L’école décourage-t-elle d’apprendre et cela dès la maternelle ? Dans le débat actuel sur l’école maternelle, le conseil scientifique de la Fcpe publie une nouvelle étude qui montre comment l’école contribue à fabriquer les inégalités scolaires. Fallait-il prendre la maternelle en exemple alors que la scolarisation précoce semble menacée ? Sur l’impact du fonctionnement de l’école sur le sentiment de bien être à l’école dans son rapport aux résultats scolaires, on aurait pu aussi bien sortir, en positif, la recherche de Camille Terrier. C’est ce que nous choisissons de faire…
La part de l’école dans la construction des inégalités
L’étude de Mathias Millet et Jean Claude Croizet est-elle représentative ? Elle porte sur 10 classes de maternelles situées dans 7 écoles, ce qui est peu. » Les résultats obtenus lors de nos recherches montrent que l’école insuffle dès les premiers niveaux, souvent bien malgré elle, la peur d’échouer et de ne pas savoir chez certains élèves. Par un paradoxe évident, cette peur de ne pas savoir apprise à l’école tend à détourner les élèves des apprentissages scolaires. Elle contribue ce faisant à générer des écarts de « performance » à l’origine d’inégalités scolaires potentielles », expliquent les auteurs.
» L’école maternelle est aussi le lieu des premières expériences de l’inégalité culturelle. Les classes réunissent en effet des enfants aux ressources sociales très inégalement rentables sur le plan scolaire. Dès la petite section, certains élèves s’en sortent mieux que d’autres. Les jeunes écoliers voient vite que des camarades sont inégalement félicités pour leurs réponses. Tandis que certains semblent avoir des choses pertinentes à dire, d’autres se font reprendre. Ces différences ont d’autant plus de chance d’apparaître aux jeunes élèves que l’activité scolaire, à travers le jeu des comparaisons, forme très tôt les enfants au jugement sur ces différences », poursuivent-ils. Ainsi les élèves feraient très tôt l’expérience des inégalités scolaires et de leurs capacités et incapacités.
Or celles ci sont liées à l’origine sociale. » La familiarité à l’égard des exigences scolaires, que certains élèves doivent aux proximités culturelles de leur famille avec l’école, favorise l’aisance et la rapidité face aux exercices. A l’inverse, les élèves de classes populaires affrontent plus souvent dans l’école, pour des raisons exactement inverses, des situations nouvelles et des contenus étrangers. Ils sont ainsi davantage affectés par des doutes sur leurs capacités. »
Les deux auteurs ont observé les remarques portées par les enseignants sur les élèves dès la maternelle. Ils observent qu’ils attribuent les difficultés des élèves soit à des fautes morales, comme l’inattention, soit à des insuffisances naturelles comme des capacités limitées… Ces conceptions invitent ainsi les élèves à vivre leurs difficultés, qu’ils attribuent du même coup à des défauts personnels, comme infamantes. Or, le sentiment que les élèves ont de leurs capacités personnelles s’avère déterminant dans leurs chances d’affronter les situations scolaires avec succès ». Et la boucle est bouclée.
Notons aussi que l’étude date de 2012. Les programmes de 2015 mettent l’accent sur l’évaluation bienveillante.
Un exemple strictement inversé
Il se trouve que l’impact des évaluations des enseignants sur les résultats des élèves a été observée en sens contraire dans une passionnante étude de Camille Terrier, une doctorante de la PSE.
Camille Terrier a travaillé sur les résultats en maths de 4500 élèves de 6ème de l’académie de Créteil dont certains travaux étaient corrigés de façon anonyme, d’autres de façon non anonyme. Ce que montre C Terrier c’est que les enseignants de maths discriminent positivement les collégiennes. L’écart de notation est d’environ 6% en faveur des filles quand les travaux ne sont pas anonymes. Elles dominent alors les garçons. Quand les travaux sont anonymes, les résultats des garçons dominent de façon claire les filles.
Mais le plus fort reste à venir. « En mathématiques, les classes dans lesquelles les enseignants présentent les plus forts degrés de discrimination positive envers les filles sont aussi les classes dans lesquelles les filles progressent le plus relativement aux garçons », note C. Terrier. Pour elle, le rattrapage opéré par les filles en maths est intégralement expliqué par la discrimination positive des enseignants ». L’intérêt des filles pour les maths irait croissant et celui des garçons décroissant.
Autrement dit la note en elle même influe sur le niveau de l’élèves, mais pas forcément dans le sens que beaucoup imaginent. En surnotant les filles on fait augmenter leur niveau en maths.
Du coup on découvre une autre façon dont l’Ecole peut agir efficacement sur le niveau des élèves.
François Jarraud