« Comparé à d’autres modèles éducatifs, y compris ceux de nos proches voisins européens, le système français se montre particulièrement efficace pour dégager une élite », rappelle la sociologue Agnès Van Zanten dans le Journal du CNRS. « Tout le discours de l’école française repose sur l’idée que, pour atteindre cette excellence, l’environnement social et familial des élèves importe peu. Seuls comptent les efforts que l’on fournit en classe… En privilégiant un enseignement plus soucieux de fabriquer une élite que de faire acquérir à tous les élèves un socle commun de connaissances, notre système éducatif répond mal à la massification de l’accès à l’enseignement secondaire et supérieur. Chaque année, environ 20 % des jeunes quittent l’école sans diplôme ni qualification, 23 % des élèves des filières professionnelles échouent au CAP, 26 % au BEP, et autant d’étudiants ou presque abandonnent leurs études supérieures. Ce taux d’échec élevé charrie beaucoup de frustration, de fatalisme et de doutes sur leur valeur personnelle chez celles et ceux qui sont ainsi mis de côté et se sentent condamnés à rester dans les strates inférieures de la société », souligne t-elle.
A Van Zanten rappelle que « les enfants de cadres sont deux fois plus souvent diplômés du supérieur que les enfants d’ouvriers, même si le système a tendance à nier l’impact du milieu socio-économique sur les performances. Selon les enquêtes Pisa (Programme international pour le suivi des acquis), la France est un des pays les plus inégalitaires de l’OCDE, un de ceux où le déterminisme social est le plus fort ». La ségrégation sociale est aussi forte dans l’Ecole. « En moyenne, les collégiens et lycéens d’origine aisée comptent dans leur classe deux fois plus de camarades également favorisés que ceux des classes moyennes et populaires… Une masse de travaux montre pourtant que la mixité tire les plus faibles vers le haut sans pénaliser les plus forts, pourvu que les enseignants aient appris à gérer les différences de niveau entre les élèves et que cet écart ne soit pas maximal ».
Elle montre comment l’orientation scolaire joue un rôle dans le déterminisme social à partir de l’exemple de la procédure post bac. » Dans les bons lycées en général, et dans les classes scientifiques en particulier, les élèves ont appris à se débrouiller dans le labyrinthe des formations. Ils arrivent à bien discriminer les sources (sites officiels, blogs…), à estimer la valeur réelle de ce qui leur est proposé, à identifier ce qui relève du discours publicitaire (nombre d’écoles s’autoproclament « numéro un » dans un domaine)… Ils font cela très vite, individuellement, de manière réfléchie. Les élèves des milieux populaires, dont certains n’ont pas d’ordinateur personnel, sont bien moins armés face à ce genre d’exercice, consultent moins de sites et s’appuient beaucoup sur ce que font leurs camarades ».