« Ce tableau vous est proposé en audiodescription par les 4èmes du collège Vauguyon au Mans. » Leur professeur de français, Jean-François Gaulon, les a en effet amené.es à réaliser des audiodescriptions picturales : des enregistrements audio décrivant ou racontant des tableaux à destination de personnes malvoyantes. Ce travail original permet de s’approprier, en les partageant, des connaissances en histoire de l’art et en histoire littéraire, par exemple autour du fantastique, du romantisme ou du naturalisme. Les élèves doivent chercher et analyser, écrire et dire, enregistrer et monter leurs créations, développant aussi autonomie, compétences collaboratives et même engagement citoyen. Et si on donnait sens au travail de l’oral en lui donnant un vrai destinataire ?
Comment cet étonnant projet a-t-il germé ?
Le constat porté a été le suivant : de multiples études picturales sont souvent proposées dans de nombreux manuels de français et nous les intégrons bien volontiers dans nos progressions de chapitres, mais comment transformer ces études, qui parfois se limitent à l’émergence de connaissances historiques et de capacités descriptives écrites, en un projet plus vaste, à vocation concrète ? Travaillant avec des élèves dont la difficulté dans le passage à l’écriture est un constat visible, mon point de vue a été celui de me servir de cette difficulté comme d’un tremplin vers une réalisation orale à objectif associatif. Cela permet un apport de sens significatif à la production apprenante tout en travaillant avec acuité sur les attendus de fin de cycle 4 dans le domaine de l’Histoire des Arts.
A la suite du premier travail effectué, la réalisation d’une audiodescription portant sur un tableau romantique, les élèves se sont révélés riches de questions et avides de découvertes sur la thématique de la malvoyance ou de la non-voyance.
C’est pourquoi la poursuite du projet et même son expansion ont été décidées, allant jusqu’à la rencontre d’associations spécialisées dans la prise en charge de personnes atteintes de troubles visuels.
Selon quel cadre d’organisation le projet est-il mené ?
Le projet a germé et s’est opéré au niveau 4ème grâce au soutien sans faille de la professeure-documentaliste du collège, Nathalie Dufumier, qui nous offre la possibilité de dédoubler la classe sur les heures souhaitées, prenant en charge la deuxième partie du groupe classe. Le début d’année a permis de commencer ce type de travail en demi-groupes, offrant un meilleur suivi de l’avancée des élèves dans leurs descriptions. Il faut en moyenne trois à quatre heures de cours pour parvenir à une audiodescription finalisée, en comprenant le rappel des attentes en commun, des modalités d’écriture et de lecture. L’on pourra compter une demi-heure supplémentaire pour chaque groupe de deux élèves afin de rajouter les bandes sonores nécessaires sur les pistes enregistrées.
Quel matériel utilisez-vous ?
Dans le souci de réduire les coûts liés à cette activité, nos matériels d’enregistrement ont longtemps été deux enregistreurs personnels, un smartphone pédagogique (sans carte sim) et l’ordinateur fixe de la salle de classe. Grâce à ces quatre supports d’enregistrement, les élèves bénéficient d’une grande liberté de travail puisqu’ils peuvent procéder à leur enregistrement par eux-mêmes, en autonomie parfaite (notamment en se dégageant du regard enseignant ou de celui – parfois scrutateur – des pairs), autant de fois qu’ils le souhaitent. Ils n’enregistrent donc que lorsqu’ils se sentent prêts, sans avoir le sentiment d’être jugés au moment de la lecture oralisée. L’enseignant peut réécouter l’enregistrement avec les élèves afin de leur conseiller un réenregistrement ou des améliorations ponctuelles.
Comment s’opère le choix et la répartition des tableaux abordés ?
Les tableaux sont choisis selon les thèmes abordés en classe de 4ème : fantastique, réalisme, naturalisme… Autant de thématiques bien connues des professeurs de français enseignants à ce niveau.
Avez-vous trouvé des modèles d’audiodescriptions ?
La première difficulté rencontrée a été le manque d’audiodescriptions picturales collégiennes sur internet… L’audiodescription est aujourd’hui un vrai métier, il est possible d’en écouter ou d’en découvrir via des sites professionnels ou institutionnels comme via le Musée du Louvre. S’il existe de multiples projets audiodescriptifs pédagogiques consacrés au cinéma ou à des reportages, aucune production oralisée ne s’est présentée concernant audiodescription de tableaux. Il a donc été impossible d’en effectuer une présentation aux élèves. Cela aurait permis d’établir les attentes claires d’un tel travail. La première production enregistrée a donc été une plongée dans l’inconnu. Cependant, l’objectif dégagé en priorité par les élèves a été de réaliser une audiodescription beaucoup plus humanisée que la plupart des propositions mécaniques, réalisées par logiciels. C’est dans cet esprit que nous avons entamé nos premiers enregistrements.
Quelles sont les consignes et modalités de travail pour écrire les descriptions de tableaux ?
Les consignes ont varié depuis les premiers travaux proposés. Lors de notre travail inaugural consacré au romantisme, l’accent avait été porté sur la formulation et la syntaxe propres à une audiodescription de qualité : éviter les répétitions et formuler ses phrases à partir de ce que l’on voit plutôt que d’utiliser des verbes de perception rébarbatif (voir et remarquer notamment) dont la répétition serait malvenue et heurterait l’oreille.
Lors de notre second travail lié au fantastique, l’objectif a plutôt été de faire émerger du tableau une histoire logique et cohérente face aux éléments décrits, afin de faire preuve de qualités narratives et de mieux faire « ressentir la scène » à la personne malvoyante, en proposant une immersion propre au récit. C’est à cette occasion que les premiers montages audio ont été effectués.
Enfin, la troisième expérience a eu pour sujet le naturalisme, et a été davantage consacrée à des travaux décrits comme « prototypiques », axés sur une recherche biographique de qualité, quoique succincte, ainsi que sur une description la plus fine possible, entrant dans les moindres détails de l’œuvre (permettant ainsi un grand travail différencié sur le vocabulaire). Enfin, le travail de montage audio est, cette fois, laissé à la liberté totale de chaque groupe d’élèves.
Il est à noter que chaque groupe d’élève possède un tableau unique que nul autre groupe ne possède dans la classe, ce qui permet la diversité des productions, ainsi qu’au besoin, une approche différenciée du travail demandé.
Comment s’opèrent enregistrement et montage audio ?
Lors des deux premiers enregistrements, le montage était effectué par les soins de l’enseignant. La démonstration en a été faite lors de la deuxième session d’enregistrement. Une formation de deux heures a eu lieu sur Audacity : des pistes enregistrées par les élèves ont été manipulées et modifiées en guise d’exemples devant la classe entière. Les élèves vont alors pouvoir modifier leurs productions afin que l’enseignant récupère définitivement leur propre travail, qu’ils auront mené en intégralité. Les pistes utilisées pour sonoriser les audiodescriptions sont libres de droit, une notion qu’il est toujours bon de retravailler avec les élèves. Ainsi, plusieurs bibliothèques de sons libres de droit leur sont conseillées et sont parcourues avec l’enseignant à l’image de Freesound.org, qui a le mérite inattendu de leur faire travailler le lexique anglais.
En quoi une telle activité vous parait-elle enrichissante pour les élèves ?
Elle a pour mérite de favoriser le travail en équipe, et surtout le travail structuré ; ce qui permet déjà de se préparer pour les oraux de brevets. L’autonomie et l’organisation en binômes sont des critères de réussite importants et les apprenants l’ont bien compris. Préparer l’oral de manière minutieuse : savoir se répartir la lecture à effectuer, ou encore s’entraîner face à son camarade et en accepter l’avis ou les remarques, voire en discuter la valeur : autant de compétences et de savoir-faire qui se pérennisent à chaque nouvelle session de travail. De plus, alors que nous travaillons régulièrement à la manière d’enregistrements radios, les enfants découvrent qu’il n’y a pas d’improvisation dans les métiers liés aux médias et à la production audio-vidéo, une préparation minutieuse est toujours nécessaire. Et cette préparation est nécessairement liée à des compétences de langue.
Du côté des acquis, on ne saurait mettre de côté les savoirs savants : biographies, courants artistiques voire littéraires… autant d’acquisitions qu’il faut veiller à ne pas laisser se dissoudre dans la production elle-même, beaucoup d’enfants peinant à conserver une trace mémorielle claire de ces savoirs au détriment du travail finalisé. La principale raison en est le grand effort consenti par nombre d’entre eux envers la lecture oralisée de qualité.
Rappelons également que l’expérience globale du projet, s’appuyant sur la dimension citoyenne de ce travail, amène à des acquis positifs : la découverte du handicap visuel sous toutes ses formes est une expérience motivante et pérenne pour des apprenants avides de découverte.
Quels échos avez-vous déjà reçus de ces audiodescriptions ?
Les échos sont plutôt positifs : elles ont reçu un accueil enthousiaste de la part de l’AVH, l’Association Valentin Haüy, notre partenaire sur ce projet, qui se propose de faire essayer ces audiodescriptions à ses membres malvoyants et non-voyants. A terme, ces productions seront également proposées dans un cadre scolaire aux établissements de la ville, spécialisés dans l’accueil des élèves atteints de troubles visuels. Cela pourrait amener, par la suite, à développer un nouveau partenariat inter-établissement.
Quelles sont précisément les suites que vous envisagez de donner à ce travail ?
Tout d’abord, ce travail se poursuit jusqu’à la fin de l’année au travers de nouvelles audiodescriptions, mais en proposant une réelle variation de supports : l’audiodescription s’effectue sur des BD, des films… Les sixièmes seront également initiés à l’audiodescription sur bandes dessinées, via une phase de tutorat organisée grâce aux élèves de quatrième, durant les cours de français : la découverte et la remédiation entre pairs est ainsi la pierre angulaire du second temps de travail.
Enfin, l’un des moments les plus attendus de ce dispositif reste la préparation et la rencontre avec des bénévoles de l’association AVH. Via des questions que les élèves transformeront en reportages et en interviews à ajouter à la radio du collège (grâce à leur maîtrise d’Audacity), ou encore via des conseils portés par les bénévoles malvoyantes et non-voyantes auprès des élèves sur leurs productions, cette rencontre prévue en deux temps promet de beaux échanges et une réelle avancée autant pédagogique que culturelle.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Présentation sur le site du collège
Exemples sur le site du collège