« Première victoire ! » « Bonne décision » : les syndicats saluent l’annonce de l’abandon de la suppression des rectorats faite par JM Blanquer lors du débat sur la loi Blanquer, le 31 janvier. Le ministre a précisé qu’il maintiendrait la trentaine de rectorats existants, qui devaient disparaitre début 2020, et les doterait même chacun d’un vice-chancelier. Mais ses propos, et ses silences, lors de la réunion de la Commission de l’éducation de l’Assemblée, donnent à penser qu’on est loin de l’abandon réel d’une réforme gouvernementale et qu’il ne faut pas tuer la peau de l’ours… Alors que la loi Blanquer arrive dans l’hémicycle le 11 février, les députés auraient intérêt à lever les ambiguïtés des réponses du ministre.
« Les académies ne fusionneront pas : une première victoire ! », écrit la Fsu dans un communiqué du 4 février. « Ce premier pas en arrière du ministre…. est une première victoire pour les personnels ». La FSU demande d’ailleurs son application immédiate à Rouen et Caen pourvues actuellement du même recteur. F Marchand, secrétaire général du Se Unsa, salue « une bonne décision » et regrette « le manque de considération » pour les personnels qui ont travaillé sur les schémas de réorganisation territoriale ». Il invite le ministre « à s’appuyer sur l’expertise des collègues ».
Qu’a dit exactement le ministre le 31 janvier ?
La loi sur l’école de la confiance prévoyait à l’article 17 d’accorder au gouvernement le droit de prendre des ordonnances sur la réforme territoriale de l’Education nationale. La Commission votera en faveur des ordonnances après avoir entendu JM Blanquer. Le ministre déclare qu’il oeuvre « pour que l’éducation nationale soit au plus près des territoires » et qu’il va « renforcer la proximité par la départementalisation en donnant plus de pouvoirs aux Dasen ». Il insiste sur le fait qu’il y aura « une nouvelle échelle infra régionale renforcée : la circonscription, le réseau d’établissements », pour une gestion des relations humaines de proximité et « des carrières plus personnalisées pour les personnels ». « C’est en vous écoutant que j’en suis arrivé à cette solution : on maintient tous les recteurs », lâche JM Blanquer. « J’ai compris les attentes ». Pour lui ce nouveau schéma « va permettre une plus grand efficacité ». Il précise qu’il y aura un recteur de région académique ayant autorité hiérarchique sur les autres recteurs et que les services des rectorats pourront être organisés au niveau des nouvelles régions.
Ce discours amène des réactions. P Hetzel (LR) qui avait soulevé la question par exemple de l’Alsace, « n’est pas rassuré ». Il demande de façon très précise au ministre de quelles allocations de moyens bénéficieront les 30 recteurs. « Budgétairement les 30 recteurs seront-ils décideurs ? » La question n ‘aura pas de réponse.
Une réforme soutenue par le gouvernement
Longtemps très centralisé, le système éducatif français s’est territorialisé depuis les lois de décentralisation, de 1982 jusqu’à la récente loi NOTR. En 2015, avec la naissance des nouvelles régions, l’Education nationale a fait exception en gardant ses anciennes académies. Mais elle les a chapeautées avec des « recteurs de région académique » correspondant aux 13 nouvelles régions métropolitaines. JM Blanquer a fait un pas supplémentaire. Un décret publié en novembre 2017 autorise un recteur de région académique à administrer plusieurs académies, légalisant une situation de fait en Normandie.
En mai 2018, le rapport Weil estime que le passage vers les 13 nouvelles académies » doit se faire selon des scénarios différents selon les régions académiques concernées et en tenant compte des contraintes spécifiques à chacune ». L’originalité du rapport est de proposer des scénarios concrets et datés de passage de 30 à 13 académies, en distinguant 4 régions d’étendue modeste, 4 plus étendues et enfin l’Ile de France. Dans les 4 régions d’étendue modeste (Bourgogne‐Franche‐Comté, Hauts‐de‐France, Normandie et Provence‐Alpes‐Côte d’Azur) , qui ne comptent que 5 ou 6 départements, le rapport considère que les personnels sont prêts à la fusion. Il invite les recteurs des régions académiques à élaborer un projet de fusion pour 2019 ou 2020, le projet devant être remis fin 2018. Dans les 4 grandes régions (Auvergne‐Rhône‐Alpes, Grand Est, Nouvelle‐Aquitaine et Occitanie), » la mise en oeuvre de ce principe implique la conception de nouveaux modes de gouvernance pour maintenir ou renforcer, dans le nouveau cadre, le fonctionnement et la qualité de suivi indispensables ». Les scénarios vont varier selon les régions. Le rapport demande la création d’un vice chancelier des universités et d’un adjoint chargé de l’enseignement scolaire auprès de chaque recteur. En Ile de FRance, » le recteur de la future académie de Paris-Île-de-France pourra prévoir de s’appuyer sur deux à trois adjoints, territorialisés ou non, qui pourraient être directeurs d’académie ou recteurs adjoints ». Dans toutes les académies, il est question de ne plus lier le Dasen à un département précis, le même Dasen pouvant gérer deux départements ou un territoire infra départemental selon les cas.
En juillet 2018, dans un entretien, JM Blanquer annonce qu’il avance la date de fusion des rectorats à 2020. En août 2018, c’est Edouard Philippe qui confirme l’accélération de la réforme territoriale. » Les recteurs d’académie travaillent dès à présent pour faire émerger, au 1er janvier 2020, 13 académies correspondant aux 13 régions métropolitaines. Cette dynamique est notamment l’occasion d’imaginer une organisation de terrain renouvelée dans laquelle la gestion des ressources humaines de proximité prendra tout son sens ».
La gestion des enseignants au coeur de la question
Même si le rapport ne l’a pas dit, la principale justification de la réforme est dans les économies réalisées dans la gestion des personnels. Le rapport d’ailleurs annonce une totale régionalisation des personnels. » Il est clair que la nouvelle organisation territoriale repose la question de la déconcentration de la gestion des ressources humaines dans des termes nouveaux. Au terme du processus que la mission préconise, les recteurs devront voir renforcer leurs compétences en matière de gestion de personnels avec la déconcentration au niveau académique de tous les actes de gestion, ce qui permettra à l’administration centrale de se consacrer exclusivement à ses tâches de conception, pilotage et régulation ». Mais le rapport sent venir les résistances. Il conseille « dans un premier temps, de ne pas remettre en question les circonscriptions académiques actuelles pour l’affectation des personnels » dans les grandes régions. Dans les petites l’intégration sera progressive.
Blanquer a-t-il vraiment abandonné la réforme ?
Alors que le gouvernement est accusé de sacrifier des pans entiers du territoire, notamment en matière scolaire, JM Blanquer a fait un pas en arrière le 31 janvier. Les 30 recteurs seront maintenus. Et les Dasen sortent rassurés et renforcés.
Pour autant la réforme ne semble pas remise en question sur le fond. Certes il y aura 30 recteurs. Mais de quels pouvoirs et de quel budget disposeront-ils ? Si JM Blanquer n’a pas répondu aux questions sur le budget, qui étaient tellement précises qu’il ne pouvait échapper à une réponse affirmative ou négative, ce n’est pas par hasard. Le ministre a présenté une nouvelle architecture où les recteurs actuels sont mis en cage par une administration de l’éducation nationale qui sera pilotée et organisée au niveau de la région académique. Certes il y aura des services de l’Education nationale à Limoges ou Strasbourg. Mais ils pourraient bien prendre leurs ordres auprès du recteur de région académique (le recteur ayant autorité sur les 30 recteurs) et appliquer les décisions sur le territoire de la région académique. Ainsi l’action de l’Etat serait en harmonie avec celle des nouvelles régions. En dessous des 30 recteurs, les acteurs verraient leurs pouvoirs renforcés. Le Dasen , selon l’annonce de JM Blanquer. Et surtout les acteurs de proximité, circonscription, chefs d’établissement en charge par exemple de l’affectation des enseignants.
Plus que l’abandon de la réforme territoriale, le ministre semble avoir décidé de ne pas heurter une opinion mobilisée sur le maintien des services de proximité quitte à payer le prix symbolique du maintien de recteurs. Aussi, avant d’accorder au gouvernement le droit de faire ce qu’il veut sans consulter le parlement avec des ordonnances, il serait sage pour les députés de vérifier quelles sont ses intentions réelles et quels seront les pouvoirs et les budgets des 30 recteurs « maintenus ».
François Jarraud
Vidéo : la commission le 31 janvier 2019