« Notre approche n’a rien d’idéologique. La question n’est pas d’être pour ou contre la punition, mais d’en montrer les difficultés et les insuffisances en ce qui concerne la question de la violence à l’école et du climat scolaire ». Spécialiste de la violence à l’école, délégué ministériel à la lutte contre les violences scolaires sous deux présidents, Eric Debarbieux apporte dans son nouveau livre « L’impasse de la munition, Armand Colin) des données uniques (et surprenantes !) sur la réalité des punitions dans l’école française. A contre courant des dénonciations du laxisme qui sévirait à l’école, il en montre l’importance. Il établit aussi leurs retombées négatives sur la vie quotidienne dans les écoles. Il en tire la conclusion : il y a d’autres façons de gérer les relations dans les écoles dont certaines ont déjà été évaluées et expérimentées à grande échelle. La seconde partie de son ouvrage propose des contributions pour d’autres façons de gérer la vie quotidienne de l’école, de Freinet aux pratiques de justice restaurative.
« Comment s’étonner… du découragement qui monte chez les personnels… quand la discipline, qui est une base de la pédagogie, quand la dynamique des groupes, qui est une base des rapports humains, quand le geste banal de sanctionner un enfant ou un élève, quand la gestion des conflits ne font l’objet d’aucune formation; lorsque seule la formation disciplinaire importerait pour faire de bons enseignants d’après une idéologie qui a pignon sur rue et qui détruit profondément l’école et ses élèves ? »
Il faut lire le livre d’E Debarbieux déjà pour découvrir ses statistiques sur les punitions à l’école. C’est un sujet qu’il travaille depuis 30 ans. En s’appuyant sur quelques enquêtes récentes, il dévoile la réalité de l’ordre scolaire du quotidien. L’école « est loin d’être ce grand foutoir que l’on se plait à décrire », dit-il. A l’école 12% des élèves sont punis 3 ou 4 fois dans l’année, 16% plus de 4 fois. On collège c’est pire : 12 et 26%. Les deux tiers des collégiens sont punis au moins une fois.
Il y a aussi les types de punition. A l’école, la privation de récréation reste la punition la plus répandue (28%). Les lignes (16%), la mise au coin (11%) n’ont pas disparu. D’ailleurs les lignes sont encore très présentes au collège (20%) tout comme les punitions collectives (7%). L’exclusion temporaire est aussi massive (8% des punitions).
Ses enquêtes montrent aussi que cela crée fort sentiment d’injustice. Ainsi dans les collèges de l’éducation prioritaire 45% des élèves jugent les punitions injustes ou très injustes. Un taux moyen qui varie selon les établissements , tout comme le taux de punitions (de 7 à 64% pour des collèges identiques !).
Le livre montre comment les punitions contribuent à « la fabrique des garçons » et encouragent les transgressions plus qu’elles ne les découragent. Comment aussi se construit coté adulte l’identité du « mauvais élève » qui reste à peu près indécollable.
D’où la recherche de solutions menées dans le cadre d’un projet d’action contre le décrochage et le harcèlement dans 3 académies, le projet Adhere. L’ouvrage nous offre un vaste panorama, écrit à plusieurs mains, qui vont de la discipline coopérative à la communication non violente en passant par la discipline positive, le développement des compétences psychosociales ou l’école de Palo Alto.
On adhèrera ou pas à l’une ou à l’autre. Le livre aura toujours apporté une information précieuse sur le volume des punitions et leur inefficacité dès qu’elles cessent , dans tous les sens, d’être exemplaires. A vrai dire les enseignants savent cela. Mais ils restent désarmés. L’ouvrage leur fait découvrir des propositions pour gérer les élèves sans naïveté dans une perspective éducative.
Eric Debarbieux : « Les punitions ne font ni apprendre ni former des individus épanouis »
Eric Debarbieux revient sur quelques points du livre, notamment l’importance des punitions et les problèmes qu’elles génèrent. Mais que faire ?
Dès le début du livre, vous dites : « on n’est pas en mai 68 ». L’école n’est pas laxiste ?
Dès le début des années 1970, un sociologue avait travaillé sur les punitions dans les années qui ont suivi mai 68 et montré qu’elles avaient augmenté , notamment les colles. Ce qui se jouait en fait c’était l’ajustement du secondaire à un nouveau public, celui de la massification.
L’idée du livre n’est pas de dire que la punition c’est mal. C’est de montrer qu’elle est contreproductive.
On voit se perpétuer des punitions que je croyais disparues : la mise au coin, les lignes. Elles sont pourtant interdites.
Les lignes sont en principe interdites depuis 1895 ! On était encore dans « l’instruction publique » et dans l’école de Ferry que certains présentent en modèle d’autorité. Dans les années 1990, elles représentaient 38% des punitions. Elles sont tombées à 20%. On est dans la baisse de certaines punitions. Par exemple les châtiments corporels. Ils baissent d’ailleurs dans le monde entier. Dans les années 1990 la moitié des élèves disaient avoir vu frapper un camarade.
Mais il y a une grande hypocrisie du système. Officiellement au primaire la seule punition c’est l’isolement de l’élève avec le maître. Sauf que pendant ce temps il faut bien s’occuper des autres élèves ! Alors on se débrouille et généralement on fait comme on a été traité petit. On n’est ni dans le laxisme ni dans le sadisme. Mais il est temps de réfléchir à d’autres solutions.
Vous montrez que les punitions sont inégales donc injustes ?
Faire de la justice avec des punitions mal pensées c’est aller dans le mur. Les chiffres montrent par exemple une grande différence entre garçons et filles. Au collège 40% des filles ne sont jamais punies contre 24% des garçons. Cela développe un sentiment d’injustice et participe de la construction de la violence d’un certain nombre de garçons. Le problème n’est pas de supprimer les punitions. Le problème c’est qu’on punit mal. Le trop plein de punitions nuit à l’ordre dans la classe et augmente le ressentiment. On entre dans un cycle transgression – répression que beaucoup d’enseignants connaissent. Tous les travaux montrent que les punitions ne font ni apprendre ni former des individus épanouis.
Il faut aussi souligner l’importance des exclusions temporaires au collège. Benjamin Moignard a pu montrer que dans un département cela représente un « collège fantôme » tous les jours ! Cela a un impact sérieux en terme de sécurité et aussi de santé publique.
Vous dites que ces exclusions sont devenues « un outil de régulation interne » du système. Que voulez vous dire ?
On ne sait pas trop quoi faire avec les élèves difficiles notamment ceux qui ont des troubles du comportement. On ne sait pas les aider et on laisse les établissements se débrouiller. L’application de la loi de 2005 pose ce genre de problème. Tout le monde le dit sur le terrain. Il y a de grands besoins de formation à ce sujet. La réforme des Espe avec un recentrage sur le français et les maths ne vas résoudre le problème. Il en faut pas seulement des savoirs disciplinaires pour enseigner. Toutes les enquêtes montrent que les professeurs ont besoin de savoirs comment gérer les élèves difficiles.
Aujourd’hui on voit la montée des conflits d’équipe autour de ces questions de discipline. Elles tournent parfois en conflits de personnes envers les principaux ou les CPE, ou entre un directeur et ses adjoints. Il y a beaucoup de souffrance.
Comment rétablir l’autorité des maîtres ?
Le problème n’est pas de rétablir car c’est une conception du pouvoir. On individualise les difficultés et de fait l’institution n’institue pas assez. Pour une réponse efficace il faut un collectif. Quand il n’y a pas d’équipe d’adultes ou quand elle est conflictuelle, l’enseignant reste isolé dans sa classe. Que peut-il faire ?
C’est pour répondre à cette question que le livre propose des solution qui viennent de la pratique , comme Freinet ou la classe coopérative ou la discipline positive. Toutes font du groupe classe un appui et non un obstacle. Ce sont de vraies réflexions pédagogiques , des formes de prévention très construites qui évitent de recourir à des punitions non productives.
Ce livre veut être un carrefour qui propose différentes directions venues du terrain. Il n’y a pas de solution miracle. Mais on peut améliorer les choses en puisant dans ces boites à outils et en posant les questions de la formation et du travail en commun.
Propos recueillis par François Jarraud
Eric Debarbieux (dir), L’Impasse de la punition à l’école. Des solutions alternatives en classe. Armand Colin. 2018. ISBN 978-2-200-62214-5.