Elément phare de la loi Blanquer, la réforme de l’évaluation de l’Ecole voulue par JM Blanquer a donné lieu à une passe d’armes particulièrement marquée le 30 janvier. Avec deux problématiques : l’évaluation de l’Ecole doit -elle être indépendante ? L’autre question c’est l’avenir du Cnesco. Le vif soutien des députés de droite et de gauche a amené le ministre à prendre des engagements dont on a bien perçu qu’ils lui coutent. Le Cnesco est-il vraiment sauvé ?
Le débat sur la loi Blanquer en commission de l’éducation de l’Assemblée permet d’éclairer les conceptions du ministre sur l’évaluation. Et le moindre qu’on puisse dire c’est qu’elles sont déconcertantes.
On découvre ainsi que pour lui l’indépendance de l’évaluation n’est pas centrale. JM Blanquer est pourtant professeur de droit public. Interpellé sur les problèmes d’indépendance posés par le futur Conseil d’évaluation de l’école (CEE), où, entre autres problèmes siègent directement des membres de l’Education nationale, JM Blanquer livre sa vision de l’évaluation du système scolaire. Alors que les députés représentants de différents partis politiques questionnent l’organisation du CEE qui met le ministère dans la position d’être juge et partie, le ministre réfute cette vision de l’évaluation. Pour le ministre l’indépendance de l’évaluateur et donc de l’évaluation, n’est pas centrale, elle n’est pas « nodale » a-t-il répondu aux interpellations.
« La question de l’indépendance est un sujet parmi les autres et certainement pas le sujet nodal…Le cœur du sujet n’est pas là. C’est comme si, on a un sujet éléphant et on est en train de parler d’un point fourmi à côté de ce sujet éléphant. Le sujet éléphant, c’est comment est-ce qu’on réussit, techniquement à avoir une agence d’évaluation qui réussit pour de vrai à évaluer les établissements de France. Le sujet éléphant, c’est aussi celui d’avoir l’expertise technique pour réussir à faire cela », déclare le ministre.
Le fait que l’indépendance soit un principe d’organisation de l’évaluation parce que le politique pourrait être tenté d’influencer les résultats des évaluations est réfuté. Parlant du ministre de l’éducation, « indépendamment de qui occupe le poste de ministre « , Jean-Michel Blanquer affirme, » il ne va certainement pas chercher à influencer l’évaluation de chacun des établissements de France, ce n’est pas imaginable. Donc le sujet de l’indépendance doit être vu en ayant à l’esprit qu’il s’agit d’évaluer tous les établissements de France, qu’on ne peut pas imaginer un ministre de l’éducation nationale cherchant à influencer de je ne sais quelle manière … ou alors nous serions vraiment passés dans un drôle de système ». Le cas d’un ministre qui chercherait à influencer les résultats d’une évaluation sur une de ses mesures phare n’est pas évoquée par Jean-Michel Blanquer.
Pourtant JM Blanquer vient lui-même de donner un bel exemple de ce que peut-être une évaluation dominée par la communication avec l’exemple des CP dédoublés. Sur ce cas, l’évaluation ascientifique a été mise au service de la communication ministérielle au point d’affirmer une parfaite réussite là où les résultats sont décevants.
Interpellé sur l’évaluation des politiques scolaires qui n’est pas celle des établissements, et qui se doit d’être indépendante lui rappelle certains députés, le ministre explique le nouveau dispositif. « Evaluer tel ou tel aspect des politiques publiques éducatives, mais ça existe depuis des décennies et ça s’appelle l’Inspection générale. L’Inspection générale le fait, elle s’appuie sur la Depp, dont d’ailleurs personne n’a jamais contesté l’objectivité des analyses même si c’est une direction du ministère. Donc la nouvelle instance, peut tout à fait, dans son programme de travail, superviser le travail de la Depp, de l’inspection générale ».
Dans cette logique qui prend faiblement en compte l’exigence d’indépendance de l’évaluateur, la majorité des amendements déposés qui visaient à donner davantage d’indépendance au CEE (notamment en diversifiant sa composition et les acteurs en charge de la nomination des membres) sont rejetés, même le timide amendement de Marie Tamarelle-Verhaeghe (LREM) sur la nomination de certains membres du CEE par le Premier ministre. La commission adopte la seule augmentation de deux têtes du nombre des experts. L’indépendance du CEE est verrouillée à partir de sa composition même, qui demeure à la fin du débat très majoritairement entre les mains du ministre de l’éducation.
Quel avenir pour le CNESCO ?
Dans ce nouveau cadre, quelle place pour le Cnesco ? JM Blanquer réitère son soutien dans ce débat. « Ce qu’il y a de positif dans le bilan du Cnesco ne sera pas perdu. ce qu’a permis le Cnesco …sera maintenu. C’est intéressant ».
Mais alors que le ministre répète depuis des mois son souhait de garder le Cnesco, aux députés qui l’interrogent pour avoir davantage de précision sur la future construction, peu d’informations précises sont données. Le ministre demande aux députés de signer un chèque en blanc : voter la suppression du Cnesco sans donner aucune garantie à l’appui du discours ministériel sur la poursuite de l’activité.
Car l’organisation du CNESCO est bien desinstitutionnalisée. Aucune garantie n’est apportée aux parlementaires, par la nouvelle loi Blanquer quant à la poursuite des activités du CNESCO. Rien n’est dit dans la nouvelle loi sur le transfert du Cnesco au CNAM sur lequel le ministre discourt.
Dans les faits, la solution décrite par JM Blaquer n’existe actuellement pas, les discours ministériels sur le Cnesco sont toujours au futur, voire au conditionnel dans le rapport d’examen du projet de loi par les rapporteurs. Par exemple : « Nous sommes dans un processus de création du Cnesco ». « Il continuera à s’appeler Cnesco, il sera une chaire académique, située au Cnam ».
La présentation (très vague) de ce que pourrait être le futur Cnesco par JM Blanquer présente une organisation qui semble fragilisée. Elle s’appuierait sur une chaire au CNAM, il y aurait des moyens mais « ces moyens humains qui pourront exister dans le cadre de cette chaire Cnesco [seraient] reliés à certaines instances de la maison Education nationale », dit le ministre. Cela signifie-t-il qu’à tout moment le Cnesco dont l’existence n’est plus institutionnelle pourrait être vidé de ces postes si le projet ministériel changeait ?
Sécuriser le Cnesco
Face à de telles incertitudes, les députés de l’opposition demandent des garanties. Que le nouveau Cnesco soit inscrit dans la loi. P. Hetzel (LR) demande « son institutionnalisation par la loi pour le sécuriser ». Régis Juanico (PS) interroge aussi le ministre sur le fait qu’il soit prêt à inscrire le nouveau Cnesco dans la loi. La réponse n’est pas positive. Pourtant en introduction, le ministre reconnaissait l’importance de l’écrit face à la suspicion que suscite de plus en plus la suppression du Cnesco et l’absence totale de garanties. « J’ai l’impression qu’on a besoin de rassurer beaucoup sur ce point, que le Cnesco ne disparait pas. Je suis un peu comme le capitaine Haddock devant le professeur Tournesol dans le trésor de Rackham le Rouge, j’ai maintenant le besoin de l’écrire sur un mur parce que je l’ai dit des dizaines de fois depuis plusieurs semaines ».
Sur un sujet aussi central pour l’école que l’indépendance de l’évaluation des politiques scolaires, les députés peuvent-ils signer un chèque en blanc à JM Blanquer ou doivent-ils exiger des garanties, c’est-à-dire toute la transparence sur le nouveau Cnesco et son inscription dans la loi ?
François Jarraud