31 octobre 2018 – Que penser des plans de lute contre la violence scolaire ? Est-on trop laxistes ? Quelles mesures sont efficaces ? Maître de conférences à l’Université Paris-Est et directeur de l’Observatoire Universitaire International Education et Prévention, Benjamin Moignard travaille depuis des années sur la violence scolaire. Pour lui, le débat sur la violence scolaire est mal posé en France et traduit surtout le ressenti des enseignants qui ne sont pas reconnus dans leur expertise.
Peut-on estimer le niveau des sanctions disciplinaires en France par rapport à d’autres pays ?
On dispose de quelques comparaisons internationales. Par exemple sur les exclusions temporaires, en France on a une moyenne de 4 à 6 élèves par jour par établissements ce qui est deux fois plus qu’aux Etats-Unis ou au Canada. Il y a aussi des pays où cette mesure n’existe pas comme en Suède ou en Espagne. Si on regarde les heures de colle, en France la moitié des collégiens signalent en avoir eu dans l’année. C’est seulement un quart des élèves en Angleterre, 22% en Allemagne, 18% en Espagne. On a bien en France un niveau de sanctions élevé par rapport aux autres pays.
L’idée de laxisme est fausse ?
On a un recours important aux sanctions. Mais c’est aussi très concentré dans certains établissements. Globalement c’est davantage dans l’éducation prioritaire. Mais certains établissements à recrutement favorisé, y compris dans le privé, ont aussi des chiffres importants de sanctions. Le lien avec le milieu social n’est pas établi par la recherche.
Comment expliquer que des enseignants ressentent un bas niveau de sanctions ?
Selon une étude auprès de 18 000 personnels, 83% des chefs d’établissement estiment que la discipline est bien appliquée dans leur établissement mais seulement 45% des enseignants. L’écart est fort !
Je pense que beaucoup d’enseignants sont en demande de solidarité des équipes de direction. Ils ont le sentiment de ne pas être soutenus par leur hiérarchie et le régime des sanctions est une manière de témoigner de cette solidarité. Des chefs d’établissement m’ont dit que l’usage des exclusions temporaires est contre productif mais qu’il permet de rassurer les enseignants sur le fait que la difficulté de leur tâche est entendue.
On sait aussi que certains enseignants concentrent les sanctions : 15% des enseignants formulent 80% des demandes d’exclusion temporaire. Il y a chez certains professeurs de l’épuisement et aussi des difficultés relationnelles avec la direction. Comme il y a peu d’espace d’expression avec elle cela se porte sur les sanctions.
Mais cette question des sanctions cristallise aussi un débat pédagogique qui est très animé en France entre les tenants d’une politique très répressive et un autre courant plus enclin à chercher des solutions éducatives. On a du mal à sortir du clivage laxistes contre sécuritaires.
Dispose t-on de textes adaptés pour faire face à la violence scolaire ?
On a un arsenal de mesures bien adapté dans le Code de l’éducation avec une articulation entre la répression et l’éducation. Chaque plan de lutte contre la violence scolaire tend à renforcer les sanctions. Et certains enseignants voient cela comme une amélioration. Mais on a déjà tout un arsenal répressif. La question c’est comment au quotidien la sanction devient un outil éducatif. Or les enseignants ne sont pas formés pour cela.
On a aussi tendance à mettre tout sur le même plan. Le professeur agressé ce n’est pas du même registre que l’élève insolent. On réduit l’enjeu des sanctions à du sécuritaire alors que la sanction efficace est éducative. Il faut un usage modéré de la sanction pour avoir de l’efficacité.
L’usage routinier des sanctions est un signe d’un sentiment de manque de solidarité de la direction ressenti par les enseignants. Cela relève des difficultés relationnelles entre adultes. I y a un lien net entre la dégradation de cette relation et le niveau des sanctions.
Le ministre annonce un nouveau plan de lutte contre la violence scolaire. C’est le premier ?
Depuis les années 1990 jusqu’en 2012 tous les ministres en ont fait. Ils ont tous la même logique : augmenter l’arsenal répressif, mettre en place des dispositifs techniques de protection des établissements et créer des personnels spécialisés. On pense la violence comme extérieure à l’établissement, comme l’intrusion de la violence de la société dans l’école. Ces phénomènes existent. Mais ce n’est pas le quotidien de la violence à l’école. Les vrais enjeux sont ailleurs : stabiliser les équipes, créer des collectifs enseignants, travailler la justice scolaire. A chaque fois ces plans vont sur le sécuritaire et esquivent ces questions de fond.
Simplifier les conseils de discipline ou mettre la police dans l’école ce sont de bonnes réponses ?
Evidemment dans les situations graves, comme ce qui s’est passé à Créteil, la réponse relève de la police et la justice : il faut une plainte et une enquête. Mais globalement cette mesure relève de la surenchère sécuritaire et est contre productive. La police dans les écoles a déjà été expérimenté. Des pays l’utilisent. On sait que c’est anxiogène aussi bien pour les parents, les élèves que les enseignants. C’est peu adapté au quotidien des établissements. Enfin les policiers sont rétifs : ils disent que ce n’est pas leur travail. Les enseignants sont plutôt en demande d’appui à leur travail que favorables à cette mesure.
Les laxistes sont ceux qui ne se préoccupent pas de l’efficacité de la sanction. Si on veut être efficace commençons par renforcer les collectifs enseignants et la cohésion des équipes. Outillons les enseignants pour affronter collectivement les situations difficiles.
Que pensez vous sur le phénomène #pasdevagues ?
Il faut être prudent sur certains contenus. Mais globalement cela témoigne d’un malaise bien installé chez certains enseignants. Ca renvoie à leur infantilisation par l’institution scolaire qui ne leur reconnait pas leur statut de cadre. Les mesures annoncées sont loin de cette question pourtant centrale.
Propos recueillis par François Jarraud