Formatrice à l’Espe de Lyon et membre du laboratoire Education Culture Politique, Sabine Coste a coordonné une recherche sur les enseignants en fin de carrière avec une problématique centrale : comment les enseignants quinquagénaires font-ils pour tenir ? Car, si la classe d’âge la plus abondante chez les enseignants est les 35 à 45 ans, les plus de 50 ans sont nombreux dans l’enseignement. On compte 40% de plus de 50 ans chez les PLP, 35% chez les agrégés, 30% des certifiés et 25% des professeurs des écoles. A noter que le vieillissement est plus important encore chez nos voisins. Pour étudier ces enseignants, l’étude sur laquelle s’appuie S Coste est composée d’entretiens auprès de 169 professeurs, de l’école au lycée, et de nombreuses observations. Certains enseignants du premier degré ont par exemple rempli un agenda, ils ont évalué leur confort au travail. Il s’agit donc d’une enquête qualitative relativement représentative.
Pourquoi étudier ce thème ?
Parce que les questions du bien être au travail et celle de l’usure s’imposent avec le vieillissement du corps enseignant. Du fait de l’élargissement des tâches demandées aux enseignants (voir ce que dit C Maroy) leur professionnalité est mise à mal. Dans cette logique du « toujours plus », certains enseignants arrivent à l’épuisement professionnel car ils ont l’impression qu’ils ne savent plus enseigner. C’est ce que montre par exemple F Lantheaume et C. Hellou dans leur recherche sur la souffrance au travail des enseignants.
Quels éléments pèsent le plus sur les enseignants ?
L’organisation du travail peut être source d’épuisement. Par exemple l’emploi du temps. On demande de plus en plus aux professeurs de travailler en équipe mais la plupart du temps les emplois du temps ne permettent pas de se rencontrer. Donc cette exigence pèse.
Il y a aussi la question de la porosité entre vie professionnelle et vie personnelle. C’est un phénomène très présent chez les quinquagénaires. Les enseignants pensent en permanence à leur travail qui envahit leur vie privée. Ils ont besoin de construire des limites.
Mais ce qui pèse le plus sur les enseignants c’est l’absence de reconnaissance de leur travail. Ils disent qu’il y a des formes de managements qui aident, par exemple quand le chef d’établissement fait un retour sur la qualité de leur travail, quand les enseignants se sentent soutenus ou lorsque les conditions matérielles accompagnent la mise en place des réformes
Certains engagements professionnels, en dehors des tâches d’enseignement peuvent aider les enseignants. Par exemple quand ils participent à l’élaboration des sujets du bac ils considèrent cette tâche comme une reconnaissance de leurs compétences par leur hiérarchie et cette contribution nourrit en retour leurs activités avec les élèves. On a observé également que les professeurs tuteurs d’enseignants stagiaires vivent cela de façon positive. Cela influe sur leur pédagogie et contribue aussi à leur propre développement professionnel.
Les parents sont-ils une source d’usure ?
Cela fait partie de l’alourdissement des tâches du métier même si ce n’est pas reconnu. Mais quand les enseignants arrivent à enrôler les parents dans le travail éducatif c’est une source d’allègement de leur travail qui profite aussi à la réussite des élèves.
Parmi les nouvelles tâches, les enseignants doivent accueillir des élèves à besoins particuliers mais souvent cet accueil doit être fait sans formation (des enseignants) ou sans information (sur les adaptations pour l’élève) et souvent sans aide…ce qui aggrave les conditions d’exercice du métier.
Les enseignants ne rejettent pas ces missions. Mais la façon dont elles se mettent en place pose problème. Les professeurs ont besoin de ressources pour y faire face. Et cela renvoie à la question du travail à plusieurs quand ils ont à gérer aussi les AVS. C’est une nouvelle situation de travail où les enseignants se retrouvent sans expérience antérieure et qui leur demande de procéder à des arbitrages : superviser ou coopérer, soutenir l’activité de l’AVS ou laisser l’autonomie…
Comment font-ils pour éviter l’usure ?
Ils développent diverses stratégies. Des stratégies pour réduire le coût du travail, par exemple, les professeurs de maternelle récupèrent pendant le temps de sieste des élèves. Selon les disciplines ils apprennent à solliciter des élèves pour alléger leur implication physique en cours. Stratégie pour réduire la part du travail peu apprécié, par exemple, une professeure d’histoire-géographie interrogée dans l’enquête expliquait qu’elle utilisait les travaux de groupes pour diminuer le nombre des travaux à corriger. Des stratégies pour enseigner avec un public scolaire ayant intégré les règles du travail scolaire, en lycée, les professeurs migrent vers les établissements de centre ville en vieillissant.
Alors que les études sur les fins de carrières enseignantes sont réduites en France, et qu’en la manière Huberman décrivait des cycles de vie professionnelle, l’enquête met en avant l’existence de périodes d’engagement et désengagement. Par exemple, les professeurs de langues s’engagent certaines années dans des activités d’organisation de voyages puis s’en retirent. Ils allègent la pression pesant sur leur travail pendant un temps pour se réengager ensuite sur un nouveau projet.
Mais les enseignants qui durent sont ceux qui trouvent des satisfactions dans le travail, par exemple quand ils conçoivent des situations pédagogiques et quand ils constatent qu’avec elles les élèves progressent. Les enseignants éprouvent de la satisfaction quand ils voient briller les yeux de leurs élèves. Le métier d’enseignant n’est plus un travail uniquement de transmission. C’est devenu un travail de conception de dispositif pédagogique, d’accompagnement et d’évaluation.
Autre élément qui ressort de cette enquête : ceux qui ne s’usent pas sont aussi ceux qui mettent en adéquation leur engagement professionnel avec les valeurs pour lesquelles ils sont entrés dans l’enseignement. Quand les enseignants retrouvent ces valeurs dans le métier ça leur permet de tenir. Par exemple une affectation en CPGE peut être vécue positivement par des enseignants qui sont entrés dans le métier pour transmettre un haut niveau dans leur discipline. Ceux qui sont entrés dans le métier en défendant des valeurs émancipatrices de promotion sociale éprouvent une grande satisfaction à exercer avec des élèves issus de milieux populaires et qui accèdent à un diplôme universitaire en BTS.
Que pourrait faire l’institution pour faire durer les enseignants ?
Ce que nous disent les enseignants c’est l’intérêt qu’ils auraient à transmettre les ficelles du métier aux jeunes enseignants. Ils rêvent d’un allègement de leur temps d’enseignement en fin de carrière permettant de consacrer ces heures aux nouveaux enseignants. Cette transmission intergénérationnelle serait très intéressante car les enseignants ont construit des savoir faire. Cela participerait aussi de la reconnaissance qui manque tant aux professeurs. Ce besoin de transmission correspond aussi aux valeurs de ces enseignants âgés de plus de 50 ans. Ils viennent souvent d’un milieu modeste et ils ont vécu leur métier comme une ascension sociale. Ils veulent rendre à l’institution ce qu’elle leur a donné comme ils le rendent aux élèves.
Propos recueillis par François Jarraud
Que sait-on du travail des enseignants (1)
C Maroy : Où en est le métier enseignant ?
Sur l’alourdissement du métier enseignant un rapport de l’Inspection