» Le rôle de l’école est désormais universellement reconnu comme décisif, notamment dans le déploiement de la politique globale de promotion de la santé défendue par l’OMS, comprenant à la fois la prévention, la protection et l’éducation à la santé », affirment Christine Cordoliani, Véronique Eloi-Roux et Gérald Chaix, coordonnateurs du numéro 157 d’Administration et Education., la revue de l’ association française des acteurs de l’éducation. Une reconnaissance qui pèse sur l’école soumise aux impératifs de santé publique, mais aussi aux pressions des lobbys médicaux et para médicaux et aux stratégies parentales. Ces nouvelles obligations imposent à l’école une mutation culturelle comme le montre la montée du thème du bien être à l’Ecole.
Une évolution favorable
Que sait-on de la santé des élèves français ? Nathalie Guignon (Depp) rappelle que celle ci est mesurée régulièrement à travers un échantillon important d’élèves (par exemple 30 000 en maternelle). » Les enfants sont, dès leur plus jeune âge, concernés par les problèmes de surpoids et d’obésité, près d’un élève de 5-6 ans sur huit est en surcharge pondérale (12 %) et 3,5 % sont obèses. En CM2 comme en 3e, environ un élève sur cinq (18 %) présente un excès pondéral et près de 4 % sont en situation d’obésité », observe t-elle. La relative bonne nouvelle c’est la stabilité de ces données depuis 2000. » Des améliorations sont également observées en matière de santé buccodentaire sur les trois niveaux scolaires. Ainsi, en 2012-2013, 10,5 % des élèves de grande section ont au moins deux dents cariées contre 15 % en 1999-2000. Au CM2, cette proportion est passée de 33 % à 18 % entre 2001-2002 et 2014-2015. Chez les collégiens de classe de 3e, elle s’élève à 30% en 2008-2009 contre 34,5 % en 2004-2005. De même la vaccination progresse.
Le mal être et l’école
Mais » Ces évolutions favorables doivent cependant être nuancées, car pour tous les niveaux scolaires la plupart des indicateurs témoignent d’une situation contrastée selon l’origine sociale de l’élève », ajoute-elle. Un enfant d’ouvrier risque deux fois plus l’excès pondéral que l’enfant de cadre en CM2. Même écart pour la santé bucco dentale.
Agnès Florin, André Canvel, Pierre Pilard et Omar Zanna synthétisent les connaissances sur le bien être des élèves français. Voilà un sujet qui est encore relativement nouveau pour la culture scolaire française. » Selon l’Ocde, le bien-être est considéré comme aussi important que la réussite scolaire dans la majorité des établissements des pays concernés, et ce, pour 71 % des élèves, mais avec des variations d’un pays à l’autre: supérieur à 90 % dans plusieurs pays, c’est en France que le taux est le plus faible, cet avis n’étant partagé que par moins de 50 % des chefs d’établissements. Selon PISA 2012, 80 % des élèves se sentent chez eux à l’école, mais seulement 47 % des élèves français, avec le plus faible sentiment d’appartenance à l’école et un niveau d’anxiété dans les apprentissages très élevé ». Notons que Pisa 2015 montre des progrès : les élèves français sont maintenant moins angoissés que la moyenne OCDE. Par contre le sentiment d’appartenance reste faible.
Une enquête CREN – DEPP de 2015 portant sur des écoliers et collégiens précise le sentiment de mal être que peuvent ressentir les élèves. » Plusieurs dimensions sont évaluées positivement : relations avec les autres enfants, classe, sentiment de sécurité. En revanche, les autres sont évaluées négativement, à une large majorité: activités scolaires (trop de travail à l’école et à la maison), relations avec les enseignants (ils devraient expliquer davantage, ils ne félicitent pas assez souvent), et, surtout, les évaluations (60 % des écoliers et 75 % des collégiens ont peur d’avoir une mauvaise note, ou quand leur enseignant parle avec leurs parents, peur de se tromper en faisant des exercices). Et le bien-être diminue encore au collège », notent les auteurs. Or le lien entre bien être à l’école et réussite scolaire est établi.
Médicalisation et inégalités sociales
Le numéro aborde aussi la question de la santé sous l’angle de la médicalisation des difficultés scolaires et de l’utilisation sociétale de la santé. Stanislas Morel montre comment la médicalisation de l’échec scolaire s’est installé. » La médicalisation de l’échec scolaire n’est aujourd’hui intelligible qu’à condition de prendre en compte la contribution des parents d’élèves. Ces derniers sont de plus en plus actifs dans la mise en oeuvre de stratégies de maximisation de la scolarité de leur(s) enfant(s). Ils cherchent dans les diagnostics médicaux et l’action des professionnels du soin les moyens de se prémunir contre les jugements culpabilisants des enseignants sur l’élève ou sur sa famille ou de contester la pertinence d’une orientation précoce dans des classes perçues comme des filières de relégation », note-il. » Les «troubles spécifiques des apprentissages» ou la précocité intellectuelle, pour lesquels l’intelligence de l’enfant est préservée, sont ainsi privilégiés au détriment de la déficience intellectuelle (retard global) ou des diagnostics «psys » qui sont souvent perçus par les parents comme culpabilisants. Se mouvoir dans cet univers non unifié suppose néanmoins des ressources culturelles et économiques et on voit donc apparaître, au sein du groupe des parents d’enfants en difficulté scolaire, des inégalités croissantes entre ceux, principalement issus des classes moyennes et supérieures, qui mobilisent les ressources médicopsychologiques les plus «rentables» sur le marché scolaire et ceux qui, faute de ces ressources, sont davantage réduit à un rôle passif et à des étiquetages plus stigmatisants ».
A l’appui de cette affirmation, les données fournies par Maryse Burger, Christine Cros , Brigitte Weens et Jaya Benoit sur l’aménagement des examens. » En quelques années, le nombre de demandes a considérablement augmenté, notamment pour des élèves présentant des troubles d’apprentissages », affirment-elles. Une enquête portant sur un tiers des élèves (30 départements) montre que les demandes d’aménagement varient beaucoup selon les types d’établissements. Ainsi les établissements Rep et Rep+ fournissent 20% des élèves mais seulement 9% des demandes. Inversement le privé sous contrat dépose 26% des demandes pour 23% des élèves. Le public non prioritaire 65 pour 57% des élèves. » Nous ne voudrions pas que le dispositif d’aménagements des épreuves d’examens et concours, visant à maintenir une égalité des chances, représente au contraire un facteur de renforcement des inégalités sociales et de santé », concluent -elles.
Une question qui devient urgente
Si la question de la santé à l’école a mis longtemps à émerger, on voit qu’elle est maintenant au centre de bien des problématiques de l’école française. Celle de la qualité de vie à l’école qui apparait maintenant comme une exigence parentale presque aussi importante que l’instruction. Celle aussi des inégalités sociales aussi bien devant les soins que devant les contournements du système.
Ajoutons ce que ne dit pas la revue. La santé est aussi un indicateur de la crise scolaire, tant le nombre de médecins et d’infirmiers scolaires est devenu insuffisant. Là aussi les territoires les plus défavorisés sont aussi les plus démunis sur ce point alors que l’Ecole est souvent la seule solution de santé pour bien des familles. Enfin il y a la question de la santé des personnels dans un métier ressenti de plus en plus comme pénible. Là aussi l’institution scolaire a laissé s’effondrer ses capacités en médecine du travail. Améliorer l’Ecole passera pourtant aussi par là.
François Jarraud
Administration et éducation. L’école et la santé : des enjeux forts, une ambition à soutenir.
n° 157 – Mars 2018. Coordonnateurs : Christine CORDOLIANI, Véronique ÉLOI-ROUX, Gérald CHAIX
Dans le Café:
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