L’utilisation de plus en plus fréquente de l’expression « fake news » est un signe de l’importance prise par les informations dans notre vie quotidienne. Face aux multiples sources d’information, comment distinguer celles qui sont vraies et celles qui ne le sont pas, ou pas vraiment ? Comment, dans nos enseignements, permettre aux élèves de développer les compétences nécessaires pour faire face à ces questions ? La traditionnelle confiance envers ceux qui fabriquent l’information dans les médias de flux traditionnels (télévision, radio, journaux) a longtemps été forte. Disposant désormais de la possibilité d’accéder à de nouvelles sources chacun de nous est tenté de mettre en question cette confiance en allant chercher à vérifier ce que l’on nous dit en passant par d’autres canaux. C’est en particulier le cas depuis que le web s’est développé, proposant d’accéder à un grand nombre de documents et encore davantage depuis que les réseaux sociaux numériques se sont développés.
Analyser les fake news
Pour la pause de fin d’année, je propose que les parents, les éducateurs essaient de prendre du temps pour analyser quelques informations. Il s’agit de se mettre devant un journal, papier, radio ou télévisé, ou encore en ligne et d’examiner des informations. Examiner, cela veut dire tenter de comprendre le processus qui a amené devant nos yeux cette information. L’idéal, serait de la faire en groupe, en famille, avec des enfants par exemple. On pourrait même imaginer un jeu collaboratif qui consisterait à ce que, à plusieurs, on essaie de vérifier des informations qui nous sont présentées. On imagine les longues soirées à effectuer ces tâches d’analyse, de vérification, de comparaison, de validation. Mais est-ce encore possible ? Au vu des évènements médiatisés ces derniers mois, on peut s’interroger. C’est pourquoi il me semble au moins nécessaire d’y réfléchir, et pourquoi pas de s’y exercer. En effet nombre d’adultes pensent qu’ils sont capables d’évaluer les informations, malheureusement, les récents évènements nous ont montré que ce n’est pas souvent le cas et que ce qui guide en premier lieu notre crédulité, c’est notre intention d’avoir une information qui conforte l’idée que nous avons, a priori….
Les fausses nouvelles (Fake News) existent depuis toujours. L’exemple de la rumeur, du bouche à oreille, de l’information qui circule de personne à personne sans pouvoir vérifier son origine est ancien et surtout très courant. Il est nécessaire de préciser les différentes formes de ce que l’on nomme trop rapidement Fake News car en réalité on trouve plusieurs formes différentes d’informations inexactes. On peut distinguer le trouble de l’information (incomplète, approximative), la malinformation (non vérifiée, déformée), de la désinformation (acte volontaire de transmission d’une fausse nouvelle) et enfin la fausse information construite par une personne qui tente de la faire passer pour vraie. Ces différentes formes sont très courantes quelque soit le média et en particulier les personnes qui y contribuent. Les professionnels de l’information sont bien conscients de ce problème et plusieurs organes de presse ont développé des services pour essayer de mesurer et contrôler ce phénomène. On trouve de plus en plus de rubriques de journaux consacrées à la vérification des nouvelles (appelés parfois checknews pour le journal Libération ou encore decodex pour le journal Le Monde…), publiant des articles qui éclairent le lecteur sur la vérification d’une information. On trouve aussi au sein des rédactions des journalistes professionnels des services qui aident les journalistes dans leur démarche de vérification, et même dans leur déontologie. Mais dès lors qu’il est possible à n’importe qui de diffuser une information (vraie ou non), en particulier sur le web, ces services n’existent plus et le danger d’être piégé, trompé, beaucoup plus important.
Transformer un fait en information
La difficulté essentielle est celle de transformer un fait en information. Le journaliste, le témoin, le citoyen, témoin d’une scène peut être invité à en faire le récit et le diffuser. La lecture comparée de plusieurs récits (information) d’un même fait révèle des différences parfois importantes entre des personnes qui ont assisté en direct à la même scène. Si s’exprimer n’est pas toujours facile, relater un fait de manière précise et sans erreur est compliqué. Les témoins d’un accident n’ont pas tous la même version du fait, étant situés à des endroits différents pour l’observer. Il est un autre phénomène qui pose problème, c’est celui de l’erreur de mémoire. Les études scientifiques sur la mémoire et les souvenirs montrent que nombre de personnes transforment dans leur cerveau les faits qu’ils ont observés. Les témoignages seront donc souvent différents, parfois dans les nuances, parfois dans l’essentiel.
A cela s’ajoute la question du « point de vue », de l’a priori. Lorsque nous assistons à une scène, que nous vivons une situation, nous avons tendance à l’analyser avec notre point de vue, c’est à dire la manière dont nous pensons qu’il faut en rendre compte. Très rapidement nous passons du fait à l’analyse, le commentaire. Cela est assez aisément repérable dans les articles de journaux, mais beaucoup moins dans des formes de diffusion complexes comme les documentaires réalisés pour la télévision. D’ailleurs ces derniers font souvent l’objet d’une adhésion supérieure du fait de leur forme audiovisuelle qui renforce leur crédibilité (le fameux « vu à la télé »). Si je veux convaincre mon auditoire de mon point de vue, il se peut que je transforme les faits observés pour qu’ils renforcent mon point de vue. Ainsi le lecteur pense lire un récit objectif et en fait, il est confronté à sa relecture personnelle des faits et à l’expression d’un point de vue identique au sien.
Quelles compétences ?
Dans un cadre scolaire il est désormais indispensable d’amener les élèves à identifier ces questions et à y trouver des réponses. Le premier problème rencontré est d’abord celui des adultes, des enseignants qui se sentent, personnellement, très démunis face à ces informations, ils sont aussi parfois piégés et considèrent pour vrais des récits qui sont faux. Cela est d’autant plus important que ceux qui veulent faire passer des fake news sont très habiles à faire croire qu’elles sont vraies ou au moins crédible. Pour l’enseignant la difficulté est double car il est amené à enseigner des savoirs qui sont considérés comme vrai et qui sont désignés dans les programmes et en même temps il doit apprendre à se méfier des fausses informations. De plus certains savoirs peuvent être remis en question par la suite de découvertes scientifiques nouvelles. Enseigner des « vérités », en sachant qu’elles peuvent être provisoires et aussi se trouver confronté à d’autres point de vue, d’autres « vérités » issus d’autres sources, est potentiellement déstabilisant. Les enseignants, les éducateurs sont donc invités à construire des dispositifs pour amener les élèves (et aussi eux-mêmes) à être en mesure d’évaluer la pertinence des informations. Le mot pertinence est employé ici pour bien signaler qu’il ne s’agit pas de juger de la vérité d’une information mais de comprendre comment elle a été construite et donc comment elle peut être ensuite utilisée, en la considérant comme temporairement valide.
Nous proposons plusieurs compétences à travailler au travers de diverses activités disciplinaires ou plus générales. Ces compétences ne sont pas rédigées dans un ordre hiérarchique ou chronologique, elles peuvent être associées dans les activités que l’on propose aux élèves :
– Distinguer ce qui est de l’information de ce qui est le point de vue sur l’information
De la lecture d’une notice technique à celle d’un texte littéraire, il est toujours important de distinguer dans le récit, ce qui est le fait de ce que l’on pense des faits. On peut mener une progression et une comparaison entre les différents supports comme l’audio, la vidéo ou simplement le papier
– Repérer si l’information est de première main ou non
Une information est dite de première main lorsque celui qui en fait le récit est celui qui était sur le fait, la situation, l’évènement. Il est courant que l’on rapporte une information qui vienne de quelqu’un qui vous l’a raconté. On comprend aisément que plus le support de l’information est éloigné du fait qu’il relate, plus il est susceptible de subir des transformations et donc d’être entaché d’erreurs
– Identifier l’auteur de l’information et ses intérêts par rapport à l’information
Connaître l’auteur d’une information est indispensable dès lors que l’on veut la vérifier. De plus celui ou celle qui fabrique l’information et la diffuse ensuite peut avoir intérêt à modifier l’information pour qu’elle soit en accord avec son opinion, ses idées. C’est très souvent le cas dans les évènements dramatiques au cours desquels l’informateur sera tenté de minorer ou de majorer l’intensité de l’évènement. C’est aussi le cas dans le domaine commercial, lorsque l’informateur est rémunéré par celui ou celle dont il est question dans l’information.
– Rechercher l’intention contenue dans l’information
L’analyse d’un document, d’un support doit toujours s’appuyer sur la recherche d’intention. Qu’est-ce que l’auteur de l’information veut faire passer comme message ? Après avoir distingué le fait de l’analyse du fait dans le récit, il devient plus aisé de questionner cette intention. Celle-ci dirigera la sélection des faits rapportés, et elle orientera l’analyse et donc le point de vue souvent appelé commentaire.
– Aller chercher plusieurs points de vue sur le contenu de l’information et les comparer
Il est fréquent que des informations contradictoires soient diffusées à propos de faits identiques. La comparaison des journaux internationaux le montre aisément. Il est donc nécessaire d’habituer les élèves à identifier les points de vue exprimés. Ensuite il faut les rapprocher pour pouvoir mener une analyse comparative qui va permettre de développer la méthode critique d’étude des informations.
– Analyser les éléments de surface de l’information : références, sources, dates etc.…
Un document, un support comporte en général des attributs (appelés aussi métadonnées) qui permettent d’en mesurer la véracité. Cela commence par les références des auteurs et des sources utilisées par ceux-ci, cela comporte aussi les dates précises du support et des faits. D’autres éléments de surface peuvent être évoqués en particulier selon les types de médias utilisés. Enfin il y a parfois, dans le cas d’informations débattues sur les réseaux sociaux, une dimension historique de l’information à prendre en compte.
– Vérifier l’environnement de l’émetteur et du diffuseur de l’information
Lorsque l’émetteur ou le diffuseur choisissent une information, ils le font dans un contexte précis. Qu’il soit commercial, politique, éducatif, le contexte est souvent à la base de la sélection de l’information, de sa hiérarchisation, de l’importance qu’on choisit de lui donner. L’exemple de la première page des journaux est souvent illustratif de cela.
Pour terminer nous vous proposons quelques pratiques possibles avec les élèves. Il ne s’agit pas d’une liste complète, exhaustive, mais plutôt d’une invitation à en concevoir
– Apprendre à citer ses sources : traçabilité
Dès les premières années de la scolarité il est important d’apprendre aux élèves à répondre à la question : d’où vient l’information dont tu me parles ? Si la réponse est trop partielle, incomplète, alors il faut l’analyser, et peut-être la refuser. Le principe est que l’auteur de l’information permette à son lecteur d’accéder à la preuve ce qu’il écrit.
– L’exemple de la pédagogie des controverses
La pédagogie de la controverse se base sur la démarche qui consiste à demander à des élèves de se saisir d’une question qui fait polémique et de commencer par faire « une carte des points de vue argumentée ». Une fois la carte réalisée, il convient de l’évaluer (est-on allé assez loin dans la recherche) et ensuite de la mettre en discussion dans un groupe plus large que celui qui a élaboré la carte.
– L’exemple du tableau synoptique de comparaison des informations
La fabrication d’un tableau synoptique de plusieurs sources qui concernent le même sujet permet de mesurer la capacité des élèves à comprendre les supports utilisés, les catégoriser et ensuite à les analyser en les comparant et les synthétisant. Ce travail peut aussi s’accompagner d’une recherche d’information, en amont de la comparaison. Ce travail permet de mettre en évidence les capacités des élèves à recherches des sources variées car ils sont souvent tentés de s’arrêter au premier document trouvé
Les « fakes news » existent-elles réellement ? Y a-t-il des informations qui soient vraies ? A écouter les discours de certains politiques ou scientifiques, on est obligé de faire preuve de modestie. Une information peut être considérée comme vraie par certains mais fausse par d’autres. Une information peut être vraie à un moment et fausse ensuite. Comment dès lors parvenir à un résultat satisfaisant ? En commençant par aborder toute information par le doute, la mise en question. A priori je dois interroger la qualité de l’information. Mais le doute doit laisser la place à une vérité temporairement acceptable, car sinon on peut tomber dans le piège du complot permanent : tout ce que l’on me dit est faux ! Pour passer à cette phase nous avons proposé plusieurs démarches, parmi d’autres qui doivent aider les élèves, les jeunes à se construire des méthodes de travail pour éviter d’être piégés par les fausses informations. Il faut aussi leur permettre, pour les plus grands, de comprendre qu’il y a souvent des « déformations » de l’information. Cela est quasiment inévitable, que ce soit dans les médias professionnels ou dans les réseaux sociaux numériques. Aujourd’hui le piège du travail sur les fausses nouvelles est autant de douter de tout et de croire au complot permanent que de se laisser aller à ne plus accepter qu’une seule source d’information qui nous plairait particulièrement, même si ce qu’elle raconte est largement faux. Vigilance et pédagogie sont au cœur de ce problème désormais plus important à prendre en compte qu’il y a trente ou quarante années.
Bruno Devauchelle