Inévitablement c’est ressorti. Et pourtant ils dépassent largement les 35 heures ! Les jours fériés à répétition venant juste après les vacances de printemps ont remis dans l’actualité la question du travail des enseignants. Question dont s’est aussi emparé le Snes qui a ouvert un site spécifique. Mais que sait-on du travail des enseignants ? Comment le comparer à celui d’autres pays ? Quelles singularité dans son organisation ? Comment évolue-t-il ?
Plus de 35 heures
Il faut remonter à 2010 pour avoir une évaluation officielle du temps de travail des enseignants. Cette année là la Depp, la division des études du ministère, organise une enquête auprès des enseignants dont les résultats sont publiés en 2013.
La Depp évalue le temps de travail hebdomadaire des enseignants du premier degré à 44h07 dont 25h34 devant élèves. Précisément ce temps comporterait 12h57 de préparation et correction, 2h26 de rencontres avec les parents et les collègues et 3h10 d’autres tâches. Chaque semaine les enseignants passeraient 9h30 à travailler à la maison. Le temps varierait selon la fonction : un directeur travaille 45h26, un enseignant dans l’élémentaire 43h27 et en maternelle 36h38.
On observe une grande inégalité selon l’âge des enseignants. Les débutants travaillent 52 heures par semaine et les plus âgés 44 heures. Entre les deux le temps de travail diminue. L’observation est également valable dans le second degré (45h pour les débutants, 44h30 pour les plus de 50 ans).
Par comparaison, les enseignants du second degré travaillent un peu moins : 41h17 par semaine mais un peu plus à domicile : 12h36. Le temps d’enseignement est évalué à 20h04, les préparations à 8h14, les corrections à 7h26, la documentation à 2h07. Les temps d’échanges avec les parents et collègues représentent 2h43.
On observe de plus fortes inégalités selon les corps d’appartenance ou les disciplines. Les agrégés travaillent 39h15 (rappelons que leur temps devant élèves est plus faible), les certifiés 42h53, les PLP 39h30. Les professeurs de langues sont ceux qui travaillent le plus longtemps (42h39), devant les disciplines littéraires (41h47), les matières professionnelles (41h16), les sciences (40h54) et l’EPS (37h37). A noter que le temps de travail a augmenté de près de 3 heures pour les certifiés sous Chatel notamment du fait de la mis en place de l’évaluation du socle.
A ces temps de travail en semaines où il y a cours il faut ajouter 20 jours de vacances travaillés dans le premier degré et 18 dans le second. Si vous additionnez tout cela vous dépassez largement les 1607 heures annuelles dues par les agents de l’Etat en général et les 35 heures hebdomadaires des salariés ordinaires.
Les enseignants du primaire nettement au dessus de la normale
Mais comment c’est ailleurs ? Les enseignants français travaillent-ils moins que les autres ? Selon l’OCDE (Regards sur l’éducation 2017), le nombre d’heures d’enseignement dans le premier degré est de 794 heures pour la moyenne OCDE contre 900 en France. Les enseignants français du premier degré travaillent nettement plus la moyenne OCDE. Et cela pèse d’autant plus que le nombre de semaines de cours est le plus faible en France.
Dans le second degré on se situe dans la moyenne OCDE : France 648 et OCDE 662. La plupart des pays connaissent cette différence entre niveaux d’enseignement. Mais en général elle se situe entre école + collège et lycée alors qu’en France on oppose l’école contre le second degré uni.
Ainsi en Allemagne les enseignants donnent 799 heures de cours en école, 750 au collège et 714 au lycée. Au Danemark 784, 784 mais seulement 386 au lycée. En Russie et en Pologne les professeurs de lycée enseignent moins de 500 heures.
Mais à ces heures d’enseignement peuvent s’ajouter du temps de présence statutaire en établissement où les enseignants reçoivent mais aussi corrigent et effectuent des tâches administratives. Ainsi en Espagne les enseignants passent 1140 heures par semaine dans l’établissement, un nombre très proche de la moyenne OCDE (1156, 1135 et 1045 selon les niveaux). Beaucoup rêvent d’étendre ce système en France. Malheureusement pour eux cela semble impossible : les établissements n’ont pas les locaux nécessaires d’une part. D’autre part cela réduirait le temps de travail réel des enseignants (qui passent de 9 à 12h de travail par semaine à la maison). Or ce ne semble pas être le but recherché…
Un travail plus isolé
Il faut donc creuser davantage pour trouver les différences entre le travail enseignant en France et à l’étranger. Talis, une enquête OCDE, donne des indications précieuses pour toucher le quotidien enseignant.
La particularité du travail enseignant en France c’est son isolement. Selon Talis seulement 3% des enseignants français font appel à un tuteur, un taux 4 fois inférieur à la moyenne OCDE (13%). 78% n’observent jamais le travail d’un collègue soit deux fois plus que la moyenne Talis (45%).
Ecart aussi dans les pratiques pédagogiques : 37% des enseignants français font travailler les élèves en groupe contre 47% en moyenne des pays participant à Talis. 22% donnent des travaux différents selon les compétences des élèves contre 44%.
Autre particularité pédagogique : les problèmes de discipline. Les enseignants français sont ceux qui déclarent consacrer le plus de temps à la gestion de la classe avec les enseignants portugais et brésiliens.
Enfin dernier trait particulier : les enseignants français sont aussi les plus nombreux des pays de l’OCDE à considérer que leur métier est dévalué dans la société. Et ça aussi cela pèse sur le travail… Et même sur les résultats des élèves.
Un travail pénible
Résultat de ces considérations : le travail enseignant est perçu comme de plus en plus pénible par les enseignants. Selon la dernière enquête du Se Unsa (portant sur 7500 enseignants) 76% des enseignants estiment que leur activité professionnelle a des répercussions sur leur sommeil et 27% jugent leur métier épuisant. 51% ont déjà eu un arrêt de travail lié à leur métier. 46% déclarent des problèmes de voix et 32% d’audition.
Il y a un an, la Depp a publié les résultats d’une étude sur les risques psychosociaux. Elle montrait que les enseignants sont les plus exposés aux risques psychosociaux. Elle pointait particulièrement les professeurs du premier degré. » L’indice global d’exposition aux facteurs de risques psychosociaux (RPS) indique que les enseignants, hormis ceux du supérieur, ont une exposition moyenne significativement plus élevée que les autres populations, surtout dans le premier degré ».
Selon cette étude, la particularité des RPS des enseignants tient d’abord à l’intensité du travail. Les enseignants du premier degré sont les cadres qui déclarent le plus subir de contraintes de temps et de pressions dans leur métier. Là il y a une différence avec les enseignants du second degré qui sont ceux qui déclarent le moins de pression ressentie.
Mais la plus forte caractéristique des RPS des enseignants, premier et second degré confondus, selon cette enquête officielle, c’est le manque de soutien hiérarchique. « Ce sont surtout les enseignants qui déclarent manquer de soutien de leur hiérarchie et de moyens nécessaires pour bien faire leur travail, tant au niveau du matériel que de la formation », note l’étude. « Plus de 30 % des enseignants du premier degré et du second degré ne sont pas ou peu d’accord avec l’item « les personnes qui évaluent mon travail le connaissent bien »… L’indice moyen d’exposition au manque de soutien hiérarchique est le plus élevé chez les enseignants, hormis ceux du supérieur, surtout pour le premier degré. Les tensions avec la hiérarchie se font plus ressentir pour eux ».
François Jarraud
(à suivre)
Dégradation des conditions de travail