Dans le lycée français de 2019, « l’écriture d’invention » va disparaitre des épreuves du bac, donc probablement des pratiques de classe. Pendant ce temps dans l’université française se développent les dispositifs de création littéraire. Dans un nouvel ouvrage, passionnant, Violaine Houdart-Merot (La création littéraire à l’université, Presses Universitaires de Vincennes) éclaire l’histoire et les enjeux de telles pratiques. Leur reconnaissance par l’université est un signal d’alerte : à travers la place accordée à l’écriture créative se jouent la représentation que l’on se fait de la littérature et la considération que l’on accorde à l’élève (lecteur, scripteur, auteur y compris de lui-même). Et si le lycée français marchait à contresens : de l’université, des pays étrangers, de l’évolution en marche des disciplines ? Et si en lettres allait se creuser le fossé entre le secondaire et le supérieur ? Et si, envers et contre tout, l’ouvrage de Violaine Houdart-Merot nous devenait source d’inspiration ?
Dépasser l’écriture de glose
Violaine Houdart-Merot explique comment une certaine tradition française s’est construite à la fin du 19ème siècle sur la culture du commentaire. Destinée à transmettre l’art de l’imitation, la rhétorique est rejetée au moment où l’étude de la littérature cherche sa reconnaissance universitaire et scientifique. Alors « « l’art de lire remplace l’art d’écrire ». On favorise « un rapport d’admiration » plutôt qu’un « rapport d’appropriation ». La littérature devient un art sacré dont seuls quelques-uns ont le génie et que les autres doivent se contenter d’observer. L’écriture universitaire et scolaire se réduit à deux exercices, centrés sur la « dispositio, l’art du plan », ceux-là même que le futur bac de français érige en modèles canoniques : le « commentaire » et la « dissertation ».
Violaine Houdart-Merot montre aussi combien depuis les années 2000 l’écriture créative se répand à l’université : « Ces nouvelles pratiques reposent souvent sur le constat, formulé par les enseignants, que faire écrire les étudiants à partir d’inducteurs qui sont majoritairement des textes littéraires permet une réelle interaction entre lecture et écriture et rend la lecture beaucoup plus féconde ». C’est aussi que la littérature elle-même évolue : livres qui se donnent à voir comme ateliers de fabrique du texte, poétique de la réécriture, OuLiPo… C’est encore que se transforme la recherche sur la littérature : analyses de Genette sur l’intertextualité, valorisation par Barthes du « texte scriptible » (« l’enjeu du travail littéraire (de la littérature comme travail), c’est de faire du lecteur, non plus un consommateur, mais un producteur du texte »), critique génétique s’intéressant à l’écriture comme processus plutôt que comme résultat, réflexions de Jean-Marie Schaeffer ou Marielle Macé autour de la lecture comme expérience de l’œuvre, directe, personnelle, sensible …
Travailler la littérature par l’écriture
« Ecrire ça se travaille. ». La proposition de François Bon, par bonheur, fait tâche d’huile. Depuis 2012, 4 masters de création littéraire ont été créés (Toulouse, Le Havre, Paris 8, Cergy-Pontoise) et les formations diplômantes sont de plus en plus nombreuses. Loin de se rattacher à l’ancienne rhétorique, elles s’inscrivent dans la continuité des dispositifs de « creative writing » apparus aux Etats-Unis dès 1936 et désormais au nombre de 800 au niveau master ou doctorat : ces « formations pour les écrivains, assurées par des écrivains » veulent permettre aux étudiants de développer leurs talents, dans une logique non d’imitation mais de « renouvellement de la littérature » (AMarie Petitjean).
Mais les masters de « création littéraire » à la français ont leurs spécificités : dimension réflexive plus affirmée, présence plus marquée des universitaires, pas de spécialisation sur un genre littéraire, ouverture vers tous les métiers de l’écriture, apprentissage de formes diversifiées de publication, formation à la conduite d’ateliers d’écriture …
Vers des écrits de double nature ?
Dans ces formations universitaires, les mémoires des étudiants consistent en des projets littéraires variés, accompagnés de textes réflexifs : note d’intention, journal de la création, approche d’une œuvre ou d’un auteur en résonance avec le travail de création, réflexion d’ordre problématique, générique ou thématique, analyse du processus de création … Le diptyque création – réflexion peut présenter des formes variées : deux textes disposés en parallèle sur la page, des textes écrits en alternance avec jeu typographique, une utilisation renouvelée des notes infrapaginales, un essai de théorisation illustré par des productions originales … Cette double dimension d’un travail de « recherche-création » rend visibles, et donc évaluables, l’appropriation et le dépassement de techniques d’écriture, les compétences interprétatives et la maitrise d’un savoir littéraire. Elle envisage pleinement « la littérature comme mode – ou lieu – de connaissance » (Alain Beaulieu, université de Laval, Québec).
On soulignera que cette écriture qui combine l’expérimentation littéraire avec sa propre mise en relation et en analyse était précisément ce que recommandaient certains, en particulier l’Association Française pour l’Enseignement du français, lors des réflexions institutionnellement menées autour des futures épreuves de français au bac. En vain.
Vers de nouveaux horizons ?
Le travail ainsi mené à l’université ouvre bien des horizons : constitution de « communautés d’écriture et de lecture », échanges avec les autres arts, prise en charge de la littérature contemporaine, présence des écrivains « en chair et en os », importance de l’écriture et de la publication numériques, résistance au narratif et gout pour les œuvres hybrides, « littérature contextuelle » c’est-à-dire produite in situ (par exemple dans la ville), ouverture au réel et forte implication personnelle, reconnaissance du genre non académique de « l’essai » avec ce que cela implique de libre expérience de la pensée, de conception heuristique de l’écriture, d’acceptation de la subjectivité, de dépassement du non-style…
Des horizons pour les études littéraires, fort heureusement et incontestablement. Et pourquoi pas aussi pour l’étude de la littérature dans le secondaire ? Serions-nous au lycée en train de rater le rendez-vous avec l’histoire de notre discipline ?
Jean-Michel Le Baut
Violaine Houdart-Merot, La création littéraire à l’université, Presses Universitaires de Vincennes, EAN 9782842928575
L’ouvrage sur le site de l’éditeur
Création littéraire à l’université de Cergy-Pontoise
Création littéraire à l’université du Havre
Création littéraire à l’université de Brest
Ecriture créative au lycée avec Aurélie Palud
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