Vitrine du numérique éducatif avec ses 111 « lycées 4.0 », la région Grand Est (les académies de Reims, Nancy-Metz et Strasbourg) essuie les plâtres d’un nouvel ENT. Selon les syndicats le passage au nouvel espace numérique de travail (ENT) se passe mal, voire est vécu comme « une régression » avec par exemple le retour aux anciens logiciels de vie scolaire. Interrogés, eux aussi, par le Café pédagogique, la région et l’éditeur de l’ENT préfèrent parler du projet exceptionnel d’un ENT pour toute une grande région…
Un ENT pour tous les établissements d’une grande région
Effectivement le nouvel ENT, « Mon bureau numérique » (MBN), édité par Kosmos, est quelque chose d’exceptionnel. Le conseil régional a décidé d’uniformiser l’ENT à l’échelle de la grande région et les départements sont eux aussi entrés dans le projet. Résultat : l’ENT concerne 635 établissements, collèges et lycées et près d’un million d’utilisateurs. Après un appel d’offre gagné en mars 2018, Kosmos a du fournir le service à la rentrée en quelques mois seulement.
Mais pour les syndicats, le résultat n’est pas à la hauteur des attentes. Le Sgen Cfdt Alsace dénonce « une baisse de la qualité de service » et parle d’une « véritable régression » par rapport à l’ENT précédent. Le syndicat appelle même la région à dénoncer le contrat avec Kosmos. Du coté du Snes Fsu , on n’est pas plus tendre : l’application n’est pas opérationnelle », estime le syndicat.
La vie scolaire en péril
Ce qui motive une telle colère, c’est l’importance des dysfonctionnements. D’abord sur la vie scolaire. « Les CPE ne peuvent plus accéder aux emplois du temps des élèves ou des enseignants », raconte le Sgen Cfdt. L’ENT ne permet plus de suivre un élève dans la durée. « De nombreuses fonctionnalités indispensables manquent à l’appel », explique le Sgen Cfdt, comme par exemple la consultation des emplois du temps par les professeurs.
Des incidents comme ça, Séverine Charret, co-secrétaire académique du Snes Alsace, et Marc Bozer , membre du secrétariat académique, en ont vu d’autres. « De parents furieux débarquent dans les établissements car on leur a signalé 30 demi journées d’absence alors que ce n’est pas le cas. Des élèves signalés présents sont absents ce qui est aussi problématique ».
Déconnexions intempestives vs saisie des notes…
Les syndicats dénoncent aussi les déconnexions intempestives. Elles arrivent particulièrement lors des heures de pointe par exemple le matin quand tout le monde fait l’appel ou le dimanche soir quand les parents consultent le cahier de textes. Pour S Charret la saisie des notes va être difficile du fait de ces déconnexions. « Le professeur qui aura passé deux heures à saisir ses appréciations et qui les aura perdues dans ne déconnexion sauvage ne se remettra pas au clavier ». Autre motif d’inquiétude pour les conseils de classe, selon le Snes Alsace : le transfert des notes de l’ancien ENT au nouveau ne se fait pas bien. Le Snes signale aussi des problème de sécurité .
Résultat, Laurent Gomez, secrétaire général du Sgen Cfdt Alsace, met en cause la qualité du cahier des charges. « L’outil n’est pas fait pour une région académique », estime t-il. « Le cahier des charges est trop léger ». Dans une lettre envoyée ays présidents des collectivités locales, S. Charret demande « que l’Education nationale s’affranchisse d’un outil développé par une société privée ». Elle demande aussi que « les collectivités prennent en charge le cout supplémentaire du recours à une solution alternative et fonctionnelle ». Depuis octobre, date de cette lettre, « rien n’a changé « , estime t-elle.
« L’ENT est aussi un outil pédagogique »
Interrogée par le Café pédagogique, Kosmos reconnait « des difficultés sur le service des absences pour l’académie de Strasbourg » que la société est en train de régler avec l’appui d’un groupe de travail local. La vie scolaire fonctionnerait très bien dans les autres académies. Elle n’a pas d’explication sur ces dysfonctionnements mais estime que « les choses sont en train de se régler ». Kosmos préfère parler du caractère ambitieux du projet de cet ENT « qui ne se résume pas à la vie scolaire ».
« C’est un projet unique » par sa taille, dit aussi Jean-François Vendramini, chef du service Numérique éducatif de la région Grand Est. Il reconnait des difficultés sur lavie scolaire, liées notamment au fait que l’ENT n’a pas prévu qu’il puisse y avoir plusieurs CPE dans un établissement. Mais pour lui les difficultés sur la vie scolaire dans l’académie de Strasbourg sont un peu le contre coup de l’obligation qui a été faite aux établissements de prendre l’ENT pour gérer leur vie scolaire. « L’ENT n’était pas opérationnel à 100% à la rentrée et les établissements appréhendaient de devoir changer d’ENT tous les 4 ans. On n’avait pas anticipé cela ». Il défend aussi le cahier des charges « contraignant » dont 800 « points de controle » ont été fixés par les autorités académiques.
« On a conscience des difficultés liées à la vie scolaire. Mais on ne peut pas réduire l’ENT à cela. C’est un outil pédagogique », rappelle t-il. « Il faut mettre les chose à leur bon niveau ». Il attire aussi l’attention sur le risque de quitter les ENT pour des services des Gafam. « L’ENT est une chance et protège les élèves. Il ne fait pas donner une importance exagérée aux problèmes actuels ». Avec les bulletins du 1er trimestre et le transfert des notes pour Parcoursup, le test final de l’ENT se rapproche…
François Jarraud