Le jeu vidéo va t-il changer l’Ecole ou l’Ecole va t-elle instrumentaliser le jeu vidéo ? Professeur d’histoire-géographie au collège de l’Europe à Chelles (77) Romain Vincent anime depuis des années la chaine youtube « Jeux vidéo et histoire ». Dans un mémoire de master 2 sciences de l’éducation et sciences du jeu, il analyse l’introduction du jeu vidéo en classe à travers des observations fines des pratiques enseignantes. Il livre ainsi une analyse fine de l’expérience vidéoludique scolaire.
Pourquoi cet intérêt pour le jeu vidéo ?
J’ai un passé de joueur quand j’étais adolescent. Mais tout a vraiment commencé avec ma chaine Youtube « Jeux vidéo et histoire » en 2012. Je me demandais comment avec mes pratiques de recherche en histoire je pouvais analyser le jeu vidéo dans son rapport avec l’histoire. J’ai transféré ce que je découvrais dans ces chroniques dans mes classes. En 2014 j’ai commencé à utiliser le jeu vidéo en classe. Les médias se sont emparés de ces essais. J’étais gêné : je trouvais que ce qu’on disait d emoi dépassait ce qui se passait vraiment en classe. Dès qu’on utilise une pratique jugée innovante ont dit qu’on change l’école alors que ce n’est aps ce qui se passe. Du coup j’ai commencé une recherche sur le jeu vidéo à Paris 13. Je n’avais pas l’idée de montrer que le jeu vidéo est plus efficace qu’une autre pédagogie mais je voulais prendre cette question sous l’angle des pratiques des enseignants, voir ce que font les autres. Cette enquête est la base de ce mémoire.
On entend souvent dire que le jeu vidéo motive les élèves surtout ceux de cette génération. Qu’en pensez vous ?
Evidemment j’entends la référence au fameux mythe des digital native qui reste encore populaire. Mais quand j’observe mes élèves je vois bien qu’ils ne sont pas tous joueurs de jeux vidéo. Cette pratique est très genrée. Surtout les pratiques de jeux sont très différentes selon les élèves. Si je prends certains jeux avec contenu historique comme Civilization , ou encore des jeux de gestion, je vois que ce sont des élèves de milieu plutôt favorisé qui les utilisent.
Mais pour en revenir à la question de la motivation, effectivement quand j’annonce un jeu vidéo les élèves réagissent positivement. C’ets l’effet « waouh ». Mais le jeu est vite rattaché à un travail très scolaire. L’enseignant veut que l’apprentissage soit visible. Et là certains élèves sont remis face à leurs difficultés. Par ailleurs il n’y a pas de consensus sur l’impact de la motivation sur les apprentissages. On peut apprendre sans.
On dit aussi que le jeu vidéo permet un apprentissage autonome…
C’est un grand fantasme pédagogique. Qu’apprend-on en jouant ? ON apprend à jouer. Avec des jeux historique son peut apprendre le scénario fictif du jeu. Les deux, le game play et le scénario, prennent déjà beaucoup de place cognitive. Le joueur est pris par eux il n’a pas de ressources pour les apprentissages en histoire.
On parle d’ailleurs rarement du game play alors que les joueurs ne voient que lui. Au point qu’en histoire, comme il n’apporte pas d’apprentissage, on le laisse à la porte de la classe. Par exemple dans la version éducative d’Assassin’s Creed, le joueur se pose devant les monuments de l’Egypte antique et le jeu se borne à une visite guidée en forme de cours magistral. Pour Ubisoft, pour rendre un jeu éducatif il faut lui enlever tout l’aspect ludique.
Vous écrivez : « ce n’est pas le jeu qui favorise l’apprentissage scolaire mais l’activité qui l’entoure ». Que voulez vous dire ?
J’observe qu’il y a toujours, après l’utilisation du jeu vidéo en classe, un débriefing avec un travail scolaire à faire. Si le jeu était vraiment éducatif on n’en aurait pas besoin.
C’est valable aussi pour les jeux de simulation ?
Le problème de ce type de jeu c’est que quand ils se rapprochent beaucoup de la réalité la part d ejeu disparait. Par ailleurs ils ne sont pas adaptés au temps de la classe. On pourrait sans doute travailler certaines compétences avec un jeu comme Civilization. Mais son utilisation n’entre pas dans notre temps scolaire divisé en séquences de 55 minutes.
Le jeu vidéo change la posture de l’enseignant ?
Même avec un jeu vidéo, l’enseignant reste le détenteur du savoir. J’ai observé que dans les cours où on utilise Minecraft en technologie, l’enseignant est sur-sollicité durant les séances et aps seulement pour une aide technique. Les élèves cherchent toujours la validation de l’enseignant. En histoire c’est encore pire puisqu’on transforme le jeu en document.
Vous écrivez que « l’Ecole change le jeu et non l’inverse ». Que voulez vous dire ?
Les enseignants savent à quel point leur activité est instable et peut évoluer au gré des circonstances. Ils savent qu’ils ne font jamais deux fois le même cours. Or l’instabilité est aussi un problème des activités ludiques. C’est même l’intéret du jeu. Faire jouer ses élèves c’est ajouter de l’instabilité à l’instabilité. Du coup, pour rendre la situation moins instable, les enseignants limitent la partie ludique du jeu vidéo. On parle de ludification. Mais en réalité on voit surtout une dégamification. On appauvrit le jeu dès qu’il rentre dans la salle de classe.
Propos recueillis par François Jarraud