Comment fortifier la mémoire et le sens des apprentissages ? C’est le but du journal de séquence que met en œuvre Jean-Charles Bousquet, professeur de français au lycée Alexis Monteil à Rodez. Par ce dispositif, l’enseignant invite l’élève à faire le récit de ce qu’il a fait, appris et compris. Le journal comprend diverses rubriques : un lexique ; un article réflexif sur les notions abordées ; un dossier, éventuellement numérique, sur un auteur, des lectures ou un mouvement littéraire ; des productions créatives. Le travail mené éclaire et interroge aussi le « carnet de lecture et de formation culturelle » qu’il s’agira bientôt de tenir au lycée et qui servira de support à l’oral du bac de français : n’y a-t-il pas danger de faire d’un espace de travail un outil d’évaluation ? peut-on concilier autonomie et institutionnalisation ?
Qu’appelez-vous « journal de séquence » ?
Le concept de « journal de séquence » a été présenté lors du « Rendez-vous des Lettres » de novembre 2015, intitulé « Les métamorphoses du récit à l’heure du numérique ». C’est une collègue de l’académie de Lille, Christine de Sainte Maresville, qui l’a défini à cette occasion comme « un support hybride […] dans lequel l’élève consigne, sous toutes les formes écrites (textes personnels, textes à contraintes, images…), son propre cheminement dans l’appropriation d’une séquence d’enseignement en Lettres ». Cet outil m’a immédiatement séduit et j’ai décidé de l’adapter au fonctionnement coopératif de mes classes.
Pourquoi avoir mis en place un tel dispositif ?
Le journal de séquence, par le retour réflexif qu’il impose à l’élève sur ses apprentissages lui permet de mieux les fixer. En s’interrogeant sur ce qu’il a fait ou ce qu’il a compris au cours d’une séance, l’élève donne du sens à ses apprentissages.
Par ailleurs, tous n’adoptent pas les mêmes stratégies pour entrer dans un texte, mettre en œuvre une méthode, mémoriser une notion, …. Leur demander de faire le récit de ce qu’ils ont fait, compris et donc appris dans le cadre d’une séance de cours est un moyen de leur faire prendre conscience de leurs forces et de leurs faiblesses, notamment sur le plan méthodologique.
Enfin, le journal de séquence permet aux élèves de garder une trace de travaux qui n’ont pas toujours une place dans le classeur.de français. Il s’agit par exemple d’écrits de travail qui leur ont permis de s’approprier un texte, du vocabulaire découvert dans le cadre d’une séquence, de travaux de recherche, de créations numériques, …
Quelles sont les modalités de travail pour aider chaque élève à réaliser ce journal de séquence ?
Dans le plan de travail qui leur est distribué en début de séquence, les travaux et activités qui doivent obligatoirement figurer dans le journal de séquence sont précisés. L’élève est cependant libre d’y intégrer tout ce qu’il juge utile. Il peut s’agir d’un compte rendu de lecture personnel, d’un écrit d’invention, des passages d’un texte qui lui ont plu et dont il souhaite garder une trace, d’une lecture expressive, du compte rendu d’une visite au musée,…Le journal de séquence n’étant pas un journal intime, je les consulte régulièrement, au moins une fois par séquence, afin de pouvoir apporter un retour aux élèves, si nécessaire.
Que trouve-t-on précisément dans ce journal de séquence ?
Dans le journal de séquence on trouve au minimum le lexique coopératif de la séquence, un dossier réalisé dans le cadre de celle-ci, un ou plusieurs retours réflexifs sur les temps forts de la séquence. L’objectif du dossier est l’appropriation des notions principales de la séquence. Il peut s’agir d’une enquête sur un auteur, d’un parcours de lecture sur une œuvre, d’une émission de radio, d’une bande annonce littéraire, d’une lecture expressive augmentée, … Les retours réflexifs sont proposés généralement dans le cadre de l’heure d’accompagnement personnalisé ou à l’issue d’une activité importante comme la correction d’un devoir par exemple.
En quoi ce journal est-il à la fois personnel et coopératif ?
Le journal est personnel, chaque élève construit le sien, mais comme certaines productions émanent d’ateliers coopératifs au cours desquels les élèves ont travaillé en groupe, ou pratiqué l’entraide ou le tutorat on peut considérer qu’il est en partie coopératif. C’est notamment le cas des lexiques de chaque séquence élaborés de façon coopérative sur Framapad.
Sur quel support matériel se fabrique ce « journal » ? Peut-il s’articuler avec des productions numériques ?
Le support matériel est laissé au choix des élèves. La seule contrainte est que je puisse le consulter. Une année, j’avais imposé l’application Madmagz à laquelle mon établissement était abonné mais les contraintes de mise en page étaient trop importantes. Aujourd’hui nombreux utilisent le papier, d’autres préfèrent élaborer leur journal à l’aide d’un logiciel de traitement de texte. Plus rares sont ceux qui utilisent des applications en ligne comme Genial.ly. Ceux qui utilisent du papier relient leurs productions numériques grâce à des QR codes.
A l’usage, quels vous semblent les intérêts d’un tel dispositif ?
Il me semble que les élèves prennent mieux conscience de la cohérence des activités qui leur sont proposées dans une même séquence. Cela leur permet d’être plus autonomes dans leur travail, dans la mesure où ils perçoivent mieux les enjeux des différents travaux proposés. Par ailleurs, ils gardent une trace des différentes activités d’appropriation des notions ou des textes étudiés, ce qui participe à leur formation culturelle et intellectuelle.
Avez-vous rencontré des difficultés ?
La principale difficulté est de dégager du temps pour mettre en œuvre les retours réflexifs car il faut qu’ils s’inscrivent dans la continuité des activités analysées sinon les élèves oublient la façon dont elles se sont déroulées, les difficultés qu’ils ont rencontrées, ce sur quoi ils se sont appuyés pour les dépasser, …
Les futurs programmes de lycée appellent à la mise en œuvre d’un « carnet de lecture et de formation culturelle » : quel regard portez-vous sur cette proposition cousine ?
Au premier abord, le concept de carnet de lecture me semble pertinent. Je le situe à la croisée du journal de séquence et du journal du lecteur qui, lui, est né dans l’académie de Toulouse. Je crains cependant quelques dérives car ce carnet de lecture est amené à servir de support lors de l’examen oral de l’EAF. Le fait d’institutionnaliser cet outil risque aussi de l’aseptiser. Les élèves n’y inscriront plus toutes leurs interrogations, leurs remarques parfois abruptes sur lesquelles ils reviennent parfois au fil de l’étude d’un texte. L’enjeu de la démarche ne sera pas vraiment la même. Si le but principal est de faire bonne impression le jour de l’oral du bac, les travaux d’appropriation ou les écrits intermédiaires ne trouveront plus forcément leur place dans ce journal. Par ailleurs, les liens vers les activités numériques ne seront probablement pas lus le jour de l’examen.
A la lumière de votre expérience de « journal de séquence », quels conseils donneriez-vous aux collègues pour réussir à mettre en œuvre ce « carnet de lecture et de formation culturelle » » ?
Il me semble que pour que ce genre de carnet soit efficace, il faut prendre le temps d’expliquer aux élèves en quoi il leur sera utile individuellement, dans la construction de leurs apprentissages. Il est également utile de mettre en place des routines, pour que les élèves prennent l’habitude de travailler avec cet outil à des étapes charnières des différentes séquences. Petit à petit, il est important qu’ils s’en apparent de façon autonome. Pour cela, il convient de leur laisser une grande liberté quant à son utilisation et à la nature des productions qu’ils y consignent. Je ne suis pas certain que cela soit compatible avec son institutionnalisation comme outil d’évaluation.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Présentation vidéo du dispositif