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Envers et contre tout, l’activité de commentaire reste centrale dans l’enseignement du français. Or la glose est intimement liée à la culture du livre : le numérique, qui change nos manières de lire et d’écrire, nous invite-t-il à transformer la façon dont nous menons en classe l’analyse des œuvres littéraires ? Professeure de lettres au lycée Charles Chaplin à Décines, Claire Augé présente ici d’intéressantes expériences en la matière. Pour étudier le « Traité sur la tolérance » de Voltaire, elle a invité ses élèves à utiliser de façon collaborative la plateforme « Glose » qui permet d’annoter l’œuvre au cours de la lecture. Le travail orchestre des temps de « discussion à visée littéraire » jusqu’à faire de l’œuvre « un vecteur d’identité au sein de la classe ». Eclairages sur les modalités de travail, ses intérêts et ses possibles écueils …

Pourquoi le choix d’étudier en Seconde le Traité sur la tolérance de Voltaire ?

Suite aux attentats de Charlie Hebdo en janvier 2015, l’essai Traité sur la tolérance de Voltaire a été un best-seller des ventes et l’on a vu dans les rues de nombreux portraits de Voltaire proclamant « Je suis Charlie ». Il peut être intéressant de se demander avec les élèves pourquoi cette œuvre a été ainsi actualisée par la rue en 2015. C’est en effet l’occasion de s’interroger à travers une lecture littéraire sur le monde qui entoure les élèves et de les accompagner pour faire naître en eux une « interrogation éthique », comme l’écrit Bénédicte Shawky-Milcent dans son ouvrage « La lecture, ça ne sert à rien ». La séquence s’est ouverte sur une réflexion autour des attentats de Charlie Hebdo et une présentation de cette fameuse affiche de Voltaire évoquée plus haut. Les élèves étaient invités à travers leur lecture à comprendre ette actualisation faite par la rue spontanément en janvier 2015. « Pourquoi le Traité sur la tolérance de Voltaire a-t-il été, selon vous, un best-seller des ventes suite aux attentats de Charlie Hebdo ? » : c’est à cette question que les élèves ont dû répondre dans une argumentation rédigée au terme de la lecture et de l’étude.

Pour mener à bien le travail, vous avez utilisé la plateforme numérique Glose : pouvez-vous nous expliquer ce dont il s’agit et comment cela fonctionne ?

Glose est une plateforme numérique qui permet d’écrire dans les marges du texte, en annotant l’œuvre au cours de sa lecture. La lecture du Traité sur la tolérance de Voltaire s’est ainsi faite en ligne – sur ordinateur ou smartphone -, sur l’application de Glose : les élèves, rassemblés au sein d’une communauté de lecteurs privée, étaient invités à annoter le texte dans les marges. La lecture se fait ainsi sociale et s’enrichit des commentaires des autres lecteurs.

En quoi une telle lecture collaborative vous semble-t-elle intéressante ?

Le Traité sur la tolérance de Voltaire est une œuvre argumentative difficile. Aussi un dispositif de lecture particulier a-t-il été mis en place : la lecture a été collaborative.

La classe a été partagée en six groupes de lecteurs réunissant chacun cinq ou six élèves, formant ainsi des petites « communautés de recherche ». Chaque groupe a été invité à lire trois chapitres différents de l’essai de Voltaire puis à présenter un compte-rendu au reste de la classe n’ayant pas lu les mêmes chapitres que le groupe.

Ce dispositif a été choisi non seulement afin d’accompagner les petits lecteurs pas à pas dans la lecture de cette œuvre difficile mais aussi afin de responsabiliser chaque sujet-lecteur dans sa lecture : en effet, les exposés de lecture devaient être clairs pour que tous puissent comprendre l’essai et être capable de développer une réflexion sur l’intégralité de l’œuvre.

Les élèves ont été sensibles à cette dimension collaborative de la lecture : ils n’étaient pas seuls avec leur livre et leurs difficultés mais toujours accompagnés par un pair. Ensemble, ils ont construit le sens.

Via Glose, chaque groupe a donc lu et exploré 3 chapitres de l’œuvre de Voltaire : en quoi a consisté concrètement leur travail sur ces chapitres ?

Chacune des trois grandes phases de lecture a été découpée en trois séances d’une heure chacune. La séance 1 était une séance de lecture en classe en salle informatique. Les élèves lisaient sur l’ordinateur ou sur leur smartphone s’ils préféraient. La lecture était individuelle et se faisait sur le site Glose. Chaque élève devait faire au minimum 3 annotations au cours de sa lecture et pouvait en faire davantage s’il le souhaitait. Il était invité à sélectionner la phrase qui le marquait le plus dans le chapitre et à expliquer en commentaire pourquoi. Il pouvait également éclairer le texte en donnant des définitions et faciliter ainsi la lecture de ses camarades. Il pouvait également réagir au texte directement.

La séance 2 était un temps de « discussion à visée littéraire » au sein du groupe de lecture, dispositif théorisé par Yves Soulé, Michel Tozzi et Dominique Bucheton dans La littérature en débats (2009). Cette séance a eu lieu dans la salle de cours ; les groupes ont travaillé en ilots avec les smartphones. Les élèves devaient préparer ensemble leur compte-rendu de lecture selon un canevas précis : introduction (situation du chapitre lu, explication du titre) ; réactions au sein du groupe et retour sur un passage particulier (avec possibilité d’utiliser d’autres sources, vidéos, images, musique, pages internet) ; explication de la stratégie argumentative de Voltaire (thèse ? arguments ? procédés de persuasion ?…) ; éventuellement, explicitation de la problématique apparaissant dans l’extrait.

La séance 3 était une séance d’exposés et d’échanges, de nouvelles discussions à visée littéraire au sein de la classe entière. Chaque groupe présentait son chapitre et répondait aux questions des camarades. Certaines discussions à visée littéraire ont donné lieu à des débats enrichissants : ainsi le chapitre IX « Des martyrs » a particulièrement interrogé les élèves sur la définition du « martyr ».

Chaque groupe a ensuite présenté oralement les chapitres ainsi travaillés : avec quelles consignes et quels bénéfices ?

Chaque groupe a donc fait trois présentations orales – cela a été l’occasion de travailler l’oral, exercice difficile pour le lycéen devant une classe de 37 élèves. Le nombre d’interventions a permis de faire le point après chaque phase sur les éléments à améliorer et j’ai pu observer une certaine progression des groupes au cours des semaines de lecture.

L’œuvre de Voltaire, dites-vous, est devenue « un vecteur d’identité au sein de la classe » : pouvez-vous expliquer ce que vous entendez par là ?

J’aime beaucoup cette expression de « vecteur d’identité » pour parler du livre. Je pense au « phénomène Harry Potter » par exemple : autour de cette œuvre, une génération entière s’est définie. Le livre est devenu un « vecteur d’identité », c’est-à-dire un point de regroupement d’une génération pour se définir. Faire du livre « un vecteur d’identité au sein de la classe », c’est selon moi remettre le livre au centre du propos et de l’enseignement. A travers leurs lectures, les élèves se sont regroupés autour du Traité sur la tolérance. Il a été intéressant de constater en fin d’année à quel point cette œuvre les avait marqués et les a amenés à réfléchir sur le monde qui les entoure.

Au final, quels conseils donneriez-vous à des collègues tentés d’utiliser à leur tour la plateforme Glose et quels prolongements envisagez-vous vous-même pour cette expérience ?

Glose est un outil très intéressant à utiliser en cours de Lettres. L’académie de Grenoble est d’ailleurs en train d’expérimenter cet outil dans plusieurs classes. J’ai tenté pour ma part une deuxième expérimentation au sein de ma première littéraire cette année pour proposer une lecture collaborative du chapitre Des cannibales de Montaigne. Cependant, cela n’a pas du tout fonctionné, ce qui m’a amené à réfléchir sur les usages positifs et efficaces de Glose. Voici quelques points-clefs…

Le choix du texte d’abord. Le texte étudié sur Glose est un texte libre de droit. Si le texte de Voltaire n’avait pas posé trop de problème de compréhension, le texte de Montaigne sans modernisation de l’écriture est bien trop difficile pour les élèves. Sans la moindre note, les élèves sont perdus face à la langue de Montaigne et les dictionnaires en ligne (TLFI) ne peuvent suffire.

La longueur du texte ensuite. Le travail de la lecture collaborative pour construire un compte-rendu a bien fonctionné sur les chapitres de l’essai de Voltaire qui sont relativement courts. Sur une œuvre longue comme le chapitre des Essais de Montaigne, les élèves se perdent dans l’espace infini de la page numérique. Face à la difficulté des élèves, je suis revenue au texte papier qui permet un repérage plus facile. Aussi, aujourd’hui, il me semble que l’outil Glose se prête davantage à une lecture collaborative d’œuvres argumentatives comme l’essai de Voltaire ou d’œuvres poétiques. Ce sera d’ailleurs ma prochaine expérimentation : la lecture collaborative d’un recueil poétique.

L’importance des « discussions à visée littéraire », des échanges oraux, est aussi à prendre en considération. Lors de mon deuxième projet, je n’ai pas accordé la même importance aux échanges, aux « discussions à visée littéraire ». Or, elles sont fondamentales pour permettre à chacun de trouver sa place au sein du groupe et d’avancer dans sa lecture. Lors du travail autour de Montaigne, les élèves étaient passés tout de suite de la lecture sur glose à l’élaboration d’un compte-rendu (aux consignes plus exigeantes) sur Framapad. Certains élèves se sont retrouvés perdus face à l’ordinateur et le chat proposé par Framapad n’a pas réussi à les raccrocher au groupe. Il me semble donc que ce dispositif des « discussions à visée littéraire » est indispensable pour compléter ce travail dans les marges du texte : la virtualité absolue perd l’élève.

Enfin, le rôle de l’enseignant est à interroger. Lors de la première expérience autour de Voltaire, j’ai lâché prise pour laisser les élèves travailler en autonomie ; cependant tout était beaucoup plus structuré et j’accompagnais pas à pas les élèves en passant de groupe en groupe. Au sein de ma première littéraire, j’ai voulu tester l’autonomie des élèves dans un lâcher prise plus important : les élèves se sont perdus face à l’outil. Il me semble que le pilotage doit être extrêmement important, si ce n’est plus que d’habitude, avec cet outil.

Pour conclure, Glose est un outil très intéressant pour travailler la lecture collaborative mais qui ne s’adapte pas à tous les scénarii pédagogiques ni à toutes les œuvres littéraires. Pour ce qui relève de la littérature collaborative, je conseille de travailler sur des petits textes ou un texte que l’on peut découper facilement.

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

Une vidéo sur le travail mené

Présentation de l’application de lecture Glose

Bénédicte Shawky-Milcent dans Le Café