit le texte de l’amendement ».
Pourquoi des lectures différentes de ce texte ?
Le débat sur les réseaux sociaux sur la portée des établissements publics savoirs fondamentaux résulte d’abord d’un fait matériel simple : l’Assemblée n’a toujours pas publié le texte définitif adopté le 15 février. Il nous a fallu le reconstituer en reportant sur le texte de la commission les amendements adoptés. Beaucoup de commentateurs en sont restés au texte de départ ou n’ont pas pris en compte tous les amendements. Une fois le texte définitif établi c’est beaucoup plus clair.
Ensuite, la question de l’école du socle est ancienne. Elle porte sur une vraie question pédagogique, celle de la transition entre école et collège, question qui a abouti à la création du conseil école-collège et à celle d’un cycle à cheval sur école et collège. On aura intérêt à oublier ces débats pédagogiques pour comprendre ce qui a été décidé vraiment avec la loi Blanquer. En effet, les articles 6 quarter et quinter traitent de gestion, de propriétés, de chefs et sous-chefs mais à aucun moment des finalités de ces établissements ou de pédagogie. La loi Blanquer est la seule loi sur l’Ecole qui ne traite pas de question pédagogique ou éducative. Cela participe de sa médiocrité.
Un autre trait de celle-ci tient à la façon dont la loi a été rédigée. Au lieu de suivre le parcours normal d’une loi, l’établissement public des savoirs fondamentaux (EPSF) apparait au détour d’un amendement inattendu déposé en commission par la députée LREM Mme Rilhac. Ce premier amendement a nécessité de nombreuses réécritures au gré d’une dizaine d’amendements portés par des députés LREM (Mme Charrière, Mme Rilhac, M Freschi) et un député LR (M Reiss) approuvés le 15 février en séance. C’est une construction bricolée, comme l’ensemble de la loi Blanquer.
Troisième problème posé par ce texte : il y a un écart important entre les déclarations des rapporteures de la loi et ce qui est écrit. Ainsi Mme Lang explique que les EPSF seront créés sur accord des « communautés éducatives ». Elle joue ainsi sur les mots comme on la vu. Les conseils d’école n’ont pas voix au chapitre sur la création d’un EPSF.
Un procédé d’une rare violence
Ce texte est passé par un procédé ingénieux mais d’une rare violence. En effet , en faisant passer cette réforme fondamentale par le biais d’un amendement, le gouvernement a pris le risque d’un texte médiocre pour éviter l’avis du Conseil d’Etat et l’étude d’impact. Le texte arrive sans filtre à l’Assemblée sans que les députés puissent juger de sa qualité (Conseil d’Etat) et de ses implications (étude d’impact).
Il s’est affranchi aussi de toute consultation des organisations professionnelles. Les élus du personnel, les syndicats n’ont pas été consultés. Il n’y a eu aucun débat et vote en conseil supérieur de l’éducation ou en comité technique. Le choix qui a été fait c’est de considérer l’avis des professionnels de l’Ecole comme sans aucune valeur. L’école n’est plus qu’un jouet dont dispose le ministre, son parti politique et Les républicains (qui ont pu faire passer un amendement).
Ce texte qui va modifier profondément l’organisation de l’école et la vie des communes rurales, a été adopté par seulement 35 députés contre 7. Sur 577 députés, 45 étaient présents dont 3 ne se sont pas exprimés.
Le texte de l’ensemble de la loi Blanquer doit être voté par l’Assemblée le 19 février. Il passera ensuite au Sénat. Les deux assemblées devront chercher un accord sur le texte définitif. Mais Les républicains soutenant les EPSF , les articles relatifs à ces établissements ne devraient pas être notablement modifiés au Sénat.
François Jarraud
Le compte rendu des débats du 15 février 1ère séance
Le compte rendu des débats seconde séance
Compte rendu de la 3ème séance
Les amendements adoptés sont les suivants : 1050, 567, 1016, 1001, 1144, 904, 993, 1173 et 940.
L’école du socle adoptée au bulldozer
Les nouveaux articles adoptés par l’Assemblée le 15 février
Article 6 quater (nouveau)
Après la section 3 bis du chapitre Ier du titre II du livre IV du code de l’éducation, est insérée une section 3 ter ainsi rédigée :
« Section 3 ter
« Les établissements publics des savoirs fondamentaux
« Art. L. 421-19-17. – Les établissements publics des savoirs fondamentaux sont constitués de classes du premier degré et du premier cycle du second degré. Ils associent les classes d’un collège et d’une ou plusieurs écoles situées dans son secteur de recrutement.
« Après avis de l’autorité de l’Etat compétente en matière d’éducation, ces établissements sont créés par arrêté du représentant de l’État dans le département sur proposition conjointe des collectivités territoriales ou établissements publics de coopération intercommunale de rattachement du collège et des écoles concernés, après conclusion d’une convention entre ces collectivités.
« Sous réserve des dispositions prévues à la présente section, ces établissements sont régis par les titres préliminaire à II du présent livre.
« Art. L. 421‑19‑18. – La convention mentionnée à l’article L. 421‑19‑17 fixe la durée pour laquelle elle est conclue et les conditions dans lesquelles, lorsqu’elle prend fin, les biens de l’établissement sont répartis entre les collectivités et les établissements publics de coopération intercommunale signataires. Elle détermine également le délai minimal qui ne peut être inférieur à une année scolaire au terme duquel peut prendre effet la décision de l’une des parties de se retirer de la convention.
« La convention détermine la répartition entre les parties des charges leur incombant en vertu des chapitres II à IV du titre Ier du livre II au titre de la gestion des écoles et des collèges. Elle définit notamment la répartition entre les parties des charges liées à la construction, la reconstruction, l’extension, les grosses réparations, l’équipement et le fonctionnement de l’ensemble de l’établissement et des dépenses de personnels autres que ceux mentionnés à l’article L. 211‑8 qui exercent leurs missions dans l’établissement.
« La convention détermine la collectivité de rattachement de l’établissement et le siège de celui‑ci. La collectivité de rattachement assure les grosses réparations, l’équipement et le fonctionnement de l’ensemble de l’établissement ainsi que le recrutement et la gestion des personnels autres que ceux mentionnés au même article L. 211‑8 qui exercent leurs missions dans l’établissement.
« En l’absence d’accord entre les signataires sur le contenu de la convention, soit lors de son renouvellement, soit à l’occasion d’une demande de l’un d’entre eux tendant à sa modification, le représentant de l’État fixe la répartition des charges entre les signataires en prenant en compte les effectifs scolarisés dans les classes du premier et du second degrés au sein de l’établissement public local d’enseignement des savoirs fondamentaux et désigne la collectivité de rattachement qui assure, jusqu’à l’intervention d’une nouvelle convention, les missions énoncées au troisième alinéa. »
« Art. L. 421-19-19. – Les établissements publics des savoirs fondamentaux sont dirigés par un chef d’établissement qui exerce simultanément les compétences attribuées au directeur d’école par l’article L. 411‑1 et les compétences attribuées au chef d’établissement par l’article L. 421‑3. Un ou plusieurs chefs d’établissement adjoints, dont un au moins est en charge des classes du premier degré, exercent aux côtés du chef d’établissement. Ce chef d’établissement adjoint, en charge du premier degré, est issu du premier degré. Les modalités de son recrutement sont fixées par décret. ».
« Art. L. 421-19-20. – L’établissement est administré par un conseil d’administration qui exerce les compétences définies à l’article L. 421-4. La composition de ce conseil d’administration est fixée par décret et permet notamment la représentation des personnels du premier degré et des communes ou établissements publics de coopération intercommunale parties à la convention.
« Art. L. 421-19-21. – Outre les membres mentionnés à l’article L. 421-5, le conseil pédagogique comprend au moins un enseignant de chaque niveau de classe du premier degré. Le conseil pédagogique peut être réuni en formation restreinte aux enseignants des niveaux, degrés ou cycles concernés par l’objet de la séance.
« Art. L. 421-19-22. – L’établissement comprend un conseil école-collège tel que défini à l’article L. 401-4 ainsi qu’un conseil des maîtres du premier degré.
« Art. L. 421-19-23. – Les élèves des classes maternelles et élémentaires bénéficient du service d’accueil prévu aux articles L. 133-1 à L. 133-10. Pour l’application de l’article L. 133-4, le taux de personnes ayant déclaré leur intention de participer à la grève s’apprécie au regard de l’ensemble des enseignants qui interviennent dans les classes du premier degré.
« Art. L. 421-19-24. – Les dispositions des titres Ier à V du livre V applicables aux élèves inscrits dans les écoles et à leurs familles sont applicables aux élèves inscrits dans les classes du premier degré des établissements publics locaux d’enseignement du réseau des savoirs fondamentaux et à leur famille. Les dispositions des titres Ier à V du livre V applicables aux élèves inscrits dans les collèges et à leur famille sont applicables aux élèves des classes des niveaux correspondant et à leurs familles.
« Art. L. 421-19-25. – Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application de la présente section. »
Article 6 quinter
L’article L. 421‑10 du code de l’éducation est ainsi modifié :
1° Au début du premier alinéa est insérée la mention : « I. » ;
2° Après le même alinéa, il est inséré un II ainsi rédigé :
« II. – Les établissements, avec l’accord de la collectivité de rattachement, peuvent mettre en œuvre en faveur des élèves du premier degré des actions, notamment sociales ou éducatives, financées par l’État et auxquelles les collectivités territoriales peuvent également apporter leur concours, sous forme de subvention ou de ressources humaines et matérielles. L’accord préalable de la commune qui en a la charge est requis lorsque les actions mises en œuvre se déroulent dans une école. »
3° Au début du dernier alinéa est insérée la mention : « III. ».